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Rentrée littéraire 2019 (1/3) : En plein coeur

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Des livres qui touchent en plein coeur. Premier épisode de la rentrée littéraire à la sauce ernestienne !

Troisième rentrée littéraire pour Ernest. Les autres années nos sélections se sont avérées particulièrement judicieuses puisqu’elles ont permis à nos abonnés d’être les premiers au courant des livres qui allaient compter. En vrac : Gaëlle Nohant, Adeline Dieudonné, Nathan Hill, Nicolas Mathieu, Olivier Guez, Olivia Elkaïm, Romain Slocombe ou encore Alice Zéniter furent mis à l’honneur dans ces colonnes, d’abord.

Cette année, Ernest propose une sélection de rentrée littéraire en trois épisodes. Dans ce premier épisode, les livres qui nous ont touché en plein cœur. Des livres dont nous pensons qu’il faut absolument vous parler. Des livres qui ne seront pas tous dans les gazettes. Des livres qui vous raviront. Qui vous feront sortir des sentiers battus balisés. Dans le deuxième épisode, en ligne en fin de semaine, nous vous parlerons des mastodontes réussis et incontournables de cette rentrée. Teasing : il y sera question des Incas, et de l’Argentine entre autres… Puis dans le troisième épisode qui sera en ligne vendredi 30 août et actualisé tout au long du mois de septembre, nous vous présenteront les ovnis surprenants de cette rentrée. Ovnis que nous vous conseillons allègrement pour pimenter encore plus vos lectures de rentrée. Bonne rentrée, et bonnes lectures donc.

Le roman total et immense : “Le cœur de l’Angleterre”, Jonathan Coe, éditions Gallimard

CoeJonathan Coe est l’un des des plus grands écrivains contemporains. Jonathan Coe signe avec “le cœur de l’Angleterre” certainement l’un des meilleurs livres de cette rentrée littéraire riche. Pour le dire simplement : ce livre est une réussite totale. C’est d’ailleurs un roman total. Un roman dans lequel s’enchevêtrent l’histoire contemporaine récente (Brexit, réseaux sociaux omniprésents, montée des populismes….) avec les questions de vie des personnages qui arrivent à la cinquantaine et qui s’interrogent sur ce qu’ils ont ou non accompli. Le tout agrémenté de la satire joyeuse et mélancolique de l’auteur. Jonathan Coe a toujours osé. C’est ce qui fait son talent d’écrivain. Il a osé dans “Testament à l’anglaise” dépeindre au vitriol l’aristocratie britannique, il a osé avec “La pluie avant qu’elle tombe” manier une littérature de l’émotion avec la recherche des identités, il a osé avec “Bienvenue au club” et “le cercle fermé” s’attaquer aux questions contemporaines (les années 70 et le blairisme) avec recul, intelligence et acuité.

Un chef d’œuvre complet

Ce sont d’ailleurs les personnages de ces deux livres (qu’il n’est absolument pas nécessaire d’avoir lus pour apprécier le récit) que l’on retrouve dans “le cœur de l’Angleterre”. Ils ont vieilli, font le bilan de leurs vies et voient en même temps leur pays décider de voter pour le Brexit. Comment l’histoire avec un grand H influe-t-elle sur nos petites histoires individuelles ? Comment nos actions d’individus sont-elles des pierres sur la route de l’histoire collective ? Comment accomplit-on vraiment sa vie ? Toutes ces questions sont contenues dans ce livre sublime, doux, drôle, et parfait de ce génie qu’est Jonathan Coe dans la peinture de l’humanité. Ce “cœur de l’Angleterre” est un très grand livre. De ceux qui restent longtemps. Il touche au cœur, il interroge, il interpelle, il tend un miroir sur nos échecs, nos réussites, sur nos peurs individuelles et collectives. Jonathan Coe est un écrivain extraordinaire et ce livre vient une nouvelle fois le prouver. Dedans, il y a tout. Absolument tout.

 “Le coeur de l’Angleterre”, Jonathan Coe, Gallimard.

Un premier roman poétique : “A crier dans les ruines”, Alexandra Koszelyk, éditions Aux Forges de Vulcain

A Crier Dans Les RuinesAttention découverte ! Dans ce livre d’Alexandra Koszelyk, il y a Lena, Ivan, et la catastrophe de Tchernobyl. Lena est la fille d’un expatrié français. Elle vit à côté de la centrale dans laquelle son père travaille. C’est là-bas qu’elle se forge les songes d’enfance qui constituent les adultes que nous devenons ensuite. Lena et Ivan vivent ensemble leurs premiers émois. Ceux de l’adolescence. Ceux que l’on chérit à tout jamais. Et puis, un jour la catastrophe. Le père de Léna comprend immédiatement l’ampleur de ce qui vient d’advenir. Il s’arrange pour obtenir des visas pour quitter le pays. Le départ est précipité. Lena et Ivan sont séparés. Elle arrive en France. Tente de s’acclimater. Espère repartir. Écrit à Ivan. Il en fait de même. En vain. Les lettres n’arrivent pas.

Poétique et tendre : une immense découverte

Le livre entre alors dans une forme de mélopée qui oscille entre la vie de Léna et celle d’Ivan. Des vies qui les éloignent toujours un peu plus. Il y a une dimension shakespearienne dans cette histoire d’un amour impossible et total que narre Alexandra Koszelyk. Il y a aussi l’exigence d’une littérature qui englobe tout. Qui montre ce que les évènements font de nous. L’écriture de l’autrice est à la fois lyrique et sèche. Elle happe le lecteur pour le faire tourbillonner et le laisser s’interroger sur le devenir de ces deux être que tout oppose désormais mais qu’il faudrait rassembler. “A crier dans les ruines” c’est aussi, en creux, le roman qui interroge sur la finitude de notre modèle actuel de civilisation. Ce livre est superbe. Porté par une écriture poétique et tendre. Une très très belle découverte.

“A crier dans les ruines”, Alexandra Koszelyk, Aux forges de Vulcain.

La confirmation ultime d’un talent fabuleux : “La débâcle”, Romain Slocombe, éditions Robert Laffont

SlocombeTroisième rentrée littéraire d’Ernest et une nouvelle fois, Romain Slocombe place un livre dans notre sélection. Les deux fois précédentes, Romain Slocombe nous gratifiait de sa sage puissante qui interroge notre rapport collectif à la mémoire de ce que fut la France durant l’occupation. Cette année, Romain Slocombe délaisse son héros salaud “Louis Sadorski” pour placer son regard sur la débâcle. Cet espace de quelques jours durant lequel la France s’est totalement effondrée. Cet espace de quelques jours durant lequel tout ce qui était censé faire la France est tombé par terre. La débâcle qu’analysera si bien l’historien Marc Bloch dans son livre “l’Etrange défaite“. Il montrera avec une analyse d’historien fine et implacable tous les mécanismes qui ont conduit à ce désastre. Et notamment la trahison des clercs. Slocombe lui prend le désastre en romancier, il y insuffle des personnages croquignolets qui – tous- tentent de sauver ce qui peut encore l’être. Les uns leur statut de bourgeois installés, les autres leur honneur de soldat, les derniers leur qualité de Français.

Slocombe, conteur fantastique

Comme toujours chez Slocombe, les détails historiques rendent le roman toujours plus dense, toujours plus intense, toujours plus passionnant. La débâcle, nous la vivons réellement comme si nous y étions physiquement. C’est cela la force de Slocombe que de placer son lecteur dans cet instant d’histoire où plus rien n’était vraiment à sa place. Où l’on pressent que la suite est déjà en germe, où l’on sent que l’hallali nationaliste va ravager la France avec l’arrivée du Maréchal Pétain. Au final on referme le livre en ayant vécu une épopée. Une épopée noire. Mais une épopée savoureuse grâce au talent de conteur de Slocombe. Avec cette “débâcle” parue chez Robert Laffont, Slocombe aura l’un des prix littéraires de la rentrée. Et pourquoi pas celui de l’Académie Française ? On met une pièce dessus.

“La débâcle”, R.Slocombe, Robert Laffont.

Un uppercut d’une beauté rare : “Le temps des orphelins”, Laurent Sagalovitsch, éditions Buchet-Chastel collection Qui-Vive

SagalovitschEncore un roman sur l’holocauste pourrait-on dire. Et pourtant, on aurait tort de ne pas se laisser happer par cet uppercut d’une beauté rare signé par Laurent Sagalovitsch. Ce livre pose une question : où était Dieu pendant la Shoah ? Comment le divin a-t-il pu laisser se perpétrer un tel massacre ? Pour tenter de répondre à cette question, Sagalovitsch convoque Daniel. Daniel est un jeune rabbin américain qui décide de s’engager en tant qu’aumônier juif dans les forces armées américaines qui viennent libérer l’Europe. Et qui viennent aussi libérer les camps de la mort. Daniel entre donc dans Buchenwald. Y voit l’horreur. Y voit les ténèbres. Y sent vaciller sa foi. N’y comprend plus grand chose. Dans ces ténèbres, le rabbin aperçoit un enfant de 5 ans. Seul. Abandonné de tous. Abandonné de dieu. Daniel lui promet de retrouver ses parents.

Un livre précieux

Et si ce petit bonhomme de 5 ans était finalement tout ce qui nous restait quand tout a disparu ? Et si le vivant était finalement la seule chose qui comptait quand on fait face aux ténèbres ? Ce sont ces questions philosophiques fortes et puissantes que pose Sagalovtisch dans un texte d’une force rare, d’une pudeur chirurgicale qui nous permet de ressentir mieux l’histoire. C’est un roman qui interroge le cœur des hommes, ce que nous sommes, juifs ou non, quand nous nous retrouvons confrontés à un monde qui nous dépasse par sa cruauté et sa barbarie et dont nous cherchons sans cesse la signification. Ce livre est précieux. De ceux que l’on chérit longtemps. A lire absolument !

“Le temps des orphelins”, Laurent Sagalovitsch, collection Qui-Vive, Buchet-Chastel

L’ambition littéraire au sommet : “Rien n’est noir”, Claire Bérest, éditions Stock

KahloIl y a deux ans, Ernest avait été le premier a vous parler du roman immense de Gaëlle Nohant consacré à la vie de Robert Desnos. Il a ensuite été couronné de nombreux prix de libraires ou de lecteurs. Cette année nous sommes quasiment les premiers, à nouveau à vous inciter à lire “Rien n’est noir” de Claire Bérest. Claire Berest signe un livre en fusion. Un livre puissant qui raconte l’amour – passion – haine entre Frida Kahlo et Diego Rivera. Frida était l’une des plus grandes peintres de son époque. Cela grâce à une seule chose : sa rage de vivre. Ce livre c’est l’histoire d’une jeune femme, belle, amoureuse , victime d’un effroyable accident Celle qui jouait jusqu’alors avec son corps devient une femme , victime toute sa vie des pires souffrances, emprisonnée par un corset de fer. Malgré cela, Frida Kahlo va vivre, va aimer Diego Rivéra lui aussi monstre sacré de la peinture sud-américaine, et surtout va vivre. Intensément. Toujours.

Des personnages incandescents

Ce livre c’est l’histoire d’une rage de vivre, d’une force morale et humaine folle, c’est aussi l’histoire d’une femme qui se moque des regards des autres et qui vit. Tout ce qu’elle veut. Et elle veut tout. Dévorante. Ce livre raconte au fond que tout est possible. A la place de Frida Kahlo, la majorité des gens aurait abandonné. Pas elle. Et son parcours, sa force, sa rigueur morale, sa volonté, sa joie de vivre sont communicatifs. Ce livre est une claque. Une ode au bouleversement des codes à l’image de ce qu’est – du fait de son accident – la technique de peinture de Kahlo. C’est un livre sur la passion, la rage, et surtout sur ce que signifie le fait de vouloir être libre. Claire Bérest signe là un très beau roman qui est l’un des évènements de cette année 2019. A ne rater sous aucun prétexte !

“Rien n’est noir”, Claire Berest, Stock.

L’enfance en miroir de nos vies : “Mikado d’enfance”, Gilles Rozier, éditions de l’Antilope

MikadoenfancePeut-on être antisémite quand on est petit-fils de déporté ? C’est la question qui d’un coup, alors qu’il s’apprête à donner une conférence sur la mémoire, assaille Gilles Rozier le personnage central du livre. Gilles Rozier revient sur un souvenir pivot de son existence. De ceux qui modifient justement le cours de cette existence, qui lui font changer de cap. Le livre démarre par une lettre reçue par le narrateur – Rozier himself. Elle provient d’un ami perdu de vue depuis plus d’une trentaine d’années. Avec cet ami, Rozier avait été exclu de son collège parce qu’avec ce camarade et un autre ils avaient envoyé une lettre antisémite (“Vieux juif tu seras puni par le IIIème Reich”) à leur prof d’Anglais.

Un récit solaire et initiatique puissant

Avec sensibilité et une intelligence toute en nuances et en sensibilité, Gilles Rozier devenu depuis l’un des éminents défenseurs de la culture Yiddish, revient sur ces moments de l’enfance et de l’adolescence où l’on est capable de basculer. Il interroge aussi nos éclipses de mémoire puisqu’il convient qu’il en était presque venu à ne plus se souvenir de cet évènement qui pourtant a changé le cours de son existence. Invitant ses parents à lui parler de l’histoire familiale jusque là tue, mais aussi l’incitant, lui, à comprendre d’où il venait, et à cultiver en allant en Israël ou en étudiant le Yiddish cette part de lui. Ce “Mikado d’enfance” est un livre tendre. Un livre qui émeut le lecteur dans ce qu’il a à la fois de singulier, mais aussi d’universel. Ce “Mikado d’enfance” raconte finalement le chemin initiatique qu’est la vie. Fait d’embûches et de nouveaux départs. Ce récit est puissant et solaire. Il est celui d’une quête de soi. Mais signe des grands textes, cette quête racontée par Rozier est universelle. Touché.

“Mikado d’enfance”, Gilles Rozier, éditions de l’Antilope

Une auscultation précise et passionnante des lâchetés humaines : “Nos guerres intérieures”, Valérie Tong-Cuong, éditions JC Lattès

Les Guerres InterieuresCe qu’il y a de fantastique avec Valérie Tong-Cuong, c’est sa capacité toujours renouvelée à happer le lecteur, à l’emmener avec elle dans une histoire toujours différente, mais toujours passionnante. Comédien de seconde zone, Pax Monnier a renoncé à ses rêves de gloire, quand son agent l’appelle : un grand réalisateur américain souhaite le rencontrer sans délai. Passé chez lui pour enfiler une veste, des bruits de lutte venus de l’étage supérieur attirent son attention – mais il se persuade que ce n’est rien d’important. À son retour, il apprend qu’un étudiant, Alexis Winckler, a été sauvagement agressé. Un an plus tard, le comédien fait la connaissance de l’énigmatique Emi Shimizu, et en tombe aussitôt amoureux – ignorant qu’elle est la mère d’Alexis. Bientôt le piège se referme sur Pax, pris dans les tourments de sa culpabilité. Voilà pour le pitch.

Un beau roman sur ce que regretter veut dire

C’est alors que le talent de Tong-Cuong entre en scène. Avec ce pitch elle brosse le portrait de nos lâchetés, de nos vicissitudes, et surtout de nos contradictions. Nos rêves et nos réalités, nos convictions et nos actes. Comme toujours chez elle, il n’y a pas un mot de trop, l’écriture est limpide, simple, efficace, au service du lecteur. Valérie Tong-Cuong nous plonge dans les affres du remords, dans les regrets, et les mensonges ? Comment vivre avec cela. C’est brillant, beau, tout en nuances. L’une des belles lectures de cette rentrée.

“Nos guerres intérieures”, Valérie Tong-Cuong, JC Lattès

3 commentaires

  • […] Ernest fut l’un des premiers médias, si ce n’est le premier à vous faire découvrir Alexandra Koszelyk et son magnifique premier roman « A crier dans les ruines » (Il est sorti en poche. Donc n’hésitez pas). Comme vous ne devriez pas hésiter une seconde […]

  • […] souvent, Ernest fut l’un des premiers médias, si ce n’est le premier à vous faire découvrir Alexandra Koszelyk et son magnifique premier roman “A crier dans les ruines” (Il est sorti en poche. Donc n’hésitez pas). Comme vous ne devriez pas hésiter une seconde à […]

  • […] Benoît Authier, le propriétaire des lieux, n’a pourtant rien d’un devin. « Les circonstances ont fait que nous avons aménagé la vitrine autour du thème de Tchernobyl juste avant la crise car nous devions recevoir Alexandra Koszelyk pour la sortie de son premier roman "A crier dans les ruines", qui retrace l’odyssée d’une jeune femme déterminée à retrouver son pays et son amour, détruits par l’accident nucléaire », confie-t-il. (Ernest vous parlait de cette très belle découverte ici) […]

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