7 min

Lettres migrantes : quand la littérature éclaire l’actualité

Ernest Mag Migrants

Comment la littérature s'empare-t-elle de la question des migrants ? Dans les médias, chez certains politiques, c'est un défilé de propos qui laisse de plus en plus de place à la peur et au repli sur soi. Des pays qui refusent de voir l'Aquarius accoster, des politiques qui se renvoient la balle, des citoyens qui se crispent. Cocktail explosif qui prend racine dans les peurs. Au premier rang desquelles : la peur de l'autre. Selon un sondage, trois quart des français étaient d'accord avec la décision d'Emmanuel Macron de ne pas accueillir les 58 migrants de l'Aquarius. Face à cette tragédie, que peut la littérature ? Parmi les livres de la rentrée littéraire, Emilie de Turckheim raconte l'arrivée d'un migrant afghan dans sa famille, une véritable ode à l'accueil de l'étranger. En mars dernier, Philippe Claudel a consacré au sujet une sublime fable, « l'Archipel du chien », quand des habitants d'une île sont confrontés à trois corps de migrants morts échoués sur la plage. Eric Valmir, enfin, avec « Pêcheurs d'hommes», nous offre un regard décalé, une plongée dans la vie des habitants de Lampedusa, tiraillés entre leur propre vie et l'aide aux migrants. Et si ces lettres migrantes - récit, roman ou fable - pouvaient être une planche de salut ?

Ernest Mag Prince Tasse TurckheimDifficile, l'accueil des migrants ? La petite musique entendue dans les médias et chez nombre de politiques est battue en brèche par le livre - superbe - d'Emilie de Turckheim "Le prince à la petite tasse", paru chez Calmann-Lévy. Ce récit sous forme de journal raconte l'accueil d'un jeune afghan chez elle, sous son toit, pendant un an. Une démarche qui peut sembler périlleuse et qui s'avère finalement, en plus d'être humaniste, enrichissante et joyeuse pour sa propre famille. Emilie de Turckheim : "dans les médias, les migrants sont définis uniquement par leur tragédie, il s'agissait ici de  montrer l'absolue singularité de chacun d'entre eux". Elle a donc voulu "extraire l'un d'entre eux pour lui redonner une existence propre". Ce journal dure un an. Il retrace la vie de ce migrant qu'elle accueille, son intégration en France, leurs discussions, leurs interactions. Elle raconte l'expérience de la proximité avec cet étranger sous son toit - " avoir quelqu'un de nu dans la douche juste dans la pièce à côté, qu'on ne connaît pas"-  « étranger » car il n'est pas de sa famille, mais d'une commune humanité.  Son livre abolit une distance entre « eux » et « nous ». "Vivre avec lui au quotidien, cela permet de se rendre compte que cette question des persécutions, de la guerre ne créé pas de mur de séparation. On pourrait se dire, ils ont vécu des choses si violentes qu'ils sont trop loin de nous. En réalité, il y a des éléments, comme les jeux de l'enfance, par exemple, qui sont des bases communes, des expériences communes, et qui, du coup, permettent des discussions communes."

Que sont les livres pour ceux qui n'en n'ont pas ?

La question de l'écriture et de la langue est présente tout au long du livre comme une mise en abîme, au travers de questionnements sur des traductions de mots, entre le dialecte afghan et le français, au travers des interrogations du jeune afghan sur le travail  d’Émilie de Turckheim : celui d'écrire de la poésie. L'auteure entrecoupe d'ailleurs son récit de plusieurs de ses poèmes. Le jeune afghan lui offre une sorte de penderie – destiné initialement à des vêtements, trouvé dans la rue, pour qu'elle puisse ranger ses livres, un geste qui la fait sourire et qui l'émeut aussi. "Le fait qu'il me pose la question des livres a eu un impact sur ce texte", explique l'auteure. "Que peuvent être les livres pour ceux qui n'en n'ont pas ? Ce livre, c'est aussi l'histoire de ce qu'est écrire". Et c'est bien cette écriture qui permet d'avoir accès à une autre réalité : "on n'a pas une résistance infinie aux info violentes et fausses dont on est abreuvées, qui présentent les étrangers comme une menace, alors c'est important de pouvoir être plongé dans une histoire qui donne à voir autre chose". Et lorsqu'elle rencontre des lectrices et ses lecteurs, Émilie de Turckeim constate : "l'image médiatique de 60 millions de Français égoïstes qui ne voudraient pas accueillir de migrants est fausse : j'ai reçu un grand nombre de message de gens dans des petits villages qui me racontaient comment eux aussi ont accueilli des migrants. Il y a énormément de gens s'investissent, je n'avais pas réalisé à quel point."