Vous ne connaissez pas bien Robert Desnos ? Vous aimez les années 30, les destins magnifiques, les personnages haut en couleurs ? “La légende d’un dormeur éveillé” de Gaëlle Nohant, est pour vous. Rencontre intime avec l’auteur.
La “Légende d’un dormeur éveillé” de Gaëlle Nohant chez Héloïse d’Ormesson est l’un des immenses coups de foudre d’Ernest cette année. Ce livre, c’est un petit miracle. Miracle dans le sens où l’auteur, Gaëlle Nohant réussit la prouesse de nous faire lire tout Robert Desnos, en nous divertissant et en nous emmenant très loin dans l’émotion. En suivant pas à pas sous forme de roman le parcours de ce journaliste, poète, écrivain, surréaliste, amoureux, publicitaire et résistant de la première heure, Gaëlle Nohant nous fait découvrir ou redécouvrir un personnage haut en couleurs. Ce qui est génial avec cette « légende d’un dormeur éveillé » c’est qu’il n’est pas besoin de connaître Desnos pour se perdre et se repaître dans ce livre immense. Immense dans son ambition : rendre Desnos intelligible à tous, donner envie de le lire, mais aussi de raconter l’histoire d’un homme dans son époque, une histoire d’amour fabuleuse entre Youki et Desnos, la brouille des surréalistes, le Paris des années 30-40 où l’antisémitisme monte.
Le résultat de ce livre, sa justesse, sa beauté, son côté addictif qui fait que l’on est happé par la vie fantastique de Desnos sous la plume de Nohant, est tout simplement sensationnel ! Évidemment, nous sommes allés rencontrer Gaëlle Nohant. Pour parler de Desnos, de l’écriture, des surréalistes, des femmes et de poésie.
Question traditionnelle d’Ernest, comment pitchez-vous le livre ?
Gaëlle Nohant : Ce livre raconte la vie lumineuse oubliée de Robert Desnos. Tout est vrai et tout est romancé.
Comment avez vous rencontré Robert Desnos ?
Au lycée, j’avais un professeur de Français qui nous a fait découvrir douze poèmes de Robert Desnos. Je n’étais pas une lectrice de poésie. Mais cette poésie là – sans raison particulière – est entrée en moi. J’ai eu envie de tout lire et il est devenu mon poète de chevet. Ce qui m’a d’abord attirée chez lui, c’est la poésie amoureuse malheureuse qu’il écrivait. Celle qui parle aux adolescents avec l’amour impossible et l’amour sans issue. Ensuite, ma passion pour les surréalistes m’a fait plonger dans le reste de son œuvre. J’y ai découvert un côté très rayonnant dans sa poésie. Quelque chose de très dynamique et optimiste. Cela me parle particulièrement. Je me souviens avoir retenu ce vers dès la première lecture sans savoir qu’il était prophétique par rapport à la fin de sa vie : “Leurs mains avaient des lignes sans nombres qui se perdaient parmi les ombres comme des rails dans la forêt”. Il écrit cela dans les années 30 et en fait c’est lui en train de lire les lignes de la main à Auschwitz.
Je ne me suis jamais séparée de “Fortunes” et “Corps et biens“, je les avais toujours sous la main. J’allais toujours chercher sa poésie, sans en avoir réellement conscience. Un jour, en plein désespoir créatif, je cherche mes livres de Desnos, et je ne les ai pas pour une raison de déménagement. Je me rends compte alors que j’ai besoin de lui. En recherchant sur internet ses poèmes, je tombe sur ce vers de lui “dans l’avenir, j’appartiendrais à la curiosité limitée”. L’idée de mon roman était née. Sortir Desnos de la curiosité limitée en racontant sa vie lumineuse.
Pourquoi un roman ?
Cela parce que la biographie s’adresse à des déjà initiés. Je voulais faire un roman pour le grand public. Raconter cette vie qui a tout du romanesque pour la rendre accessible à tout le monde. C’était l’ambition. Raconter aussi l’effervescence des années 30 avec tous ses artistes qui sont internationaux et qui réinventent toutes les formes d’art. Desnos était pote avec tous ces gens. Je suis nostalgique de cette époque.
Pourquoi nostalgique ? Qu’est ce qu’elle a de si particulier cette période ?
Ce sont des artistes du monde entier, c’est une famille du monde entier. Cette période est un cri pour dire “vive les réfugiés”, vive les migrations. C’est la plus belle époque de Paris, et si Paris est si beau à cette période c’est parce que tous ses réfugiés arrivent à Paris. A l’époque, quand ils arrivent en France, Modigliani et Picasso sont des pauvres. Desnos qui grandit dans cette époque ne peut pas être nationaliste ni raciste.
“Leurs mains avaient des lignes sans nombres qui se perdaient parmi les ombres comme des rails dans la forêt”
Le livre est construit comme un roman. Tout est vrai, mais qu’est-ce que vous imaginez vous en romancière ?
Tout est inventé et tout est vrai. J’ai d’abord fait un travail de fourmi. J’ai accumulé une énorme documentation. J’ai dû lire environ 200 livres pour écrire ce roman. Cela pour digérer Robert Desnos, sa vie, ses états d’esprit etc… Ensuite, j’ai laissé reposé. Après pour donner un exemple concret, je sais que dans sa biographie, on raconte qu’en 1928 il se dispute violemment avec celui qui va devenir son ennemi mortel qui le dénoncera à la Gestapo. La seule chose que je sais c’est qu’ils se disputent lors d’une soirée de journalistes. Desnos avait réglé son compte à “Lobereau comme seul un surréaliste savait le faire.” C’est alors qu’il faut imaginer la scène. Cette scène est cruciale car elle est pivot dans la vie de Desnos et il faut l’imaginer complètement. Être fidèle à l’histoire, être au plus près de lui, mais imaginer.
C’est aussi pour cela que vous avez choisi de scander la dramaturgie du roman avec des vers de Desnos ?
Oui. J’écrivais et je cherchais les vers. Comme dans un dialogue entre ma fiction et les œuvres de Desnos.
Comment définiriez-vous Desnos ?

Photo Robert Desnos – Musée de la résistance
C’est un homme cohérent. Il ne s’est jamais trahi. Tout au long de sa vie il est cohérent. Il a une route en lacets, mais elle est droite jusqu’au camp de concentration. Ensuite, il est très humain. Il est proche des gens. Il a des défauts. Et pourtant il a la trajectoire d’un “saint”. Il est en lien avec l’humanité. De ses failles il a fait des ponts vers les autres. Desnos, c’est l’homme du pont. Enfin il est courageux. De manière naturelle et instinctive. Ce n’est pas un débat pour lui.
Avec lui on voit que c’est la somme des petits courages qui fait le grand courage. C’est parce qu’il ne laisse rien passer, qu’il résiste à la connerie au quotidien dans les années 20, aux fachos dans les années 30, qu’il va naturellement s’engager dans la résistance. Desnos est aussi un amoureux. Au sens large. Il aime le sentiment amoureux. C’est un amoureux qui respecte la liberté des gens qu’ils aiment. Qu’ils soient ses amoureuses, ou ses amours.
Sur la brouille de Desnos avec Breton sur les surréalistes, vous choisissez votre camp et déboulonnez un peu la statue de Breton. C’est volontaire ?
Ce qui est clair c’est que Breton est très tranchant. Il incarne un dogme. Sans ce dogme, il n’y a pas de surréalisme. Toutefois, quand j’ai étudié le surréalisme, j’ai adoré le surréalisme et j’étais en colère contre l’éjection de Desnos du groupe. C’est incompréhensible.
Au fond, votre personnage de Desnos, et votre défense de sa vie, n’est-ce pas un appel à la libre pensée, et à la liberté ?
Complètement. Desnos est un homme libre. Tout cercle d’énergie doit édicter – à un moment donné – des règles et l’énergie se perd. Desnos est un libertaire. Profondément. Il n’a jamais fait de compromis avec sa liberté. J’adore le troisième manifeste du surréalisme de Desnos. Le surréalisme n’appartient à personne. Ni hier, ni aujourd’hui.
L’autre facette de Desnos c’est son rapport aux femmes. Et son histoire d’amour immense avec Youki…
Oui Desnos aime les femmes. Il aime être amoureux. Mais il a tendance à choisir des femmes qui le font souffrir. Youki est une femme solaire, charnelle, libre. Comme lui, elle aime la fête, les amis, mais c’est une collectionneuse. Desnos la choisi jusqu’au bout. Malgré la souffrance. Leur histoire est pleine de ratages, d’incompréhension, de solitude, de rendez-vous manqués. Elle, c’est une femme qui consomme les hommes et elle va apprendre – malgré elle – à aimer.

Desnos et Youki
Il y a quelque chose de très moderne dans leur couple. Notamment sur leur liberté charnelle. Cela n’avait pas l’air de poser problème à l’époque. Contrairement à aujourd’hui, non ?
Ce n’est pas rejeté à l’époque car nous sommes dans le milieu artistique. C’est quelque chose de courant. Personne n’exige l’exclusivité d’un amour. Dans le groupe “Octobre” de Prévert, il y a une mise en commun des amours, sans aucun problème. Il est vrai que les femmes avaient une réelle liberté sexuelle. Peut-être plus importante qu’aujourd’hui. Avec toutefois, un machisme ambiant.
Dans la dernière partie du livre, celle où Desnos est déporté en camp de concentration, vous prenez la voix de Youki. Ces pages sont fantastiquement belles. Elles sont bouleversantes. Pourquoi ce choix de parler de l’horreur à travers les yeux de Youki ?
Cela me paraissait impossible de raconter les camps des yeux de Desnos. Je ne pouvais pas le rejoindre. J’avais peur de le trahir et de trahir les autres déportés. Quand j’ai terminé la troisième partie, j’étais désespérée de quitter Desnos. Youki j’avais des sentiments mêlés pour elle. Je la trouvais égoïste. En enquêtant sur elle, en lisant ses lettres, ses dessins, je l’ai découverte. Je tombe dans sa correspondance sur une lettre qu’elle écrit à Desnos en juillet 1945 alors qu’il est déjà mort, qu’elle ne le sait pas. Qu’elle a remué ciel et terre pour le retrouver allant jusqu’à faire un esclandre dans les locaux de la Gestapo. Dans cette lettre, elle lui raconte son quotidien un peu compliqué. Tous les gens qu’elle a rencontré et tout ce qu’elle a appris sur la vie de son “Robert” dans les camps. A la fin de la lettre, il y a cinq lignes. Elle dit “Je sais Robert, je sais maintenant ce que tu as vécu. Je sais le courage qui a été le tien. Maintenant je t’aimerais mieux”. Ce passage est bouleversant qu’elle écrive cela à un homme qui est mort. Et sa croyance dans le fait qu’il reviendra. Ce qui est fou c’est que les recherches de Youki ont montré que Desnos avait presque apporté une forme de joie de vivre dans les camps, en racontant des histoires aux autres, en leur lisant les lignes de la main etc…
Quel est le Desnos que vous préférez : le poète, l’amoureux, le résistant, le politique ?
Je crois qu’ils sont inséparables. C’est cela qui est admirable chez lui. A aucun moment, l’une de ses facettes ne prend le pas sur l’autre. Toutes ses facettes se nourrissent entre elles. Sa vie clandestine nourrit la poésie etc… Pourquoi s’amputer d’une partie de soi. La force de Desnos est d’être profondément dans le présent. Il est là. Ni dans le passé, ni dans l’avenir. Dans le présent. Ce qui est impressionnant aussi chez lui, c’est que plus le monde se referme autour de lui, plus il s’ouvre aux autres. Il fait un chemin d’ouverture toute sa vie. Peu importe d’où il vient, il s’adresse à la fin de sa vie à l’homme universelle. Toutes les barriè!res sont tombées. A la fin de sa vie, dans les camps, il s’adresse à tout le monde et devient proche de gens à qui il n’aurait pas adressé la parole dans les années 30. C’est cela le dormeur éveillé.
Le dormeur éveillé justement. Pourquoi cette expression ?
Le dormeur car c’est une constante chez lui. Il va initier les sommeils hypnotiques chez les surréalistes. Il y a assez peu de séparation entre le conscient et l’inconscient chez lui. Tous les témoignages le racontent. Il est entre plusieurs mondes. Rêveur. Mais éveillé. Avec les pieds sur terre et le sens du concret. Il fait tout le temps les bons choix. Il s’engage tout entier à chaque moment de sa vie. C’est cela qui est fantastique dans son personnage.
Le style du roman est très beau et très accessible. Sans tomber dans le livre pour initier. Comment avez-vous travaillé cela ?

Crédit : DM
Cela est l’un de mes objectif. Ce roman m’a aidé à préciser ma vocation d’auteur. Quel est mon rôle ? Si je dois me définir, je veux être une passerelle. je veux rendre accessible à tous ce qui me touche ou ce que j’ai découvert parce que je suis – moi – une initiée. C’était aussi une façon de rendre Desnos et les autres qui sont une chasse gardée d’une élite.
“L’écrivain est une passerelle”
Façon de nier totalement ce qu’ils étaient. Je n’écris pas pour plaire au lecteur. Mais je pense tout le temps au fait de ne pas mettre de côté des lecteurs. Pour tenter d’y arriver, je fais lire mes pages au fur et à mesure à de nombreux lecteurs très différent. Desnos disait “que c’est difficile d’écrire quelque chose de simple”. J’ai beaucoup épuré mon style. Grâce à Desnos.
Pour commencer Desnos, en plus de votre livre, que faut-il lire ?
Fortune et Corps et Biens. Corps et biens car il y a les jeux surréalistes et Fortune qui vient dans la poésie amoureuse. De plus en plus limpide. Il est un gamin des halles et veut une poésie pour tous. Donc il va l’épurer. Fortune est le démarrage de cela. Dans ce receuil il y a “the night of loveless nights” qui est un très grand poème d’amour, et aussi un départ d’engagement. “Je chante non pas ce que nous devons combattre, mais ce que nous devons défendre”, disait-il. Son rêve était que tout le monde lise sa poésie et se l’approprie.
Dans quel état d’esprit faut-il être pour lire de la poésie ?
Faire tomber les barrières que les académismes érigent avec les poètes. Prévert, Garcia Lorca et Desnos écrivaient pour leurs voisins de bistrot. Il faut y aller en liberté. Ce qui compte, c’est d’être touché. Ce qui compte ce n’est pas de comprendre. La poésie passe par le cœur et le ventre. Une image poétique c’est frotter deux cailloux pour obtenir une étincelle. Un peu comme lorsque l’on regarde un tableau.
Retrouvez le questionnaire décalé de Gaëlle Nohant
Les têtes raides chantent un poème de Robert Desnos. Sur l’amitié.
[…] livre s’appelle « la Part des Flammes » est signé de Gaëlle Nohant (qui a aussi publié un autre roman génial autour du personnage de Robert Desnos) et il a paru au Livre de Poche. Ce livre a remporté le prix des lecteurs, et a été vendu à […]