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Lisa Vignoli : on parlera encore d’elle

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Se laisser happer et passionner par un homme dont on avait aucune connaissance avant d’ouvrir un roman est un plaisir particulier. Avec “Parlez moi encore de lui”, le très beau premier roman de Lisa Vignoli, paru chez Stock, le lecteur se passionne dès les premières lignes pour Jean-Michel Gravier. Un homme sincère et libre.

Ernest Mag Parlez Moi Encore De Lui Lisa VignoliDans “Parlez-moi encore de lui”– premier roman très maîtrisé et très prometteur – Lisa Vignoli, jeune trentenaire, se plonge dans les années 80. Surtout, elle part à la rencontre de ce Gravier dont Bruce Toussaint lui a dit un jour “je suis sûr qu’il te plaira”. On découvre un personnage haut en couleurs, prêt à tout pour défendre un film ou un artiste. Une sorte de gonzo journaliste mondain à la Française. Ce qui frappe à mesure que l’on découvre Jean-Michel Gravier sous la plume de Lisa Vignoli, c’est la façon dont il a marqué profondément les gens qu’il a croisés. Plus largement, Jean-Michel Gravier était un homme entier. De ceux qui ne font pas les choses à moitié. Dans la réussite comme dans l’échec. Un vrai personnage de roman. Gravier, c’était quelqu’un de profondément humain. Sans le connaître et même en ayant une vie à 100 milles lieux de la sienne, on peut se reconnaître dans Gravier. Dans sa quête d’absolu et dans son rapport si touchant et si humain avec l’Autre. En creux, le récit pose aussi la question universelle : après ma mort, que restera-t-il de moi ?

En rencontrant Lisa Vignoli, nous avons eu envie de parler avec elle de ce personnage énigmatique et séduisant, mais aussi plus largement des années 80, et du journalisme. Ce métier de passeurs. Rencontre avec une auteure en devenir.

Pourquoi Lisa Vignoli –  journaliste trentenaire – s’est-elle intéressée à Jean-Michel Gravier qui sévissait, lui, dans les années 80 ?

Lisa Vignoli : A partir du moment où l’on m’a glissé son nom à l’oreille, que j’ai fait quelques recherches sur lui, j’ai été gagnée par le personnage de Jean-Michel Gravier. Par son incandescence. Ensuite, j’ai fouillé encore, j’ai lu ses écrits, et quelque chose de très fort a résonné en moi. Que ce soit dans son rapport fraternel aux autres, mais aussi dans sa façon d’exercer ce métier que nous partageons, lui et moi, le journalisme. Aujourd’hui, un journalisme comme le sien, très enthousiaste, n’est plus réellement possible. J’aime son enthousiasme et sa façon de ne pas se mettre de barrières pour défendre un film ou un livre. Après, ce qui m’a interpellée aussi, c’est qu’alors que je me suis beaucoup intéressée aux années 80, je n’avais jamais entendu parler de lui.

Si vous deviez définir Gravier en un mot, ce serait lequel ?

C’est un passeur. J’ai même songé à intituler le livre “Le Passeur”. Après je pense que dans le journalisme, nous devons tous être des passeurs. Mais Gravier, lui, a été un passeur, jusqu’au point de s’oublier lui-même. Il s’est oublié pour les autres. Il n’a pas écrit son grand livre. S’oublier au travers des autres, c’est très beau au fond. Mieux, c’était quelqu’un de vrai. Profondément vrai. Il était avec les autres celui qu’il était vraiment. Sincère.

“Les années 80 ont un paradoxe : tout était permis, mais tout a été sanctionné”.

Certains traits de sa personnalité te correspondent-ils ? Qu’est ce qui t’a le plus attirée ?

Oui. Par exemple, je peux comme lui faire passer la promotion des autres avant la mienne. Aussi, je pense que je peux être comme lui et n’être jamais blasée et m’enthousiasmer très souvent. Après de nombreuses choses nous opposent. Je ne suis pas une femme de la nuit. Sa liberté est attachante et très bluffante. Serait-elle possible aujourd’hui ? Je ne sais pas.

Cela veut-il dire que nous étions plus libres dans les années 80 ?

J’ai un peu ce sentiment oui. Je ne suis pas certaine que notre société actuelle accepte réellement la liberté et la marginalité. Jean-Jacques Beneix, par exemple, que Gravier a énormément défendu, reste un peu mis de côté par l’industrie cinématographique parce qu’il est très libre. Il ne rentre pas dans les cases imposées d’aujourd’hui.

Les années 80, le mythe des années festives où tout était possible… Dans le livre, il y a aussi cette fascination pour ces années là. Au final, quel est ton regard sur cette époque ?

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Crédit : DM

Je n’avais pas de fascination a priori pour les années 80. Mais je me suis rendue compte qu’effectivement, c’était quand même  quelque chose de fou. J’aurais aimé connaître cette époque. Toutefois ce que je ressens n’est pas une fascination, car au travers Gravier et son parcours on entrevoit la morale des années 80 qui pourrait se résumer ainsi : “Tout est permis et tout sera sanctionné”. Tout était possible, mais tout a mal fini. Au fond, c’est aussi l’histoire de “120 battements par minute”. Sortir et vivre, mais il y a eu aussi une sanction cruelle. Le mythe positif des années 80 n’est pas une réalité totale.

L’autre personnage du livre, c’est le journalisme.

Dans le journalisme, la liberté de Gravier n’est plus réellement possible. Il y a beaucoup trop de cadres. Quand il était au “Matin de Paris“, il était la risée de beaucoup de ses confrères, mais il persistait et il était soutenu par sa hiérarchie. Il osait parler du monde people et traiter cela de façon aussi faussement légère. Le parcours de Gravier est un exemple de journalisme libre et enthousiaste. Enfin, Gravier c’est une ode à la curiosité journalistique.

Quand vous avez commencé à travailler sur le sujet et vous êtes allée voir ses amis, quelle a été leur réaction ?

Certains m’ont dit : “Si Gravier savait que vous lui consacrez un livre alors que vous avez 30 ans, il vous mettrait une baffe en disant qu’il y a autre chose à faire”. D’autres, plus proches de lui, n’ont pas été si surpris que cela. Ils ont été accueillants et ont trouvé qu’au fond c’était aussi lui rendre justice.

Quelle est la frontière entre fiction et récit journalistique ?

Ce livre est écrit sous forme de roman puisque je m’y raconte aussi. Tout ce que je raconte de lui est vrai. Après certaines phrases, certaines situations sont des choses inventées qui ont tout à fait pu se produire. Je les ai utilisées pour montrer quelle était sa personnalité profonde et la façon dont il pouvait se donner aux autres corps et âmes. Au nom de l’amitié.

Pourquoi Jean-Michel Gravier est-il le sujet de ce premier roman ? Pourquoi ce projet d’écriture est allé au bout et pas d’autres ?

Bonne question. J’ai écrit des choses très personnelles auparavant. Que je n’ai pas terminées ou pas abouties. Au fond, pour un premier livre, je crois que j’avais besoin de cet entre deux entre mon métier habituel (faire des portraits, des interviews etc…) et le roman. Du coup, cela me correspondait parfaitement.

“Gravier représente un absolu assez universel au fond”

IMG 3368Quelle est la sensation de la première fois ? Qu’est ce que l’on ressent dans l’histoire de la publication ?

Je n’avais aucune attente particulière. Tout était plus beau que ce que je ne pouvais l’imaginer. Que ce soit pour le rendu du manuscrit, pour le premier service de presse que l’on dédicace, ou l’envoi dans les librairies.
Au fond, je ne sais pas si j’ai encore réalisé le fait d’avoir publié un livre. Le plus douloureux ce fut le moment où je n’ai plus eu le droit de changer les virgules ou une tournure de phrase.

Et les premiers retours de lecteurs ?

C’est une réelle bouffée d’air. Ce qui me touche c’est que ce sujet qui peut paraître très confidentiel peut devenir universel dans le sens où Gravier peut devenir un ami. On aime ce personnage, on a envie de le connaître. Gravier représente un absolu assez universel au fond.

Et vous quelles sont vos lectures ?

Je lis beaucoup d’auteurs français. Annie Ernaux me bouleverse et me scotche. Quelle intelligence et quelle simplicité. C’est sublime. Emmanuel Carrère aussi me subjugue par son style et l’entremêlement de la réalité de la fiction. Je suis aussi dingue de Jay McInerney (Comme Ernest, ici et là, NDLR). C’est du pur génie. Enfin, l’un de mes livres cultes est aussi la clef de Junichiro Tanizaki.

“Parlez-moi encore de lui”, de Lisa Vignoli, Stock, 240 pages, 19,50 euros.

Retrouvez le questionnaire décalé de Lisa Vignoli

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