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Le chagrin et la dignité

Colum McCann 2021 C Christopher Booth

Écrivain curieux des autres et attentif aux parcours singuliers, Colum McCann a aidé Diane Foley à raconter l’histoire de son fils James, reporter de guerre victime de la barbarie islamiste.

S’effacer, observer et écouter pour devenir la voix d’une autre. Se couler dans les pensées de celle qui a vécu l’horreur, traduire sa sidération, sa douleur, son traumatisme. Colum McCann a fait ce choix magnifique en accompagnant Diane Foley lors du procès d’un des bourreaux de son fils James, puis en retraçant cette épreuve dans un livre de témoignage essentiel, « American Mother », dont les lecteurs français ont la primeur.

Fier et sans peur

McCANN American MotherSous la plume de l’écrivain irlandais, Diane Foley revoit les débuts tâtonnants de « Jim » comme journaliste indépendant, sa quête de sens et de reconnaissance jusqu’à l’épreuve du feu, à la guerre. Un portrait contrasté où son amour inconditionnel de mère n’efface pas ses doutes, ses questionnements. « Je voulais raconter son histoire pour que les gens le connaissent », explique-t-elle au public réuni à la Maison de la Poésie, le 16 janvier, pour une soirée-débat forte en émotion.

« Pour moi, il s’agissait d’honorer quelqu’un de fier, sans peur, qui incarnait le courage moral », lui fait écho Colum McCann. Le jeune reporter américain est pris en otage une première fois en Libye, en 2011, par les troupes de Kadhafi, et en revient au bout de six semaines. En Syrie, un an plus tard, capturé par les jihadistes de Daech, il endure les tabassages et la torture. Ses geôliers sont des voyous londoniens convertis à l’islam, surnommés avec dérision les Beatles. Dans le livre, Diane revit la souffrance morale et physique de son enfant, retrace son quotidien de souffre-douleur. Jusqu’à ses derniers instants.

« Sortir de l’horreur quelque chose de bon »

Comment survivre aux images de la décapitation, à la vue de la tête de Jim posée sur son buste ? Comment accepter que Washington s’attache à libérer ses soldats mais ne négocie jamais pour des civils ? « Il était nécessaire de sortir quelque chose de bon de cette horreur », confie-t-elle à son auditoire parisien. Elle en a fait son combat, jusqu’à infléchir la politique américaine en matière d’otages et recevoir un timide mea culpa de Barack Obama, peu à son avantage dans cette affaire. « Depuis la mort de Jim, des centaines d’otages américains ont pu rentrer chez eux », se convainc-t-elle.

Reste ce sentiment de perte, le souvenir de sa famille cernée par les médias et lâchée par les autorités. L’incohérence d’un gouvernement qui s’est refusé à payer une rançon pour sauver son fils (à la différence des Français et des Espagnols) mais a dépensé 50 millions de dollars dans le procès d’un des sinistres Beatles. Diane Foley a ravalé son amertume et tenu à y assister : « Jim aurait voulu que je rencontre son bourreau. Et je voulais dire à celui-ci qui était Jim. L’ironie est que Jim avait écrit sur des jeunes tels que lui. » La présence à ses côtés de Colum McCann, dans ce tribunal de Virginie, en avril 2022, l’a beaucoup aidée.

Des sentiments puissants, des passages bouleversants

« Ce procès a été un des moments les plus forts et les plus difficiles de ma vie, a avoué l’écrivain lors de ce même débat. Je croyais qu’il allait être  James Foley Happier Timesagressif, ou au contraire se confondre en excuses, mais il a été malin ou du moins a cherché à l’être. » Le livre salue une justice qui a tenu son rang. Il rend aussi hommage à la presse. « C’est un livre sur les journalistes, sur leur pouvoir. Ils sont là pour raconter des histoires ignorées. Et le ciment du monde, ce qui le fait tenir, ce sont les histoires, nos histoires », a encore souligné Colum McCann. La mort de Jim, parti au front par ses propres moyens, a servi de leçon. Grâce à la fondation Foley, les médias américains se sont engagés à ne plus envoyer de free-lance couvrir les zones de conflit.

Cette dimension militante, nécessaire au fragile équilibre trouvé par Diane Foley, couronne ce récit digne, tout en retenue, traversé de sentiments puissants et de moments bouleversants. Le portrait d’un reporter curieux de tout, proche des gens simples, habité par son rôle. L’image d’une famille américaine soudée par la droiture et l’éducation. L’émotion de Colum McCann quand il a découvert une photo de James Foley en Afghanistan, sous les bombes, en train de lire le roman qui l’a consacré, « Et que le vaste monde poursuive sa course folle ». Parce qu’il chante la vérité, la curiosité, la générosité, « American Mother » est une superbe réplique à l’obscurantisme.

« American Mother », de Colum McCann, avec Diane Foley, Belfond, 208 pages, 21,90€

Notre entretien avec Colum McCann pour son précédent roman “Apeirogon”, qui se passe notamment en Israël, est ici. Il nous confiait : “l’écrivain affronte le chagrin du monde”.

Tous les coups de foudre d’Ernest sont là.

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