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Théo Klein, le guetteur

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Un jour du mois de décembre 2008, avec un ami qui m’est très cher, alors qu’il venait d’avoir 30 ans, je l’ai emmené – avec la complicité de sa copine – rencontrer Théo Klein. Il nous avait donné rendez-vous dans son bureau de KGA avocats le cabinet qu’il avait fondé. Avant le rendez-vous quand nous l’avions eu au téléphone pour lui expliquer qu’il serait le cadeau d’anniversaire de notre ami, il avait été amusé. Très amusé. “Être le cadeau d’anniversaire de quelqu’un, il a fallu attendre 88 ans pour ça, c’est joyeux”, avait-il souri au téléphone….

Le rendez-vous devait durer une heure, en fait, il dura plus de trois heures. Avec mon ami, nous nourrissions une vrai curiosité intellectuelle pour cet homme, jeune chef de la résistance juive pendant la guerre, puis président des étudiants juifs de France, puis président du CRIF. Il portait alors la voix d’un judaïsme libéral, ouvert sur le monde. Théo Klein n’étaient pas de ceux qui vous assignent dans une case pour ne plus jamais vous en sortir. Théo Klein était quelqu’un qui écoutait, qui voulait vous rencontrer. Durant ce moment “magique” d’intelligence que nous passâmes avec lui, il a souhaité en connaître le maximum sur nous. Pourquoi donc avais-je trouvé intéressant de “l’offrir” en cadeau d’anniversaire ? Pourquoi pensions-nous qu’à 88 ans il pouvait encore être utile à nos réflexions de jeunes juifs laïcs ?

Nous échangeâmes aussi, beaucoup, ce jour-là, sur la question de l’éthique et finalement de ce qu’il appelait “le métier d’homme”. Je me souviens qu’il insista beaucoup sur l’éthique. Selon lui, c’était à la fois une façon de conduire sa propre vie et une règle essentielle du vivre ensemble, dans un aller-retour fécond. Seul mais ensemble, en somme. Théo Klein était un guetteur (comme le titre de l’un de ses livres). Curieux, attentif, vigilant aussi. Tel le coq qui guette les errements des autres, de lui même, et des siens. Pour alerter. Toujours. Comme lorsqu’il décida de critiquer les positions du CRIF qu’il avait pourtant porté sur les fonds baptismaux.

L’autre aspect de la personnalité de Théo Klein était sa grande liberté. Immense même. Sa capacité à suivre son éthique et d’être toujours fidèle à son fil à plomb. Cela lui permettait d’être à la fois grand lecteur de la Bible et, simultanément, militant laïque et républicain, d’avoir sûrement été le plus grand président du CRIF. Peut-être même, le seul président du CRIF tourné vers le monde : “Je souhaite que les juifs soient présents dans la société française, comme citoyens d’abord, mais aussi en tant que juifs”, disait-il. Libre aussi quand il appelait à libérer la torah de ces vicissitudes qui n’étaient pas en lien avec l’humanisme qu’il défendait. Libre toujours en ce qu’il aimait les mots, les interrogations, les débats. Libre enfin quand il s’agissait de connaître la Bible en profondeur pour pouvoir ensuite s’en défaire.

Citoyen d’abord

De même qu’il défendait une vision laïque et éthique du monde, il défendait un judaïsme entendu comme une philosophie de la vie plus que comme une religion. Ce jour de décembre 2008, il nous avait notamment dit : “Je comprends le mal-être et le désarroi de celui ou de celle à qui l’on dit : « tu n’es pas juif car ta mère ne l’est pas ». Cette vision réductrice de l’essence même du judaïsme ne colle pas avec l’universalité de notre religion. Pour moi, le judaïsme se conquiert, il ne nous tombe pas dessus”.

Il aimait Camus, Amos Oz, le jazz et les livres. Quand nous sommes allés le voir, il venait d’apprendre qu’il ne pourrait plus jamais voir assez bien pour lire bien tout seul. Ses ami (e)s lui faisaient du coup la lecture. “Ça c’est vraiment dur”, disait-il. Je me souviens de chaque instant de cette rencontre. Parce qu’elle fut une rencontre au sens littéral du terme. C’est-à-dire que le contact entre nous et Théo Klein avait vraiment eu lieu. Que l’énergie entre nous était passée. Au lancement d’Ernest il y a 2,5 ans, je m’étais rappelé à son bon souvenir. Je voulais organiser avec lui une “Apostrophe” cette interview où l’intéressé (e) parle des livres qui l’ont construit et forgé et de sa relation à la lecture, tant je pensais que les lectrices et les lecteurs d’Ernest pouvaient avoir en commun avec cet homme Universaliste. Il avait – affaibli – décliné. Dommage, j’aurais aimé vous le faire connaître au travers des colonnes de ce journal qu’est Ernest. Heureusement, il vous (nous) reste ses livres. Lisez-le. Lisons-le.

Salut et Fraternité à toi Théo Klein !

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