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Richard Malka : “La littérature est un refuge”

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Avocat, scénariste de BD, romancier, Richard Malka est un touche-à-tout talentueux. En ce début 2021, il a été l'un des acteurs centraux du procès des attentats de 2015 et a livré une superbe plaidoirie pour la liberté d'expression et le "droit d'emmerder Dieu". Il vient de publier "Le Voleur d'Amour" chez Grasset, son deuxième roman. L'occasion rêvée pour aller à la rencontre littéraire de ce passionné. Homme libre et attachant qui aime construire des mondes.

Photos PATRICE NORMAND

Richard Malka 21Le matin de notre rendez-vous, il fait froid. Très froid. C’est une journée sombre et glaciale d’hiver. Alors que nous pénétrons dans le bureau de l’avocat de Charlie Hebdo, Richard Malka, le froid de l’extérieur est toujours présent. La chaleur de l’accueil est inversement proportionnelle à cette sensation désagréable venue du dehors. Alors que Richard Malka nous accueille dans son bureau où se côtoient des dessins, des coupures de presse, des livres, un buste de Loki le méchant de l’univers Marvel, une grande photo intrigante, une sensation de chaleur, de fraternité, de bien-être s’installe. Alors que l’entretien n’a pas encore débuté et qu’il n’a pas pu pour des raisons de sécurité (Richard Malka vit sous protection policière du fait de son rôle d’avocat de Charlie Hebdo) nous recevoir à son domicile, Richard Malka sort les livres qu’il a apporté pour nous en parler. Il en fait une pile sur la table basse du bureau. « J’ai joué le jeu. J’ai apporté ce qui m’a construit », lance-t-il.

L’idée de cet entretien est dans notre esprit depuis longtemps. Richard Malka, sans que nous le connaissions, est l’un des personnages qui apparaissent comme évidents. Évident de par le combat qu’il mène pour la liberté d’expression, pour la défense de la laïcité, pour notre « droit d’emmerder Dieu » ainsi qu’il l’a magnifiquement dit dans sa plaidoirie du procès des attentats de janvier 2015. Évident aussi de par ses bande-dessinées que nous avions beaucoup aimées. Évident, enfin, par ses romans aussi. « Tyrannie » d’abord qui raconte l’avènement d’un état totalitaire dans lequel la dictature de la transparence et de la vertu est la règle sur fond de procès d’assises.Richard Malka 24 Le « Voleur d’amour » ensuite qui vient de paraître en ce début 2021. Ce roman est une fresque qui mêle univers gothique, réflexion sur le temps qui passe, sur l’immortalité, la culpabilité, la capacité à aimer. Le héros Adrian Von Gott se nourrissant de l’amour des autres à leur détriment.

Ce livre intense, fort, puissant et audacieux invite chacun et chacune à s’interroger sur la part de mal qu’il ou elle a en lui. Alors que nous refermions ce roman, nous nous sommes dits que c’était le bon moment pour aller discuter avec Richard Malka, le touche à tout. De ce livre, de la façon dont les histoires l’habitent, des livres qu’il aime et du pourquoi du comment de l’écriture. Alors qu’il faisait toujours très froid dehors, la chaleur de l’entretien, son intelligence, sa complicité naissante, a illuminé le froid hivernal. Rencontre avec un homme incasable et profondément attachant.

Après 23 bande-dessinées, deux essais, c’est ton deuxième roman… A-t-il été plus facile à écrire que le premier ?

Oui bien sûr. J’avais plus confiance. Le roman est une forme très complexe d’art. Le premier débloque les freins inhérents à l’auteur. Le premier m’a beaucoup appris.

Qu’est-ce qui a débloqué les choses ?

Les critiques de « Tyrannie » étaient bonnes ! Comme quoi les critiques servent à quelque chose ! (Rires). On a besoin de ce regard des autres. Plus sérieusement, la confiance en moi était plus grande et je maîtrisais mieux le métier. Parfois, il suffit d’inverser le sens d’une phrase pour que cela fonctionne et on apprend aussi à faire d’avantage d’ellipses, ce qui pour moi, était vraiment un travail de fond.

Richard Malka 25Pourquoi ?

Un travail de fond par rapport à ma profession d’avocat. Quand on écrit une plaidoirie, l’objectif est de tout expliquer, de tout décrypter, de tout surligner. L’avocat est dans une forme d’exhaustivité des éléments qui viennent nourrir son histoire. Il fait de la pédagogie, il enfonce le clou. En littérature cela n’est pas envisageable sinon le lecteur n’a plus aucun espace pour imaginer. Il a donc fallu que je retire des choses afin que le lecteur puisse entrer dans le livre. Le rôle de l’écrivain est de maîtriser l’art de l’ellipse. Mon statut de scénariste de BD ne m’aidait pas non plus puisque le principe du scénariste est de décrire minutieusement ce qu’il veut pour que le dessinateur puisse vraiment s’en emparer.  Mon éditeur a beaucoup travaillé avec moi sur ce sujet pour « Tyrannie ». C’est devenu plus naturel dans « Le voleur d’amour ».

Était-ce plus facile parce que « Tyrannie» met en scène un avocat et un procès et pas le Voleur d’amour ?

Non, je ne crois pas. Avec «Tyrannie», j’ai procédé comme lorsque je me suis lancé dans la BD avec « l’Ordre de Cicéron » en campant mon propos dans un univers judiciaire pour partir dans l’inconnu de la création avec quelque chose que je connaissais. C’est terrifiant de se lancer dans un roman. L’ellipse est la même problématique. Il m’a fallu me débarrasser de mes façons d’écrire. Ceci dit, tout cela m’a aussi beaucoup apporté car la BD est une formidable école de narration, et l’avocature est une méthode pour structurer un récit logique.

Qu’est ce qui a été le déclencheur du bouquin ? Il y a une forme de noirceur lumineuse dans ce livre. L’idée de confronter chacun de nous au mal qui est en nous. A la lecture, je me suis demandé si cette histoire était née au moment des attentats contre Charlie Hebdo ?

Clairement oui. Quand les attentats sont survenus, je ne pouvais plus écrire une ligne. J’étais au milieu de mon premier roman, « Tyrannie », et pendant six mois j’étais à l’arrêt. Quand l’écriture est revenue pour me permettre de respirer, ma plume était extrêmement noire et je ne pouvais pas reprendre le fil de « Tyrannie ». C’est alors que le « Voleur d’amour » s’est imposé à moi. J’ai craché une première version très différente qui fut une manière de sublimer les mauvaises passions qui m’habitaient alors. En faire un livre est une bonne manière d’utiliser sa rage, sa colère, sa tristesse, son chagrin ou son amertume. La tonalité est donc sombre, mais c’est lumineux parce que c’est aussi une forme de sublimation.  De plus, le héros Adrian Von Gott est dans une quête de justice. Il utilise sa rage pour tenter de faire le bien.  Cela raconte aussi une quête d’amour sur trois siècles où mon personnage cherche comment recevoir de l’amour, et à apprendre à en donner.

Tu disais avoir modifié le manuscrit entre la première version et le résultat final…c’est-à-dire ?

C’est-à-dire que cela a complètement changé. Au départ, c’était une nouvelle que j’ai transformé en livre. Seule la colonne vertébrale est demeurée.

« Il appartient à l’avocat, comme à l’écrivain, de voir la part d’humanité des monstres ».

Le mal est au cœur du roman. Avec l’impression que le message que tu voulais faire passer est qu’il nous faut Richard Malka 06regarder ce mal qui nous habite, en être conscient et lui faire face…

C’est exactement cela. C’était déjà présent dans « Tyrannie ». Je pense que c’est ma nature profonde. C’est aussi pour cela que je suis avocat. On trouve une part d’humanité et de lumière dans tous les monstres. Par contraste, on la voit d’avantage et on a envie d’aller la chercher, de la faire grandir. On voit cette part d’humanité chez les personnes rejetées par tout le monde. Comme avocat ou écrivain, il nous appartient de voir la part d’humanité dans un monstre, surtout quand il sait qu’il est monstre et qu’il ne peut pas accéder à l’humanité. C’est l’histoire de « Frankenstein », mais aussi celle « Des Souris et des Hommes » de Steinbeck. De même, il n’y a rien de plus triste pour moi que King Kong.

Pourquoi ?

Cela me fait pleurer à chaque fois. Parce que je trouve cela horrible. Il aime, il est dans l’amour, mais on le tue, ce pauvre singe ! Je ne peux pas le regarder tellement cela me bouleverse. Il y a cela chez ce héros une part de damnation, mais aussi une part de beauté.

Que veut dire cette quête d’humanité que tu instilles dans ce monstre qu’est Adrian Von Gott ?

C’est l’espoir de trouver une lumière. C’est l’absence de manichéisme, rien n’est tout blanc ou tout noir. Pour le coup, si j’ai réussi quelque chose dans ce livre, c’est de faire en sorte qu’il soit un monstre qui vole l’amour en embrassant les gens, mais que l’on n’arrive pas le détester. Il suscite des sentiments partagés.

Richard Malka 14Dans ces deux livres, mais aussi dans tes BD, il y a la volonté de créer des mondes. J’ai trouvé que l’influence de la Science-Fiction ou des romans d’anticipation a été grande dans la construction de l’homme Richard Malka, mais aussi dans l’écrivain Richard Malka dans son rapport à la fiction…

C’est très juste et profondément incontestable. Quand j’étais enfant, mon grand-frère m’a initié à la science-fiction. C’est comme cela qu’il m’a amené à la lecture. Il m’autorisait un livre de SF quand j’avais lu un classique. Effectivement, j’envisage le monde en pensant au futur. En me projetant. Qu’est-ce que la situation actuelle pourrait donner dans plusieurs siècles ?

« Ce qui fonde l’espèce humaine est notre capacité à nous réunir autour d’histoires communes »

Et pour cela tu construis des mondes ?

Oui ! J’adore construire des univers. Tu as la sensation d’être Dieu et cela fait écho à ta propre mégalomanie (rires !). Plus sérieusement, la fiction est un outil précieux pour dire et raconter ce qui est en train d’advenir sous nos yeux.

Il semble que la fiction soit la plus puissante pour dire le monde : dans tout ce que tu as fait : L’ordre de Cicéron, Secret Bancaires, Tyrannie, ou le Voleur d’amour il y a cette idée de dire l’importance d’une mémoire qui vient nous hanter, de dire les dangers de la transparence et de la vertu comme valeur cardinale dans Tyrannie ou de la part de mal et le besoin d’amour dans ce dernier livre…

Oui. La fiction vaut mieux que des leçons de morale ou que des essais. Les messages ne passent jamais aussi bien qu’en racontant des histoires car en réalité c’est ce qui fonde l’espèce humaine. A savoir notre capacité à se réunir autour d’histoires communes. Autour de mythes. La fiction est le vecteur de convictions qui est le plus efficace et le plus pertinent à mes yeux. C’est aussi comme cela que je plaide. Et puis, c’est ce que je suis.

Justement n’est-ce pas un peu difficile ces deux casquettes de romancier inventeur de fiction, et d’avocat Richard Malka 18raconteur d’histoires basées sur la tangibilité des faits.