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Rentrée littéraire : le grand huit

Franck V Unsplash

Bienvenue dans le grand parc d’attraction de la rentrée littéraire. Et surtout dans son grand huit. Comme chaque année, plus de 500 romans seront dans les rayons des librairies dans cette rentrée littéraire. Comme chaque année, choix cornélien. Comme chaque année, des agacements, des livres dispensables et des heures de bonnes lectures perdues. Comme chaque année, aussi, des pépites. Ernest a déniché huit livres indispensables. Huit livres qui ne laissent pas indemnes et qui chacun, à sa façon, fait évoluer le lecteur. Ce sont huit romans français. Notre sélection étrangère arrive aussi. Ils seront cinq. Avec ces 13 livres, vous aurez alors un beau panorama de la rentrée littéraire : entre livres d’amour, livres drôles et livres puissants, il y a de quoi se remplir de belles émotions. En route pour le grand huit.

Ernest Mag De Turckheim PrinceÉmilie de Turckheim – Le Prince à la petite tasse – Calmann-Lévy : D’une immense beauté

Parfois, à la lecture d’un livre, dès les premières pages, on sait. On sait que cette lecture sera une lecture déterminante. De celles qui laissent une trace. De celles qui font pleurer, de celles qui font sourire, de celles qui interpellent. “Le Prince à la petite tasse” est de cette trempe. Une lecture époustouflante, renversante et saisissante. Un jour où l’un des drames désormais réguliers des migrants faisait la une des journaux, Émilie de Turckheim lance à la cantonade : “ils sont des milliers dehors. On pourrait en accueillir un à la maison”. Son mari renchérit : “oui, il faudra acheter un lit“. L’un des enfants, Marius, veut “apprendre sa langue”, quand, Noé, le plus petit “veut lui apprendre à jouer aux cartes”. C’est ainsi que démarrent neuf mois de cohabitation entre la famille d’Émilie et Reza, réfugié Afghan qui a fui son pays à l’âge de 12 ans et qui se retrouve en France après être passé par l’Iran, l’Albanie, la Grèce, la Turquie et la Norvège. Reza s’installe petit à petit. La famille et lui apprennent à communiquer. Doucement. Par les gestes, par les mots, mais aussi par les silences.

Un livre délicat et puissant, joyeux et interpellant

Cette histoire individuelle devient une histoire familiale puis une histoire collective au sens où elle parle à chacun de nous. C’est bien là la prouesse d’Émilie de Turckheim dans ce récit touchant et juste de bout en bout : parvenir à faire de cette aventure familiale, une histoire universelle qui a trait à ce que chacun peut faire pour faire quelque chose qui le dépasse. Une histoire universelle qui a également trait à la relation à l’autre et aux autres et plus largement à ce qui peut s’appeler Fraternité. Ce livre est dense, rare, intense et joyeux. Reza est un soleil et la famille d’Émilie est une cabane qui aime recevoir ce soleil. Délicatesse, pudeur, et empathie sont parmi les choses importantes de ce roman. La lecture se fait en apnée. Avec des frissons et des émotions qui sont présentes tout au long de la lecture. Un des grands livres de la rentrée. A ne manquer sous aucun prétexte !

Retrouvez ici notre entretien avec Émilie de Turckheim sur son roman “L’enlèvement des sabines” paru l’an dernier. Et bientôt plus autour du “Prince à la petite tasse”.

Ernest Mag IdeauxAurélie Filippetti – Les idéaux – Fayard : Un roman idéal !

Autant le dire tout de suite, à l’entame de la lecture des “Idéaux“, quelques doutes ont germé. Une ex-ministre qui raconte l’histoire d’amour entre une politique de gauche avec un politique de droite, la peur a été réelle. Puis, dès les premières lignes, un souffle. Et surtout un flash : avant d’être femme politique Aurélie Filippetti était écrivain. Et un grand écrivain. Ses livres “les derniers jours de la classe ouvrière” ou “un homme dans la poche” étaient de vrais objets littéraires, avec du souffle et du style. Souffle et style. C’est justement ces deux ingrédients qui frappent dès les premiers instants de lecture. Du style dans la façon de mettre en scène ce monde politique qui ne pense qu’au pouvoir plutôt que de penser à la politique. Du style dans la façon dont Filippetti parvient à faire de son expérience, un roman universel, dense et passionnant. Un grand roman politique. Du souffle aussi, évidemment, dans le propos. Souffle dans sa façon de dépeindre l’emprise de la communication, souffle dans la façon de faire de la littérature pour saisir le réel et poser ainsi des questions en variant les points de vue et en ouvrant les horizons. Du souffle enfin dans la plume d’Aurélie Filippetti. Une plume acérée et tranchante qui se plante là où il faut.

Un grand roman politique avec un grand P

Mais au-delà du souffle et du style, il y a un ingrédient supplémentaire qui fait des “Idéaux” l’un des livres importants de cette rentrée : le cœur et la sincérité avec lesquels l’auteure raconte ses personnages et la façon qu’elle a de parvenir à nous faire complètement oublier qu’elle a été ministre de la Culture lors du quinquennat de François Hollande. Ce n’est pas de cela dont il s’agit. Il s’agit de l’histoire des hommes et des femmes en lutte avec leurs idéaux. Cette histoire des hommes et des femmes qui se demandent comment être loyaux à eux-mêmes et à ce qu’ils sont au plus profond d’eux. En politique, cette histoire prend juste une dimension encore plus dramatique. Enfin, ce livre est grand aussi, en ce sens que par différentes touches, il nous interpelle, nous interroge et surtout questionne le nouveau monde. Est-il si nouveau ? Autre question : les idéaux sont-ils définitivement à remiser au rang des antiquités vintage ? Ce roman est vraiment à lire. Il fait partie de ce que la littérature a de plus intéressant : la capacité à rendre universelles des histoires individuelles.

Ernest Mag Etoiles Filantes AttalJérôme Attal – 37 étoiles filantes – Robert Laffont : Simplement joyeux !

Avec Jérôme Attal le lecteur est certain de ne jamais s’ennuyer. Qualité rare qui apparaît parfois comme inutile mais que nombre d’auteurs feraient bien de travailler. Son dernier roman “37 étoiles filantes” ne déroge pas à la règle. Les fans de Jérôme Attal (Les jonquilles de Green Park, L’appel de Portobello Road etc…) s’y retrouveront aisément. Mais, chez Ernest, nous faisons un pari : avec ” 37 étoiles filantes“, Jérôme Attal va toucher un public nouveau et plus large qui lui aussi va tomber sous le charme du sens de la formule et des idées farfelues mais géniales de l’auteur. Nous sommes dans les années 30, Alberto Giacometti n’est pas encore un grand sculpteur. Il vit de commandes pas forcément intéressantes et passe son temps dans les cafés de Montparnasse où tout peut arriver. Un soir, une voiture lui roule sur le pied.

Drôle et virevoltant !

Alberto est envoyé à l’hôpital. Il se fait dorloter par les infirmières. Et il adore ça. Apprenant la mésaventure d’Alberto Giacometti, Jean-Paul Sartre lance : “il lui est enfin arrivé quelque chose”. Évidemment cette pique revient aux oreilles du sculpteur qui n’a plus qu’une seule idée en tête : casser la figure du philosophe. Et voilà que le roman de Jérôme Attal virevolte dans tous les sens et emporte le lecteur dans le Paris des années 30 où la Belle époque se termine et où le poids de la situation politique mondiale commence à peser. Dans ce Paris des années 30, Attal invente, brode et surtout s’amuse et le lecteur avec lui des hasards de la vie, du besoin d’inattendu pour faire surgir de la beauté et de l’art. Un moment de lecture réjouissant et joyeux. Idéal pour lutter contre le coup de blues de la rentrée.

Ernest Mag Fottorino DixseptansEric Fottorino – Dix-sept ans – Gallimard : Le livre de sa mère

Eric Fottorino n’a pas besoin d’Ernest pour se faire connaître. Ce n’est pas une raison pour rater ce dernier roman magnifique de l’auteur de “Korsakov”, “Caresse de Rouge”, “Questions à mon père“, ou encore “l’homme qui m’aimait tout bas“.  Après deux immenses livres sur ses deux papas – naturel et adoptif – Eric Fottorino poursuit sa quête des origines avec un livre sur celle qu’il appelait “Lina” mais qui devient au fil des pages sa “petite maman”. Un dimanche après le repas dominical, Lina parle à ses enfants. Elle leur raconte comment son deuxième enfant lui a été arraché par sa mère car elle était trop jeune et déjà mère-fille à 17 ans d’Eric Fottorino. Cette nouvelle est pour l’auteur une forme de déflagration. Il se rend compte que cette maman, il ne la connaît pas. C’est ainsi que débute une quête.

Un Fottorino sensible dans les pas d’Albert Cohen

Celle de l’identité bouleversée de l’auteur. Il se rend à Nice, sa ville natale, pour comprendre ce qu’a pu vivre sa “petite maman” au moment de sa naissance. Comme dans “L’homme qui m’aimait tout bas” ou “Questions à mon père”, la plume de Fottorino est langoureuse et sensuelle. Sensuelle dans la façon dont il dit les maux de sa mère, mais aussi dans la façon dont il raconte sa recherche. Certains passages coupent le souffle tant ils sont beaux et universels. D’autres sont plus doux, plus tendres. Ce sont ceux où Fottorino entre – enfin – en relation avec sa mère et lui déclare même son amour. “Dix-sept ans“, ce n’était pas un âge pour avoir un enfant. “Dix-sept ans“, c’est un livre pour trouver une maman. C’est une déclaration d’amour aux mamans. Eric Fottorino dans les pas d’Albert Cohen signe ici “le livre de sa mère“. Superbe.

Ernest Mag Une Nuit Avec Jean SebergMarie Charrel – Une nuit avec Jean Seberg – Fleuve Editions : Une nuit lumineuse

Attention talent ! L’an dernier déjà, lors de la rentrée littéraire, Marie Charrel nous avait gratifié d’un beau roman sous forme de quête identitaire : “Je suis ici pour vaincre la nuit”. Cette année, elle revient avec “Une nuit avec Jean Seberg”. Et elle nous surprend encore. Dans le même roman elle parvient à aborder la radicalisation des jeunes, le journalisme, le whisky écossais Romain Gary et Jean Seberg et aussi les Blacks Panthers et plus largement la question de l’engagement. La quatrième de couverture nous raconte : “Lausanne, hôtel Beau-Rivage, 1970. Elizabeth, une jeune femme, algérienne par sa mère, afro-américaine par son père, est missionnée par les Black Panthers pour approcher un « gros poisson » et obtenir de celui-ci de quoi alimenter les caisses du parti. Mais le « gros poisson » en question, Jean Seberg au sommet de sa gloire, de sa beauté et de ses fragilités, se révèle moins facile que prévu à amadouer. Elizabeth tombe sous le charme de l’actrice qui, l’espace d’une nuit, bouleverse son regard sur l’existence et les luttes pour lesquelles elle était prête à tout sacrifier.”

Un livre émouvant

Mais au fond cette présentation ne dit rien d’un livre maîtrisé de A à Z qui passe d’une thématique à l’autre en gardant toujours un fil à plomb autour de la notion d’engagement. Charrel distille au fur et à mesure les informations sur cette nuit à l’hôtel beau-rivage de Lausanne, mais elle tisse aussi le lien avec l’histoire de ce jeune qui rêve de devenir journaliste et qui disparaît un beau matin. Tout cela avec le spectre d’une radicalisation. Le lecteur navigue ainsi entre Paris, la Turquie, la Suisse, les Etats-Unis des Black Panthers, le tout en suivant avec délectation les pérégrinations d’Elizabeth. Marie Charrel signe un roman tant intimiste que collectif. C’est d’ailleurs cela qui en fait le charme. Cette oscillation entre les questionnements des personnages autour des fidélités à leurs propres convictions mais aussi quant à leur place dans le monde. On ressort de cette lecture ému et avec l’envie de déguster un bon whisky. Un Ardberg de préférence, puisque c’est l’un des personnages du romans.

Ernest Mag Sujet Inconnu Loulou RobertLoulou Robert – Sujet Inconnu – Julliard : Addictif

En entrant dans “sujet inconnu”, nous n’y croyons pas forcément. L’histoire d’une passion dévorante ne nous semblait pas forcément des plus originales et des plus… passionnantes. Mais ce présupposé a été battu en brèche dès les premières pages du livre. L’écriture de Loulou Robert est abrasive. Elle vous prend, vous allume et vous embrase tant et si bien qu’il devient impossible de quitter les pages de ce roman qui raconte l’histoire de deux personnes qui s’aiment fort, très fort, mais qui s’aiment mal, très mal.

Écriture abrasive, tumultueuse et géniale

L’histoire est simple : une fois le bac en poche, l’héroïne de Loulou Robert quitte son Grand est natal pour Paris. Ses débuts dans la capitale sont complexes. Petit à petit elle s’adapte, grandit se sent bien. Et elle rencontre l’Amour. Celui qui va la faire passer de l’adolescence à l’âge adulte pour le meilleur et pour le pire. Car vite la passion devient dévorante et douloureuse. Et pourtant l’héroïne s’accroche. Au même moment sa maman tombe malade. Son père, lui, est toujours absent. Mais cette héroïne est forte, puissante et il est impossible pour le lecteur de la quitter. Loulou Robert – par son écriture d’une puissance rare – nous garde avec elle. En apnée. On ressort de la lecture sonné, hagard et certain d’avoir lu un livre fort. Un livre qui a le goût et la saveur de ces romans coups de poings que l’on a tant aimés et que l’on a lus d’une traite. Voici donc l’une des très belles surprises de cette rentrée littéraire. A lire comme il a été écrit : de toute urgence.

Ernest Mag Enfants Apres Eux MathieuNicolas Mathieu – Leurs enfants après eux – Actes Sud : Brillant et indispensable

Est-il possible de raconter l’adolescence, ses rêves, ses peurs et ses émois sans caricature et avec originalité ? Réponse : oui dans le dernier roman (son deuxième) de Nicolas Mathieu “Leurs enfants après eux” paru chez Actes Sud. Dans ce livre Mathieu raconte quatre étés dans la France périphérique de l’est durant lesquels Anthony, son cousin et la belle Stéphanie vont vivre tout ce qui fait l’attrait de cet âge, mais aussi tout ce qui en fait le dégoût. Entre 1992 et 1998, les héros vont grandir, évoluer, changer et se perdre pour se retrouver. Au-delà de ces histoires personnelles et individuelles, Nicolas Mathieu peint la France des années 90 et aussi la France périurbaine. Celle où les rêves des ados sont faits d’une volonté farouche de départ.

Un livre tendre, humain et indispensable

Ce livre est un très grand livre. Un très grand coup de cœur pour cette peinture de l’adolescence de la France des années 90 dans les lisières des villes. Il y a du Jean-Patrick Manchette dans ce roman. Dans sa dimension noire et dramatique, mais aussi dans sa dimension sociale. Le style de l’auteur prend à la gorge et aux tripes. Il raconte simplement (loin des discours  ampoulés d’un Edouard Louis) la reproduction sociale, la difficulté d’être et d’entrevoir un avenir. Il raconte aussi de façon universelle l’adolescence, le goût des premières fois. Toutes les premières fois. Les envies de filles, le tabac, la drogue, mais aussi les premiers rêves, les premières convictions. Ce livre est un livre monde. Un livre qui englobe son lecteur. Une très grande humanité traverse tout ce roman écrit avec tendresse, rage et lucidité. Les jurés du Goncourt feraient bien de regarder de plus près cette superbe fresque afin de couronner un roman total qui englobe l’intime et le collectif. Un livre indispensable et brillant. Un livre dont on se souvient longtemps.

Ernest Mag Sadorki Peche SlocombeRomain Slocombe – Sadorski et l’ange du pêché – Robert Laffont coll° la bête noire : Quand les salauds veulent se racheter

C’est confirmé, Philippe Kerr a un successeur, il est français et il s’appelle Romain Slocombe. Ici, nous avions déjà raconté tout le bien que nous pensions du projet de Romain Slocombe de raconter dans une trilogie puissante la collaboration française avec les nazis durant la seconde guerre mondiale au travers du personnage d’un salaud : l’inspecteur Sadorski. Au moment de lire le troisième opus, pas une ligne, pas une éloge n’est à retirer de ce que nous disons depuis longtemps sur ce projet. A savoir que cette œuvre romanesque est tout simplement énorme et d’une puissance rare.

Indispensable trilogie

Ce troisième tome se passe en 1943 au moment charnière où l’espoir commence à changer de camp et où les salauds tout en restant des salauds très zélés essayent déjà de préserver l’avenir en donnant quelques gages à la résistance et donc en étant profondément encore plus salaud. Le génie de Slocombe dans cette histoire c’est de ne pas juger forcément. C’est le rôle de l’historien. Celui du romancier que tient très bien l’auteur est de donner à voir une réalité grise. Un gris foncé et anthracite qui était la couleur la plus répandue à cette époque. Une trilogie romanesque que l’on aime et qui fait œuvre de mémoire. Comme dans la série télé “Un village Français“, toutes les nuances de l’arc en ciel sont présentes. Comme dans les plus belles œuvres : celles où la pluie et le beau temps se confondent.

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