A 70 ans, Don Winslow publie ce qui sera son dernier roman, épilogue d’une ambitieuse trilogie mafieuse. Très présent sur les réseaux sociaux depuis la présidence de Donald Trump, il veut maintenant s’investir à fond dans la lutte contre les dérives populistes et faire en sorte que Donald Trump ne rempile pas pour un second mandat en novembre prochain. Cela grâce, notamment, à des vidéos ciselées. Rencontre.
Cela aurait très bien pu n’être qu’un coup de marketing audacieux. En avril 2022, à la sortie de « La cité en flammes », qui inaugure sa trilogie Danny Ryan, Don Winslow annonce que les deux volets suivants, déjà écrits, seront ses derniers romans publiés. La fin d’une carrière lancée en 1991, déjà riche d’une vingtaine de titres dont deux portés à l’écran. Surtout, l’auteur à succès de « Savages » ou de « Cartel » fait sensation en déclarant vouloir désormais se consacrer uniquement à la politique.
Depuis plusieurs années déjà, dans des vidéos conçues pour les réseaux sociaux avec son agent et complice Shane Salerno, il alerte sur le poison que Donald Trump répand dans la société américaine. Que l’ex-président soit réélu ou pas, condamné ou pas, des millions d’Américains adhèrent à ses idées populistes. Don Winslow estime devoir s’engager à plein temps pour les combattre. « Je veux continuer à dénoncer ce qui à mes yeux ne va pas, expliquait-il voici deux ans dans un communiqué. C’est essentiel. Ce n’est pas une décision que j’ai prise facilement. Les démocrates ont de meilleures idées, de meilleurs candidats et une meilleure vision pour demain. Ce qu’ils n’ont pas, c’est de meilleurs messages, et je vais essayer de changer cela. Je paierai tout moi-même et n’accepterai aucun don. »
Aujourd’hui, l’échéance est arrivée, marquée par la sortie mondiale et la promotion de « La cité sous les cendres ». Aurait-on moins parlé du livre sans cette tournée d’adieux ? Pas sûr. Sans avoir la puissance de la série « La griffe du chien », la trilogie Danny Ryan se range parmi les meilleures sagas mafieuses, avec parfois des accents de Scorsese et du Parrain. Suffisant pour susciter l’intérêt de tout amateur de bon polar.
Quand on voit avec quel acharnement cet homme aux multiples talents s’est hissé dans le monde des best-sellers, on ne peut que prendre au sérieux son désir de servir maintenant une cause autre que littéraire. On ne lui prédit pas de grand destin à la Vaclav Havel ou à la Mario Vargas Llosa, fameux hommes de lettres devenus chefs d’Etat, mais en dédiant son énergie, sa créativité, sa persévérance au débat d’idées et à la polémique, on s’attend à ce que Don Winslow fasse des étincelles. Ernest l’a rencontré à Paris, aux premiers jours de sa nouvelle vie.
Vous cessez de publier des romans pour vous investir à fond dans la politique : votre décision s’est-elle imposée sous la pression d’un événement extérieur ou bien progressivement ?
Don Winslow : Un peu les deux. Les Etats-Unis ont traversé une suite d’événements très significatifs qui ont été loin de me ravir. La montée du Trumpisme - le mouvement MAGA et tout ce joyeux foutoir - m’a amené à me dire qu’il fallait concentrer mon énergie dans ce domaine. La fiction n’allait pas suffire à peser sur ces problèmes parce qu’écrire un roman et le publier prend du temps. Je risquais d’arriver après la bataille. J’ai eu le temps d’y réfléchir depuis cinq ou six ans que je m’active sur les réseaux sociaux sur des questions politiques. J’y ai pensé en achevant les deux livres précédents et surtout en voyant arriver la fin de celui-ci : mon fils était un bébé quand j’ai commencé cette trilogie, aller au bout m’a pris trente ans. C’est un peu le travail d’une vie, une œuvre qui m’a longtemps échappé, qui m’a mis en échec. Aussi, en la terminant, je me suis dit : on y est !
Maintenant que votre dernier roman est paru, comment va s’organiser votre vie ?
Don Winslow : Reposez-moi la question le 6 novembre, j’aurai une meilleure réponse (après l’élection présidentielle américaine NDLR). J’écrirai encore, je ne publierai pas toujours. Il y a des sujets qui me passionnent et que j’ai envie de creuser. J’ai repris le théâtre avec la mise en scène d’une pièce en un acte de Lady Gregory et William Yeats, je dois diriger Romeo et Juliette l’hiver prochain, puis Macbeth avec des interprètes allemands. Je veux continuer à surfer sur les vagues qui se présentent sans me sentir coupable de ne pas être à mon bureau. Pouvoir aussi partir faire de longues marches avec ma femme sans penser que je dois rentrer écrire.
Allez-vous toujours travailler sur vos prises de position politiques avec votre agent et complice Shane Salerno ?
Don Winslow : Oui, on a commencé en 2015 et on va continuer en s’investissant davantage. On a déjà diffusé sur les réseaux sociaux trente ou quarante vidéos qui totalisent environ 300 millions de vues. Ces chiffres sont dingues. Et publier ce genre de message va être ma principale activité jusqu’en novembre au moins. Les réseaux sociaux permettent de réagir instantanément, mais je ne sais pas encore à quoi il faudra réagir. Ca va dépendre de l’actualité, des mensonges que le camp d’en face va balancer. On restera dans le même esprit mais certainement avec plus d’intensité. Un des problèmes du parti démocrate - en gros, de notre camp – est que ses messages tournent autour du pot, qu’ils sont trop polis, trop lisses. Moi, je ne suis pas gentil et civil dans ce domaine-là, ça ne m’intéresse pas. Nos messages sont durs, directs, serrés, et notre langage va devenir plus dur encore.
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