Porte-Parole du PS, ancien secrétaire général adjoint de l’Élysée, Boris Vallaud publie ces jours-ci "un esprit de résistance". L'occasion de partir à la rencontre de ce politique atypique aux phrases ciselées, et à la pensée dense pour lui faire parler de son rapport aux livres. Un entretien qui se déguste. Comme un bon vin.
Photo Cyril JOUISON
Un ciel bigarré et capricieux veille sur notre trajet depuis Bordeaux. Nous naviguons entre vigne et forêt, nous rangeant sur le bas-côté pour croiser d’autres véhicules. D’ordinaire, bibliothèque des politiques rime avec train, métro et grandes avenues ; aujourd’hui, bucolique et reculée, elle revendique sa part d’imprévu. Y compris pour notre hôte qui, à notre arrivée, nous confie qu’aucun journaliste n’avait auparavant mis les pieds dans cette ancienne écurie où les livres ont élu domicile. « Il s’agit de la bibliothèque de mon père », nous confie celui qui entreprend une visite guidée des lieux, un bâton à la main et un élégant cardigan bleu sur les épaules. Un simple coup d’œil nous permet de comprendre que le paternel est historien, spécialiste des guerres du XXème siècle – et quelques mots échangés avec son fils qu’il lui a transmise intacte sa passion pour l’Histoire, l’écrit et les idées.
Si, plus qu’à l’accoutumée, la question du lieu s’est posée pour cette rencontre, les Landes se sont vite imposées. C’est heureux ; ayant interrogé son épouse à Paris lors d’une précédente « bibliothèque », un changement de décor s’imposait naturellement. Et puis, pour ne rien vous cacher, la perspective d’une virée landaise me réjouissait. D’autant qu’en l’absence de Patrice, retenu à Paris, mon ami Cyril Jouison le supplée derrière l’objectif. Une complicité ancienne nous lie, et sa joyeuse présence contribue au caractère spécial de cette bibliothèque des politiques décentralisée.
Va pour les Landes, donc. Une fois calmées les ardeurs de la jeune chienne qui monte vaillamment la garde, et les cafés servis, Boris Vallaud nous installe dans une pièce lumineuse, aux murs jonchés de livres. Derrière lui, une collection de bouteilles d’Armagnac du cru scintille sous les projecteurs qu’installe Cyril, alors que la discussion s’engage librement, basculant petit à petit du commentaire et des plaisanteries à l’entretien plus formel.
* * *
Au début de votre livre, « Un esprit de résistance » (dont Ernest sous la plume de Frédéric Potier vous parlera la semaine prochaine), vous évoquez les femmes et les hommes qui forment votre panthéon …
Boris Vallaud : Oui, et la grande question est : mais qui est dedans ? (Rires) « L’esprit de résistance », c’est retrouver cet esprit qui a permis de nous reconstruire au lendemain de la guerre. C’est aussi résister à l’air du temps quand le temps est mauvais. Beaucoup de grandes figures peuvent nous inspirer pour ça.
D’autant que la politique et le littéraire se recoupent parfois.
Boris Vallaud : C’est vrai ! Dans le livre, je pensais surtout à des personnages politiques, dont j’ai pu lire des biographies et dont je suis fasciné par les personnalités. Évidemment, je ne vous surprendrai pas en évoquant Jean Jaurès ou Léon Blum. D’ailleurs, certaines découvertes, comme Blum, ont été tardives. J’avais tendance à penser, à tort, qu’il était une version un peu dégradée de Jaurès. Or, il est brillantissime ! Les comptes-rendus de Léon Blum lors des débats parlementaires des lois scélérates sont d’une incroyable actualité, dans notre rapport aux libertés publiques notamment. Je suis intéressé par des personnages comme Rol-Tanguy, Louise Michel ou Daniel Meyer. J’adore Garibaldi, aussi. Cela m’est venu à travers la découverte de la Sicile, qui est le carrefour de toutes les civilisations de la Méditerranée. Évidemment, il y a le débarquement à Marsala, la fameuse expédition des mille. A partir de là, je me suis mis à lire des textes, des correspondances …
Vous faites donc partie des gens qui lisent les correspondances ?
Boris Vallaud : C’est un truc de famille ! Mon père adore ça. Il les lit, il les croise, ainsi que les journaux, pour comparer les différentes appréciations d'un même événement. J’aime bien les correspondances qu'on feuillette de façon désordonnée. En l’occurrence, c’est amusant de lire sa correspondance avec Victor Hugo, ou Alexandre Dumas.
Et sur le plan littéraire ?
Boris Vallaud : Sur le plan littéraire, je nourrissais une passion pour le « Nouveau Roman » quand j’étais adolescent, à tel point que j’ai aujourd’hui un vrai côté Alain Robbe-Grillet quand j’écris. D’ailleurs, j’ai rédigé toute une série de premiers chapitres – le chapitre 1, c’est ma spécialité ! – d’une œuvre vouée à devenir un jour fondamentale, déterminante, définitive. (Rires) J’ai adoré « la Modification » de Michel Butor, vraiment.
Quel âge aviez-vous alors ?
Boris Vallaud : J’étais lycéen, autour de la terminale. Ce style d’écriture un peu minimaliste me plaisait beaucoup. J’ai à son propos un souvenir émouvant : il habite près de Lyon, je crois, et un jour Najat me ramène un exemplaire de « La Modification »... dédicacé par Michel Butor. J’étais très, très heureux !
Elle a marqué des points ce jour-là …
Boris Vallaud : Ah oui, beaucoup. Je voulais vous l’apporter, mais je ne l’ai pas retrouvé. J’ai beaucoup apprécié « Les Hommes de bonne volonté » de Jules Romains, aussi. Et puis, petit, j’adorais Dumas et les trois mousquetaires. Quand on est Gascon à Paris, d’ailleurs, on se sent nécessairement comme un cadet de Gascogne ! Et on rêve de crier dans l’hémicycle : « à moi la Gascogne ! » et que les députés accourent pour la bagarre ! (Rires)
Avec Najat Vallaud-Belkacem, lisez-vous les mêmes livres ?
Boris Vallaud : Nous avons des rythmes différents. Najat est une boulimique de lecture, elle lit hyper vite. Quand on part en vacances ensemble, on emporte une pile de dix bouquins pour tous les deux, on mutualise. Et, souvent, quand elle termine les neuf bouquins, elle s’impatiente pour que je termine le premier !
"L'Académie française sent la naphtaline"
Vous aimez prendre votre temps.
Boris Vallaud : Je ne sais pas comment vous lisez, mais quand je lis, je le fais à haute voix dans ma tête. S’il y a des personnages, ils n’ont pas tous la même voix. Ils n’ont pas la même intonation. Dans les romans, je crée mon univers mental. Les personnages ont une voix, un physique, une existence à part.
Parlez-nous des romans qui peuplent votre panthéon littéraire.
Boris Vallaud : Alors, j’ai beaucoup de classiques dans mon panthéon littéraire : Balzac, Zola. Après, parmi les auteurs plus récents, j’adore Emmanuel Carrère. Le fait de savoir qu’il est un peu en conflit avec sa mère me le rend plutôt sympathique ! En revanche, j’ai un peu du mal avec les auteurs de l’Académie française, qui sent méchamment la naphtaline, plus préoccupée par l’écriture inclusive que les réalités politiques et littéraires.
Nous nous trouvons dans les Landes, nous célébrons ces jours-ci le quarantième anniversaire de l’élection de François Mitterrand à l’Élysée … L’ombre de l’ancien président socialiste, entre politique et littérature, plane-t-elle autour de vous ?
Boris Vallaud : Sa pugnacité inspire, cela fait partie de notre histoire évidemment. En l’occurrence, je ne me serais pas présenté ailleurs que dans les Landes. Ma famille y est implantée depuis toujours. Ce n’était pas une évidence de me présenter, ce n’était pas un rêve que je nourrissais depuis l’enfance. Je me suis lancé parce que les circonstances l’ont voulu : j’ai rencontré Henri Emmanuelli, il me l’a proposé, j’ai eu le sentiment qu’il fallait agir pour la gauche.
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