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Slocombe : “Le Vel d’Hiv, c’est une plaie française”

Pendant le mois de septembre et la fameuse rentrée littéraire où nous défendons l'ambition, Ernest va partir à la rencontre des auteurs des "InDIXpensables". Ainsi, vous retrouverez, sur le site, les interviews des dix lauréats et lauréates des prix littéraires de 2017. Du Goncourt, au Renaudot en passant par le Médicis et le Fémina. C'est ici, et ce dès le mois de septembre.

[caption id="attachment_3830" align="alignleft" width="483"]IMG 7000 crédit photo : DM[/caption]

Romain Slocombe est un auteur fantastique, mais il reste méconnu. Splendeur du journalisme littéraire à la française...Romain Slocombe est un orfèvre de l'écriture. Son style sobre et efficace en fait l'une des plumes les plus acérées de la littérature française. En fait, ernestiens et ernestiennes, vous le connaissez certainement. En 2011, il a publié le remarqué et remarquable "Monsieur le Commandant", dans lequel il relatait la dérive antisémite d'un écrivain pétainiste qui en arrivait à dénoncer comme juif l'un des membres de sa propre famille. Ce "Monsieur le Commandant" a été couronné du Prix Goncourt des Lycéens. Ensuite, Slocombe a publié d'autres romans remarquables. Avec un personnage phare : Ralph Exeter. Puis, l'an dernier, il s'est lancé dans une grande entreprise. Celle de raconter la collaboration à travers les yeux d'un flic des renseignements généraux. Le premier opus "L'affaire Sadorski" a été dans la deuxième liste du prix Goncourt et était déjà une très grande réussite. Cette année, c'est la bonne, Romain Slocombe remporte le prix Goncourt grâce à son vertigineux, sublime et passionnant "L'étoile jaune de l'inspecteur Sadorski" (notre critique est). Son inspecteur de police est, cette fois-ci, au cœur de la Rafle du Vel d'Hiv. Plaie française par excellence. Ô combien à vif. Même soixante dix ans après. Il n'y a qu'a se souvenir des déclarations ignominieuses de Marine Le Pen pendant la présidentielle selon qui "Vichy et le Vel d'hiv ce n'était pas la France" ou les cries d’orfraie entendus suite au discours salutaire du président Macron le 16 juillet dernier, reconnaissant à nouveau la responsabilité de la France dans l'évènement. Tout cela valait bien une rencontre avec l'auteur. Passionnante.

Pourquoi avez-vous décidé de vous intéresser à cette période de l’histoire ?

En fait, cela est venu un peu par hasard. Je suis tombé sur un récit réel sur cette époque en flânant chez les bouquinistes. Et puis, ma mère avait vécu une histoire complètement extraordinaire. J’ai appris qu’elle avait passé la ligne de démarcation vers la zone libre sans ausweis (laisser-passer) avec seulement son passeport anglais. Cela grâce à le générosité d’un jeune officier allemand qui ne l’a pas arrêtée. Il y avait quelque chose par rapport à cela. Au même moment, j’ai aussi découvert que ma grand-mère maternelle était juive, ce qui était un secret de famille. Ce secret m’a beaucoup intrigué. Ma famille était plutôt artistique, tournée vers la Résistance. Mon oncle travaillait à la BBC pendant la guerre. Ce secret n’avait donc pas de sens. Et pourtant,  ils ont caché le fait que ma grand-mère était juive. J’ai très bien connu cette grand-mère. J’étais proche d’elle. J’avais deviné et elle m’a dit « comme je suis contente que tu me le dises ». Le fait de cacher cela m’a fait beaucoup penser à l’antisémitisme montant dans les années 30. Tout cela s’est imposé à moi. Et cela encore plus quand j’ai trouvé les correspondances et journaux de guerre de mes grands parents.  Cela m’a donné envie d’écrire mon livre « Monsieur le Commandant » (Prix Goncourt des Lycéens 2011 qui est l’histoire d’une dénonciation familiale, NDLR) sur ce que c’était d’avoir une belle fille juive pour des catholiques bourgeois Français. En fait, dans ma propre famille j’avais quasiment toutes les couleurs de l’arc en ciel de cette époque. Cela a aussi déclenché mon intérêt pour la période de la collaboration où le roman et le roman noir ont toute leur place.

Ernest Mag L Etoile Jaune De L Inspecteur Sadorski 9782221187760 0

C’est cela qui vous a donné envie de vous intéresser à cette période ?

Oui. Et je travaille aussi beaucoup sur les journaux intimes. Parce que ce sont des choses authentiques, prises sur le vif. Il y a des détails sur la météo et aussi sur l’état d’esprit profond des auteurs de ses journaux à un instant T de la guerre. Cela donne un véritable éclairage sur la société française. Il y a l’ambiance de l’époque. Pierre Laval, par exemple, en plus d’être l'une des plus grosses ordures politiques de  l'histoire était extrêmement abruti puisqu’il se trompait toujours dans ses prévisions politiques. Au fond, ce que montrent les journaux intimes, c’est que toutes les situations sont là : ceux qui résistent, ceux qui collaborent, ceux qui s’intéressent au sport, ceux qui font du fric, ceux qui se terrent parce qu’ils ont une étoile jaune etc…

Pourquoi le raconter à travers de l’œil du salaud, ce flic des renseignements généraux, collabo zélé et "chasseur de juifs" ?

Il y a plusieurs raisons. Je l’avais déjà fait dans "Monsieur le Commandant", mais le salaud est alors distingué si l’on peut dire, puisque c’est un académicien français. C’est un antisémite français de tradition. Il n’est pas typique. Il n’est pas au centre de toute chose. Le policier, lui, l’est. Il se trouve que par hasard - lors des recherches de Monsieur le Commandant - je suis tombé sur le personnage réel de Louis Sadowsky que l’on surnommait le « mangeur de juifs ». C’était un type très désagréable qui a envoyé un nombre considérable de gens à Auschwitz. Puis, des historiens, comme Laurent Joly, ont travaillé sur le dossier de ce flic et ont publié beaucoup de choses sur le personnages. Puis dans le dossier de police de Louis Sadowsky, lui-même, j’ai découvert plein de choses qui ont nourri mon personnage. Ensuite, je suis tombé sur une phrase de Camus dans "Les Justes" qui dit « Le policier est au centre des choses ». Cela est très juste. Le policier est sur le terrain, mais aussi aux confins de la politique et de la justice. Cela m’a donné l’idée de faire ce livre autour de la collaboration et d’un policier. Pour faire le portrait de cette société de l’occupation, le personnage d’un fonctionnaire zélé est le véhicule idéal pour que le lecteur soit lui-même transporté au cœur de cette société dans tous ses aspects.

Et même Sadorski - le salaud - est plus dans le gris que dans le noir total...