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Tu vas aimer #4 – « Lettre au père » de Kafka par Karine Tuil

Ernest Mag Vigoli Tuil2

« Tu vas aimer ». C’est ce que l’on dit lorsque l’on tend le paquet. Dedans, il y a un livre. Ce livre que nous aimons offrir parce que nous avons envie de partager avec le destinataire du cadeau l’émotion qu’il nous avait procuré. Pourquoi offrons-nous ce bouquin là plutôt qu’un autre ? Ce mois-ci, Lisa Vignoli auteure et journaliste, fait parler l’excellente romancière, Karine Tuil.

Karine Tuil fait, depuis son premier ouvrage, le bonheur de nombreux lecteurs. Elle nous a transportés avec “L’invention de nos vies”, bouleversés avec “L’insouciance” (Gallimard). Après la publication de dix romans, elle dit avoir trouvé son rythme d’écriture optimal, et publie un livre tous les trois ans.  Le reste du temps, cette grande lectrice aime offrir ceux des autres. Son choix, « Lettre au père » trouve un écho particulier en elle et chez les autres, espère-t-elle.

TUIL Karine Photo 2016 (c) F. Mantovani

TUIL Karine Photo 2016 (c) F. Mantovani

“Il y a eu un moment dans mon parcours de lecture, ma vie de lectrice où je lisais les livres dont les auteurs parlaient dans leur œuvre. Un auteur me conduisait à un autre et ainsi de suite. C’est ainsi que  j’ai découvert en lisant Philip Roth, les écrivains Saul Bellow et Bernard Malamud. De la même façon, je ne me souviens plus lequel mais c’est un livre qui m’a conduite à cette “Lettre au père” de Kafka. C’est un texte très court d’une cinquantaine de pages mais un très grand texte qui éclaire l’œuvre de Kafka et sa personnalité. Il l’a écrite en 1919, cinq ans avant sa mort. Il avait alors 35 ans, ne l’a jamais envoyée à son père mais elle a été publiée en 1952. C’est une missive très dure dans laquelle il lui reproche ses méthodes éducatives, sa dureté et qui éclaire complètement sur ce qu’il est devenu dans les années qui ont suivi et précédé sa mort : un homme inquiet, qui parle tout le temps du mariage alors que son père était contre (c’est le sujet originel de la lettre).

“Quand je l’offre, je pense “tu me remercieras””

Kafka à plusieurs reprises y écrit qu’il se sent nul, un raté, alors qu’il a déjà écrit une partie de son œuvre. C’est assez intéressant à observer. Dans une des scènes, il raconte qu’un jour il appelle son père dans la nuit pour qu’il lui apporte un verre d’eau et il finit sur le balcon. Qu’un père ait cette autorité-là a profondément joué chez lui.
Je connaissais bien son œuvre avant de lire ce texte mais je pense que chaque lecteur peut y trouver un écho. Quand j’ai des rencontres avec des lycéens je leur conseille de l’acheter. Car c’est à la fois court et extrêmement fort du point de vue littéraire. La phrase est souple et puissante. Souvent quand je l’offre je pense “tu me remercieras” même si j’aime offrir les livres qui m’ont marquée et que je ne me soucie pas de la réception. C’est presque un plaisir égoïste d’ailleurs d’offrir un livre. On est souvent déçus par la réaction.

Ernest Mag Lettre Au Pere“Presque un plaisir égoïste d’offrir un livre”

En fait je me rends compte qu’on m’en parle rarement après coup. J’ai souvent offert des livres sur le rapport filial, notre place dans la société. Cette lettre en fait partie : comment on trouve sa place dans la société quand on a eu un père, le poids de la tradition… Après, il y a des textes que j’ai beaucoup aimés mais pour lesquels j’ai toujours eu des hésitations à les offrir. “La bête qui meurt” de Roth par exemple. A cause de ses scènes crues. Et puis il y a ceux que je me suis lassée d’offrir. L’autobiographie du poète Joseph Brodsky, par exemple, un livre que j’aime profondément, on ne m’en parlait pas non plus donc j’ai arrêté.
C’est toujours un pari risqué de toute façon. L’avantage avec la “Lettre au père” de Kafka c’est que l’on contente tout le monde. Ceux qui ont lu Kafka, ceux qui ne l’ont pas lu. Qu’ils soient de bons lecteurs ou des lecteurs occasionnels, ça marche.”

Tous les “Tu vas aimer” de Lisa Vignoli sont là.

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