“L’histoire fera le récit des faits. Qui fera le récit des âmes” ? Dans cette exergue, Gaudé se fixe le cap. Le cap d’un livre qui touche au coeur et qui emporte le lecteur dans l’un des événements les plus marquants des dernières années. Le 13 novembre 2015. Bataclan, terrasses, stade de France. Dans ce récit-roman, Gaudé narre ce qui a été perdu. Ce qui a été fauché ce jour-là. La beauté, l’insouciance, l’amour. Avec “Terrasses ou notre long baiser si longtemps retardé”, Gaudé signe un récit-roman qui oscille délicatement entre l’hommage et la catharsis, et réaffirme le rôle essentiel de la littérature dans notre appréhension des événements qui bouleversent l’humanité.
Le livre de Gaudé se présente comme un tissage de voix et de destins interrompus, où chaque personnage semble émerger des ombres pour raconter sa part de nuit. L’auteur excelle à donner chair à ces âmes, à ces instants volés à la vie par la brutalité d’un soir d’horreur. Dans un passage particulièrement poignant, il écrit : “Les mots, c’est tout ce qui nous reste quand les lumières s’éteignent et que les rires se taisent.” Cette phrase résume la démarche de Gaudé : recueillir les mots, les souffles, les rêves non accomplis.
Beauté cathartique
La prose de Gaudé est une prose de la résilience, mais aussi du détail. Il parvient à capturer l’essence des moments, des lieux — ces terrasses autrefois lieux de convivialité devenus des scènes de perte. Il décrit par exemple le café où l’on “s’attardait pour refaire le monde, sans savoir que le monde, justement, allait être refait sans nous.” C’est là que la littérature prend toute sa dimension : elle raconte, certes, mais elle restaure aussi ce que la tragédie a fragmenté.
Au-delà du récit des événements, Gaudé interroge notre rapport au monde après le drame. Comment continuer ? Comment se souvenir sans se perdre dans la douleur ? Il suggère que la mémoire, aussi douloureuse soit-elle, détient une forme de douceur, un fil d’Ariane dans le labyrinthe du deuil. “Nous sommes les gardiens des absences qui peuplent nos vies”, écrit-il, implorant ses lecteurs de ne pas détourner le regard, mais d’embrasser la complexité des sentiments que suscite le souvenir.
En définitive, “Terrasses ou notre long baiser si longtemps retardé” est bien plus qu’un hommage aux victimes d’une soirée tragique. C’est une réflexion profonde sur le rôle de l’artiste face au chaos, sur le pouvoir de la littérature de tenir tête à l’obscurité. Gaudé, avec une sensibilité et une finesse remarquables, nous invite à voir en la littérature non seulement un miroir de nos tragédies mais aussi une boussole pour nos âmes égarées. Laurent Gaudé, une fois de plus, prouve que les mots peuvent être un baume, un refuge, et parfois même, une forme de salut.
Terasses, Laurent Gaudé, Actes Sud.