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Clémentine Autain : “La littérature c’est le lieu de la complexité”

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Dans ce deuxième épisode de "Dans la bibliothèque des politiques", après Hubert Védrine, Guillaume Gonin change de génération, ouvre un peu plus l'arc politique et part à la rencontre de Clémentine Autain, députée, journaliste autrice et membre active de La France insoumise. Une discussion enlevée sur le pouvoir des mots et de la littérature. Sur ce qu'elle apporte à l'individu, mais aussi à la société en général. Passionnant.

Photos Patrice Normand

Clementine Autain 20Je ne connaissais pas cette partie de la Seine-Saint-Denis. A la sortie du métro, un marché plein de vie me happe, le temps de m’orienter à l’aide de mon téléphone. Quelques pas, seulement, et le joyeux bourdonnement fait place à des rues plus calmes, dont les maisons bigarrées évoquent la vallée de Chevreuse. Quelques pas, encore, et je longe un parc désert, où dominent de grands ensembles des années 1970. A peine voilé, le soleil de juillet contribue à l’atmosphère vaporeuse de cette flânerie.
« Je n’ai aucune idée de ce que je vais vous dire ! », me lâche Clémentine Autain dans un sourire, alors qu’elle coupe la chaîne hi-fi, interrompant « I Loves You Porgy » de Billie Holliday. Je vois dans cet aveu un bon présage, gage d’authenticité et d’originalité, plutôt conforme à l’image que je m’étais façonnée de ma deuxième invitée, de loin et à travers un livre qui m’avait intrigué (puis plu) : « Dites-lui que je l’aime », évoquant la difficile relation avec sa défunte mère, l’actrice Dominique Laffin.
Cernés par les livres, installés autour d’une jolie table en bois, notre conversation s’engage sans tarder. N’était l’azur perçant de ses yeux, mon regard serait irrémédiablement attiré par le foisonnement de la bibliothèque dans mon dos – et dont le curieux enchevêtrement explique, en partie, son parcours de militante, d’élue, de femme.

* * *

Comment les livres sont-ils entrés dans votre vie ?

Clémentine Autain : Au tout début ? Ça remonte à loin, j’ai des souvenirs qui vont jusqu’à Babar et d’autres livres moins classiques d’enfance. Chez mes parents, surtout chez mon père, il y avait toujours des livres. Les livres ont donc d’emblée fait partie de ma vie, de mon environnement immédiat. C’est une chance. Je me souviens du premier roman pour adultes que j’ai lu. C’était Le Mur de Sartre, un recueil de nouvelles que mon père m’avait offert. Pas évident mais j’avais accroché.

"C'est une professeure de collège qui m'a donné le goût de la littérature"

Clementine Autain 14Comment avez-vous accédé à la littérature, adulte ?

Clémentine Autain : D’abord, grâce à une excellente professeure au collège, Sylviane Helle – avec qui j’ai gardé contact –, qui nous a fait découvrir des classiques parfois exigeants pour notre âge. Je me souviens de la révélation qu’a constitué pour moi Madame Bovary, de Flaubert. J’étais fascinée par les pages entières de description en détails de faits banals. Cette enseignante que j’adorais a également réussi à nous faire aborder Milan Kundera, alors que nous étions très jeunes. Qui lit "L’insoutenable légèreté de l’être" au collège ? C’était un peu gonflé ! (Rires) Elle avait l’art de lier ces romans à notre vie de tous les jours, à ce que nous pouvions observer, à nos préoccupations. Plus tard, pendant mes études d’histoire, j’ai lu beaucoup d’essais, tout en commençant à dévorer des classiques. Je me souviens de quelques chocs, comme La Religieuse de Diderot, Aurélien d’Aragon ou Les liaisons dangereuses de Laclos.

Beaucoup de littérature française, donc.

Clémentine Autain : Oui, et russe aussi. J’ai beaucoup lu Dostoïevski et adoré Anna Karenine de Tolstoï – c’est le livre que j’aurais aimé ne pas avoir déjà lu. Beaucoup oppose ces deux auteurs mais on peut aimer les deux ! Et puis, ce n’est que relativement récemment, il y a dix ou quinze ans peut-être, que je me suis mise aux auteurs contemporains. Aujourd’hui, l’idée que je me fais de mon engagement politique m’incite à me tourner plus spontanément, c’est vrai, vers les auteurs français pour saisir l’époque dans notre pays. J’ai le sentiment que je me dois de comprendre la société française, et cela passe aussi par la littérature.

Clementine Autain 17Parmi eux, quels sont vos auteurs fétiches ?

Clémentine Autain : Mes coups de cœur sont fréquents - il faut dire que quand je n’accroche pas, je ne termine pas, il y a trop à lire -, mais ils ne se manifestent pas toujours de la même façon : parfois, je plonge dans l’œuvre entière d’un auteur ; pour d’autres, je n’en pioche qu’un. Je lis fidèlement les romans de Lola Lafon, Tristan Garcia, Marc Dugain, Virginie Despentes, Philippe Vilain ou encore Noemi Lefebvre. J’aime aussi beaucoup Christine Angot, son écriture clinique et forte ; la lecture d’Une semaine de vacances m’a notamment impressionnée. J’ai aussi adoré 14 juillet d’Eric Vuillard, L’art de perdre d’Alice Zeniter (Ernest vous en parlait en bien, ici, NDLR), Otages de Nina Bouraoui ou, moins connu, Ceux qui s’aiment de Brice Torrecillas.

Quels sont les livres que vous offrez à tout le monde ?

Clémentine Autain : Difficile, votre question … Disons que je fonctionne par périodes. Et surtout, ça dépend des personnes. Je n’offre pas le même livre aux mêmes, ni aux mêmes années. J’ai mes phases, j’ai beaucoup offert Et tu n’es pas revenu de Marceline Loridan-Ivens, Heureux les heureux de Yasmina Reza, ou encore Sept femmes de Lydie Salvayre, dont j’adore les premiers mots : « Sept femmes, sept folles. » Génial, non, pour donner envie de lire sept biographies de femmes ?

Appréciez-vous tous les genres littéraires ?

Clémentine Autain : Non ! Je n’ai pas la culture du polar, par exemple, je lis peu de science-fiction et je ne suis jamais parvenue à entrer dans le monde de la bande-dessinée. Un jour, peut-être ?

Clementine Autain 06Et pour la Science-fiction ?

Clémentine Autain : J’ai aimé le dernier livre d’Alain Damasio, Les furtifs (Ernest a rencontré Alain Damasio, ici). Notamment pour la vision politique qui en découle, la critique de la société néolibérale et autoritaire. Mais c’est le seul, pour l’instant, que j’ai lu de lui.

"Je suis très attachée à la présence charnelle des livres"

Vous avez de la chance : il vous reste à découvrir La Horde du contrevent …

Clémentine Autain : Oui, on me l’a beaucoup conseillé. Il est dans ma liste. Mais, dans ma chambre à coucher, ma pile de livres à lire ne désemplit pas… (Rires)

Relisez-vous parfois des livres ?

Clémentine Autain : Jamais ! Je sais que beaucoup d’hommes politiques disent souvent qu’ils « relisent » tel ou tel classique ... Je ne sais pas où ils trouvent le temps. Il y a tant de livres à découvrir, pourquoi relire ceux qui ont déjà été lus ? Je relis certains passages, bien sûr, pour des discours ou le simple plaisir. Mais des livres entiers, non.

Êtes - vous bibliophile au point de collectionner ?

Clémentine Autain : Non, je ne suis pas une collectionneuse de livres dédicacés, si c’est ce que vous avez en tête, ni de livres de collection datée ou spéciale.En revanche, je suis très attachée à la présence physique, charnelle, des livres chez moi et je ne les prête jamais : je préfère les offrir, notamment parce que j’adore les annoter, souligner des passages entiers.