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Y. Haenel : “la littérature est érogène”

Yannick Haenel 25

Et si on apostrophait Yannick Haenel sur son rapport à la lecture, aux livres et à la littérature. Rencontre littéraire et sensuelle avec l'auteur de "Yan Karski" et " Tiens ferme ta couronne".

Photos Patrice Normand

RDV pris avec Yannick Haenel, direction les banquettes rouges d'"Aux petits oignons", un café du 20e arrondissement de Paris. Déjà nous sommes dans l'un de ses romans, dans son univers. Ces banquettes sont l'un des lieux pivot de "Tiens ferme ta couronne" et c'est aussi là qu'il l'a écrit, comme la plupart de ses livres. C'est donc ici son QG, où il passe toutes ses journées, une partie pour écrire, une partie  encore plus importante, consacrée à la lecture, de manière frénétique. C'est la fin d'une longue semaine de "promotion" de son dernier livre "La solitude Caravage" (Ernest vous en parlait en détail ici),  mais Yannick Haenel Yannick Haenel nous consacre plus deux heures de son temps à parler lecture et littérature, avec la simplicité qui le caractérise, tout autant qu'avec un feu qui l'anime et qui confine, dans ses propos, au sacré.  Il est attablé devant un coca – lendemain de fête, explique-t-il. Prix interallié en 2009 pour "Jan Karksi", prix Médicis en 2017 pour "Tiens ferme ta couronne", Yannick Haenel a découvert la fête à 40 ans et depuis ne peut plus s'en passer.  A coté du Coca, cinq livres choisis par ses soins, censés résumer sa bibliothèque, qu'il a apporté pour nourrir l'entretien.

La discussion sur sa passion sensuelle et charnelle était tellement passionnante et incroyable que quelques jours plus tard, nous ne résistions pas à l'envie d'aller chez lui, pour découvrir sa bibliothèque. Surprise, les livres ne sont pas rangés de manière verticale, mais horizontale. "J'aime les entassements", confie-t-il.  En plus, on peut lire les livres sur la tranche. On se demande finalement pourquoi tout le monde ne range pas sa bibliothèque comme cela.  Sa bibliothèque occupe presque tous les pans de mur de la pièce. Dans un coin, tout au dessus, une centaine de cahiers eux aussi empilés. Yannick Haenel fait partie de ces auteurs pour qui l'écriture manuscrite, l'expérience sensorielle de coucher les mots sur du papier fait partie intégrante du processus de création. Un petit bureau, tout simple, à droite de la pièce accueille les fulgurances de l'auteur. Quand il termine un livre, il peut écrire ici jusqu'à 7 heures du matin car au plus profond de la nuit, vers 3, 4 heures, il n'y a plus d'horaires, "le temps prend une dimension spéciale,"  poétise l'auteur.Yannick Haenel

Depuis ce bureau, pas de vue à couper le souffle, il donne sur un petit jardin d'un quartier de Montreuil entouré de quelques barres d'immeubles. Sur la bibliothèque, des figures de son univers. Notamment une représentation du fameux daim blanc, presque un personnage de "Tiens ferme ta couronne" allégorie de la vérité forcée de fuir dans les bois. C'est ici une photo d'un daim en or qui appartenait à Pierre Bergé.  "Je n'ai pas eu les moyens de l'acheter lors d'une vente aux enchères alors j'ai écrit un livre".  A côté, une photo de Georges Bataille, parmi les auteurs qui lui ont donné envie d'écrire. Sur le bureau, deux petites statuettes de déesses indonésienne et une représentation de Diane. Toujours la présence du féminin, dont il aime s'entourer, comme il l'explique, traumatisé par sa plongée malgré lui dans le monde viriliste du Prytanée à l'adolescence.  Yannick HaenelLorsqu'il émerge de l'écriture de ses livres, à 7 heures du matin, il prépare le petit déjeuner pour sa femme et sa fille, qu'il emmène à l'école avant de se coucher. Il doit nous quitter d'ailleurs à 16h30 pour aller chercher sa fille. Mais avant, la visite se poursuit par le reste de la bibliothèque installée... dans le garage par manque de place. Il y a entreposé, toujours en entassement, les livres qu'il lit moins. On peut y trouver notamment « Les particules élémentaires » de Houellebecq. Entretien avec celui qui est un peu un anti-Houellebecq dans son rapport lumineux à la création.

Quelle est votre dernière émotion littéraire ?

Je suis en train de lire "une chose sérieuse", de Gaëlle Obiégly. Je peux dire que c'est l'écrivaine française contemporaine qui m'intéresse le plus. Elle écrit dans la langue des idiots, au sens de l'idiot de Dostoïevski, c'est-à-dire la langue des innocents. Son précédent roman, "Mon prochain", racontait la claustration d'une hôtesse d’accueil, enfermée dans les toilettes de son entreprise qui se mettant à écrire ses pensées sur du papier hygiénique. A partir de ce script farfelu, il y avait une sorte de discours, qui d'un « une âme simple » devenait shakespearien. « Une chose sérieuse » se passe à l'intérieur d'une secte.  On est dans un monde où l'humanité est déjà augmentée, le narrateur a un implant, ils ne sont plus du tout des humains, ils se comportent comme de doux givrés. J'aime les caractères étranges, ovniques de son écriture.

Mais vous soulignez plein de phrases dans ce livre !

Oui, je les souligne, j'ai un rapport très dévorateur, dévorant aux livres. J'en lit dix en même temps, c'est effrayant. Je souligne beaucoup. J'ai besoin de constituer une sorte de stock. Et je le relis sans cesse, partout, non pas le livre entier, mais les phrases que j'ai souligné.  Il s'agit de petits pigments. Comme un peintre, je sais par exemple que dans tel livre de Nabokov, il y a une petite couleur lilas ou mauve que j'avais souligné et dont je peux me servir dans ma palette mentale. J'essaye de mobiliser des choses que j'ai lu, que je vais combiner.

"J'ai un rapport dévorant aux livres"

C'est-à-dire ? Comment cela fonctionne dans le processus de création ?

C'est une communauté d'effervescence. J'ai l'impression d'écrire avec tous les écrivains. C'est ma bibliothèque mentale, portative.  Une transfusion incessante :  lire, et faire basculer possiblement ce qu'on lit dans l'écriture.  Je suis pas du tout méthodique, je suis très sauvage. Parfois, je commence à écrire à la main sur le livre. Ma pages préférée pour écrire, c'est la dernière page du livre. Ça ne concerne pas forcément le livre lui-même, c'est un support. Un mot m'inspire, et c'est parti. J'écris même sur les Pléiades, je ne sacralise pas du tout mes livres.

Ernest Haenel Notes

Ernest Haenel Notesdeux

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