15 min

Elsa Faucillon : “Lire offre une disponibilité à soi-même”

Elsa Faucillon Bibliotheque 18

Ce mois-ci, dans la bibliothèque des politiques, Guillaume Gonin nous emmène découvrir celle de la députée communiste Elsa Faucillon. Une discussion franche et agréable où la littérature est un outil pour rendre la vie plus belle. Avec Marguerite Yourcenar, Annie Ernaux et Nancy Huston.

Photo Patrice NORMAND

Voilà un an, dans le cadre de cette chronique, demandant à Clémentine Autain avec qui, dans le monde politique, il lui arrivait de parler livres et littérature, un nom revenait avec insistance : Elsa Faucillon, députée communiste de Gennevilliers. Fonctionnant par capillarité, en littérature comme ailleurs, j’ai naturellement pris contact avec son équipe. Et ce, avec d’autant plus de curiosité que d’elle, justement, je ne savais rien, ou presque.

Les portraits de la presse font d’elle une communiste plutôt rebelle, questionnant les us et coutumes de son parti et ouverte à l’idée de créer les conditions d’un rapprochement entre grandes tendances de gauche. S’en dégage, aussi, une authenticité que cinq minutes d’échanges ne tarderont pas à confirmer. « Elle lit des essais sur les sujets qu’elle travaille comme députée - mais pas seulement - et de la littérature, notamment contemporaine », me précise Clémentine Autain par texto, prolongeant notre entretien passé. « Elsa est une femme studieuse, qui aime se nourrir de la pensée critique, de l’apport intellectuel. »

C’est avec cette description en tête que je me rends chez elle, à Gennevilliers, par une belle matinée annonçant l’hiver. La porte s’ouvre sur un appartement lumineux, décoré avec goût et portant la marque d’un enfant en bas-âge. Tandis que notre hôte prépare une tournée de cafés, la discussion s’engage si vite que j’en oublie presque de démarrer l’enregistrement.

* * *

Elsa Faucillon Bibliotheque 09Dans un portrait qui vous a été consacré, j’ai lu que vous vouliez monter des expositions avant d’entrer en politique. Est-ce juste ?

Elsa Faucillon : Oui, c’était la suite logique de mes études. Assez tôt, j’ai su que je voulais travailler dans le monde de la culture et des arts. Cela a toujours été très présent dans mon esprit, avec des bifurcations possibles. Pendant une période, par exemple, j’ai voulu devenir ingénieure du son. Après, j’ai voulu être styliste.

Puis, vers douze ou treize ans, je me suis rendue compte que j’étais plus attirée par les arts visuels, et notamment la peinture. C’est pourquoi mes études ont porté sur la médiation culturelle, puis en conception et mise en œuvre de projets culturels, ainsi qu’un master en commissariat d’exposition dans le domaine de l’art contemporain.

Ce qui vous mène à députée.

Elsa Faucillon : C’est évident, non ? (Rires) Ceci dit, il y avait déjà une idée d’engagement dans la culture. Bien sûr, je ne dis pas qu’à treize ans je conceptualisais mon parcours ainsi. Mais, au cours de mes études, je pensais travailler avec les collectivités, dans les centres culturels de région parisienne. Il y avait cette idée de la culture pour toutes et tous. D’ailleurs, le dernier poste où j’ai postulé, sans être retenue, était celui de chargée de mission culture à la mairie de Saint-Denis.

Quel rôle ont joué vos parents dans ce parcours ?

Elsa Faucillon : Mon père était technicien à la mairie d’Amiens et ma mère travaillait à la Sécurité sociale, tous deux syndicalistes de la CGT. J’ai donc surtout baigné dans cet univers-là. Ils étaient très marqués par la rencontre du monde ouvrier et intellectuel, ce qui fait la force de l’histoire et la culture communiste. Chez moi, il y avait les tracts à plier de la CGT, mais il y avait aussi beaucoup de livres ! Eux ne lisaient pas autant qu’aujourd’hui, mais l’idée que la culture était importante nous a été inculquée par le théâtre, les expositions. Ce n’était pas seulement du beau à voir, c’était au fondement de leur idée de l’émancipation.

Vous parlez de la culture communiste, qui est d’abord littéraire. Après avoir été longtemps une chance, est-elle devenue une sorte de malédiction, dans le sens où les textes sont trop sacrés pour y toucher ?

Elsa Faucillon : La culture doit être vivante, oui, et on court le risque d’être figé. Cela reste un défi. On ne peut pas se contenter de la regarder avec une sorte de nostalgie. On peut regarder ce passé avec intérêt et admiration, bien sûr, mais je crois que cette rencontre du monde ouvrier, intellectuel et artistique devrait demeurer la force du mouvement communiste. L’éducation populaire passe par la rencontre intellectuelle ! Mais, il faut l’admettre, cela renvoie encore trop souvent au passé. Peut-être ne faisons-nous pas assez vivre ces idées au Parti Communiste. Rejeter l’apport des intellectuels pour construire un projet politique est une erreur cuisante.

Quels livres, quelles autrices, quels auteurs peuvent à cet égard insuffler un vent nouveau ? Elsa Faucillon Bibliotheque 15

Elsa Faucillon : (Un temps de réflexion) Votre question est compliquée parce que je ne veux ni accaparer ni figer qui que ce soit.

Certes, dans notre histoire, il y a cette idée que ces auteurs sont forcément communistes : notamment parce que le monde intellectuel de l’époque, des années 1940 aux années 1960, était très marqué par les idées communistes. Mais je considère que cela ne doit pas se dérouler de cette manière-là aujourd’hui. On ne demande pas aux auteurs d’être communistes pour nous nourrir !

"Mon coup de foudre pour Yourcenar m'a prise par surprise"

Dans cet ordre d’idée, qui vous viendrait à l’esprit ?

Elsa Faucillon : Un exemple historique : quand Aragon, très lié au Parti communiste, cherche à prendre des distances avec le bloc soviétique, est-il toujours un auteur qui nourrit le communisme ? Je considère pour ma part que la réponse est évidemment oui. Je ne voudrais pas que le mode opératoire avec les intellectuels soit un lien d’affiliation à l’organisation politique. D’abord, il faut bien l’avouer, cela en réduirait considérablement le nombre ...

Quel que soit le parti, d’ailleurs …

Elsa Faucillon : Oui ! Et puis, surtout, ce n’est pas le lien à privilégier. Alors, je n’ai pas envie de coller des étiquettes sur des auteurs, mais je peux vous parler de celles et ceux qui me nourrissent. De beaucoup de femmes, notamment. Au cours de ma formation je les ai découvertes assez tard en réalité. Très tard, même ! Et par le biais de la littérature contemporaine.

A qui pensez-vous ?

Elsa Faucillon : Annie Ernaux, évidemment. Je suis sûre que beaucoup de femmes de gauche pourraient aussi l’évoquer. Mais je pense également à Toni Morrison, ainsi que Marguerite Yourcenar, qui fut une grande découverte. Un vrai coup de foudre, qui m’a pris par surprise. D’ailleurs, je me rappelle exactement où et quand j’ai lu « Les mémoires d’Hadrien » pour la première fois : j’avais treize ou quatorze ans, au camping avec mon père, et je m’emmerdais, pour dire les choses. Il pleuvait, j’ai donc attrapé un livre qui trainait. Et, je ne savais pas vraiment ce que j’avais lu, à part que j’avais adoré. Je me suis rendue compte que je pouvais lire un livre dont je ne saisissais pas les enjeux en étant juste emportée par la beauté de l’écriture. On peut dépasser des présupposés sur ce qui est atteignable. Pour ma part, Yourcenar m’a débloqué. C’est pourquoi le rôle de la littérature est si fondamental dans l’éducation.

Elsa Faucillon Bibliotheque 12Quel rôle ont joué vos professeurs à cet égard ?

Elsa Faucillon : J’ai eu de la chance avec mes enseignants, qui ne confondaient pas exigence et élitisme. Je me suis toujours trouvée au sein d’établissements scolaires en zone d’éducation prioritaire, et qui n’avaient pas de présupposés à privilégier telle ou telle forme d’expression des arts et de la culture. Par exemple, les mangas peuvent permettre d’aller vers Yourcenar. Mais on ne présuppose pas que tous les gamins de ZEP ont besoin des mangas pour y accéder ! Cela demande des méthodes pédagogiques et donc du temps pour s’y former et pour les mettre en œuvre. On peut faire tout un tas de découvertes en s’attachant à chacun ou chacune, que ce soit de la poésie, des bande-dessinées, la presse ou des essais.  Et parfois, juste tenter une rencontre. Un jour, j’ai confessé n’être pas allée au bout d’un livre qui ne me plaisait pas : ma professeure m’a répondu qu’elle appréciait que je sois capable de le dire. Nous avons ensuite discuté de ce qui ne m’avait pas plu, du format, du propos, du style, et elle a essayé autre chose. Depuis, je m’autorise à ne pas finir des livres ! Et je le fais même au spectacle, où il m’est arrivé de partir, tout en respectant les artistes sur scène. Je tiens à m’autoriser cela.

On n’a pas toujours un Yourcenar dans sa poche …

Elsa Faucillon : C’est exactement cela ! (Rires) C’est vraiment un luxe que j’ai du mal à théoriser.