16 min

Richard Malka : “La littérature est un refuge”

Richard Malka 31

Avocat, scénariste de BD, romancier, Richard Malka est un touche-à-tout talentueux. En ce début 2021, il a été l’un des acteurs centraux du procès des attentats de 2015 et a livré une superbe plaidoirie pour la liberté d’expression et le “droit d’emmerder Dieu”. Il vient de publier “Le Voleur d’Amour” chez Grasset, son deuxième roman. L’occasion rêvée pour aller à la rencontre littéraire de ce passionné. Homme libre et attachant qui aime construire des mondes.

Photos PATRICE NORMAND

Richard Malka 21Le matin de notre rendez-vous, il fait froid. Très froid. C’est une journée sombre et glaciale d’hiver. Alors que nous pénétrons dans le bureau de l’avocat de Charlie Hebdo, Richard Malka, le froid de l’extérieur est toujours présent. La chaleur de l’accueil est inversement proportionnelle à cette sensation désagréable venue du dehors. Alors que Richard Malka nous accueille dans son bureau où se côtoient des dessins, des coupures de presse, des livres, un buste de Loki le méchant de l’univers Marvel, une grande photo intrigante, une sensation de chaleur, de fraternité, de bien-être s’installe. Alors que l’entretien n’a pas encore débuté et qu’il n’a pas pu pour des raisons de sécurité (Richard Malka vit sous protection policière du fait de son rôle d’avocat de Charlie Hebdo) nous recevoir à son domicile, Richard Malka sort les livres qu’il a apporté pour nous en parler. Il en fait une pile sur la table basse du bureau. « J’ai joué le jeu. J’ai apporté ce qui m’a construit », lance-t-il.

L’idée de cet entretien est dans notre esprit depuis longtemps. Richard Malka, sans que nous le connaissions, est l’un des personnages qui apparaissent comme évidents. Évident de par le combat qu’il mène pour la liberté d’expression, pour la défense de la laïcité, pour notre « droit d’emmerder Dieu » ainsi qu’il l’a magnifiquement dit dans sa plaidoirie du procès des attentats de janvier 2015. Évident aussi de par ses bande-dessinées que nous avions beaucoup aimées. Évident, enfin, par ses romans aussi. « Tyrannie » d’abord qui raconte l’avènement d’un état totalitaire dans lequel la dictature de la transparence et de la vertu est la règle sur fond de procès d’assises.Richard Malka 24 Le « Voleur d’amour » ensuite qui vient de paraître en ce début 2021. Ce roman est une fresque qui mêle univers gothique, réflexion sur le temps qui passe, sur l’immortalité, la culpabilité, la capacité à aimer. Le héros Adrian Von Gott se nourrissant de l’amour des autres à leur détriment.

Ce livre intense, fort, puissant et audacieux invite chacun et chacune à s’interroger sur la part de mal qu’il ou elle a en lui. Alors que nous refermions ce roman, nous nous sommes dits que c’était le bon moment pour aller discuter avec Richard Malka, le touche à tout. De ce livre, de la façon dont les histoires l’habitent, des livres qu’il aime et du pourquoi du comment de l’écriture. Alors qu’il faisait toujours très froid dehors, la chaleur de l’entretien, son intelligence, sa complicité naissante, a illuminé le froid hivernal. Rencontre avec un homme incasable et profondément attachant.

Après 23 bande-dessinées, deux essais, c’est ton deuxième roman… A-t-il été plus facile à écrire que le premier ?

Oui bien sûr. J’avais plus confiance. Le roman est une forme très complexe d’art. Le premier débloque les freins inhérents à l’auteur. Le premier m’a beaucoup appris.

Qu’est-ce qui a débloqué les choses ?

Les critiques de « Tyrannie » étaient bonnes ! Comme quoi les critiques servent à quelque chose ! (Rires). On a besoin de ce regard des autres. Plus sérieusement, la confiance en moi était plus grande et je maîtrisais mieux le métier. Parfois, il suffit d’inverser le sens d’une phrase pour que cela fonctionne et on apprend aussi à faire d’avantage d’ellipses, ce qui pour moi, était vraiment un travail de fond.

Richard Malka 25Pourquoi ?

Un travail de fond par rapport à ma profession d’avocat. Quand on écrit une plaidoirie, l’objectif est de tout expliquer, de tout décrypter, de tout surligner. L’avocat est dans une forme d’exhaustivité des éléments qui viennent nourrir son histoire. Il fait de la pédagogie, il enfonce le clou. En littérature cela n’est pas envisageable sinon le lecteur n’a plus aucun espace pour imaginer. Il a donc fallu que je retire des choses afin que le lecteur puisse entrer dans le livre. Le rôle de l’écrivain est de maîtriser l’art de l’ellipse. Mon statut de scénariste de BD ne m’aidait pas non plus puisque le principe du scénariste est de décrire minutieusement ce qu’il veut pour que le dessinateur puisse vraiment s’en emparer.  Mon éditeur a beaucoup travaillé avec moi sur ce sujet pour « Tyrannie ». C’est devenu plus naturel dans « Le voleur d’amour ».

Était-ce plus facile parce que « Tyrannie» met en scène un avocat et un procès et pas le Voleur d’amour ?

Non, je ne crois pas. Avec «Tyrannie», j’ai procédé comme lorsque je me suis lancé dans la BD avec « l’Ordre de Cicéron » en campant mon propos dans un univers judiciaire pour partir dans l’inconnu de la création avec quelque chose que je connaissais. C’est terrifiant de se lancer dans un roman. L’ellipse est la même problématique. Il m’a fallu me débarrasser de mes façons d’écrire. Ceci dit, tout cela m’a aussi beaucoup apporté car la BD est une formidable école de narration, et l’avocature est une méthode pour structurer un récit logique.

Qu’est ce qui a été le déclencheur du bouquin ? Il y a une forme de noirceur lumineuse dans ce livre. L’idée de confronter chacun de nous au mal qui est en nous. A la lecture, je me suis demandé si cette histoire était née au moment des attentats contre Charlie Hebdo ?

Clairement oui. Quand les attentats sont survenus, je ne pouvais plus écrire une ligne. J’étais au milieu de mon premier roman, « Tyrannie », et pendant six mois j’étais à l’arrêt. Quand l’écriture est revenue pour me permettre de respirer, ma plume était extrêmement noire et je ne pouvais pas reprendre le fil de « Tyrannie ». C’est alors que le « Voleur d’amour » s’est imposé à moi. J’ai craché une première version très différente qui fut une manière de sublimer les mauvaises passions qui m’habitaient alors. En faire un livre est une bonne manière d’utiliser sa rage, sa colère, sa tristesse, son chagrin ou son amertume. La tonalité est donc sombre, mais c’est lumineux parce que c’est aussi une forme de sublimation.  De plus, le héros Adrian Von Gott est dans une quête de justice. Il utilise sa rage pour tenter de faire le bien.  Cela raconte aussi une quête d’amour sur trois siècles où mon personnage cherche comment recevoir de l’amour, et à apprendre à en donner.

Tu disais avoir modifié le manuscrit entre la première version et le résultat final…c’est-à-dire ?

C’est-à-dire que cela a complètement changé. Au départ, c’était une nouvelle que j’ai transformé en livre. Seule la colonne vertébrale est demeurée.

« Il appartient à l’avocat, comme à l’écrivain, de voir la part d’humanité des monstres ».

Le mal est au cœur du roman. Avec l’impression que le message que tu voulais faire passer est qu’il nous faut Richard Malka 06regarder ce mal qui nous habite, en être conscient et lui faire face…

C’est exactement cela. C’était déjà présent dans « Tyrannie ». Je pense que c’est ma nature profonde. C’est aussi pour cela que je suis avocat. On trouve une part d’humanité et de lumière dans tous les monstres. Par contraste, on la voit d’avantage et on a envie d’aller la chercher, de la faire grandir. On voit cette part d’humanité chez les personnes rejetées par tout le monde. Comme avocat ou écrivain, il nous appartient de voir la part d’humanité dans un monstre, surtout quand il sait qu’il est monstre et qu’il ne peut pas accéder à l’humanité. C’est l’histoire de « Frankenstein », mais aussi celle « Des Souris et des Hommes » de Steinbeck. De même, il n’y a rien de plus triste pour moi que King Kong.

Pourquoi ?

Cela me fait pleurer à chaque fois. Parce que je trouve cela horrible. Il aime, il est dans l’amour, mais on le tue, ce pauvre singe ! Je ne peux pas le regarder tellement cela me bouleverse. Il y a cela chez ce héros une part de damnation, mais aussi une part de beauté.

Que veut dire cette quête d’humanité que tu instilles dans ce monstre qu’est Adrian Von Gott ?

C’est l’espoir de trouver une lumière. C’est l’absence de manichéisme, rien n’est tout blanc ou tout noir. Pour le coup, si j’ai réussi quelque chose dans ce livre, c’est de faire en sorte qu’il soit un monstre qui vole l’amour en embrassant les gens, mais que l’on n’arrive pas le détester. Il suscite des sentiments partagés.

Richard Malka 14Dans ces deux livres, mais aussi dans tes BD, il y a la volonté de créer des mondes. J’ai trouvé que l’influence de la Science-Fiction ou des romans d’anticipation a été grande dans la construction de l’homme Richard Malka, mais aussi dans l’écrivain Richard Malka dans son rapport à la fiction…

C’est très juste et profondément incontestable. Quand j’étais enfant, mon grand-frère m’a initié à la science-fiction. C’est comme cela qu’il m’a amené à la lecture. Il m’autorisait un livre de SF quand j’avais lu un classique. Effectivement, j’envisage le monde en pensant au futur. En me projetant. Qu’est-ce que la situation actuelle pourrait donner dans plusieurs siècles ?

« Ce qui fonde l’espèce humaine est notre capacité à nous réunir autour d’histoires communes »

Et pour cela tu construis des mondes ?

Oui ! J’adore construire des univers. Tu as la sensation d’être Dieu et cela fait écho à ta propre mégalomanie (rires !). Plus sérieusement, la fiction est un outil précieux pour dire et raconter ce qui est en train d’advenir sous nos yeux.

Il semble que la fiction soit la plus puissante pour dire le monde : dans tout ce que tu as fait : L’ordre de Cicéron, Secret Bancaires, Tyrannie, ou le Voleur d’amour il y a cette idée de dire l’importance d’une mémoire qui vient nous hanter, de dire les dangers de la transparence et de la vertu comme valeur cardinale dans Tyrannie ou de la part de mal et le besoin d’amour dans ce dernier livre…

Oui. La fiction vaut mieux que des leçons de morale ou que des essais. Les messages ne passent jamais aussi bien qu’en racontant des histoires car en réalité c’est ce qui fonde l’espèce humaine. A savoir notre capacité à se réunir autour d’histoires communes. Autour de mythes. La fiction est le vecteur de convictions qui est le plus efficace et le plus pertinent à mes yeux. C’est aussi comme cela que je plaide. Et puis, c’est ce que je suis.

Justement n’est-ce pas un peu difficile ces deux casquettes de romancier inventeur de fiction, et d’avocat Richard Malka 18raconteur d’histoires basées sur la tangibilité des faits.

Non, au contraire, l’un et l’autre s’enrichissent. La plaidoirie est un angle. Une fiction. Il n’y a pas une seule vérité. C’est un angle par lequel on prend des faits et il peut d’ailleurs y avoir un angle inverse. C’est exactement ce qui se passe dans une salle d’audience et pourtant c’est la même histoire. C’est pareil dans une histoire d’amour. Les deux membres d’un couple ne racontent jamais la même version et pourtant ils ont vécu la même chose, ensemble.

 

« Écrire est une manière d’être généreux »

Comment es-tu rentré dans la lecture ?

On reconstruit toujours son enfance, donc ce n’est peut-être pas la bonne réponse…Cela remonte à loin. J’ai commencé comme tout le monde avec la bibliothèque rose, puis la bibliothèque verte. Je suis ensuite passé assez vite aux livres de Jules Verne. Ce furent mes trois grosses entrées. Ensuite, j’alternais la Comtesse de Ségur et Van Vogt !

Quoiqu’il en soit, aussi loin que je remonte, j’ai toujours vécu dans l’imaginaire. La science-fiction a nourri ce qui devait être ma nature. Je vais chercher cela quand je lis. J’ai besoin aussi de le faire partager. Donc j’écris. Il faut que cela sorte de moi. C’est ma manière de donner, d’être généreux.

C’est pour cela que tu écris ? Pour être généreux ?

Oui. J’ai envie de faire rêver. Et au travers de ce rêve, c’est une vision de l’Histoire, du monde, des problèmes auxquels on est confrontés etc… Dans « Le Voleur d’amour », il y a quelques passages sur la Révolution française, sur l’Holodomor, sur un ensemble de fait historique. Je ne peux pas m’en empêcher, il y a toujours quelque chose de politique.

« La littérature ne doit pas être gratuite »

C’est le rôle de la littérature que d’offrir un regard sur le monde ?

La littérature ne doit pas être gratuite. C’est pour cela que j’aime Hugo. Il y a toujours dans ces romans une part de vision politique.

Qu’est-ce que tu aimes chez Hugo…Y a-t-il un livre en particulier ?

Richard Malka 29J’aime quasiment tout Hugo. J’ai toutefois apporté un livre, c’est « l’homme qui rit ». C’est une immense fresque romanesque qui recèle une critique sociale très puissante, ce sont les deux qui donnent de la profondeur. Cela est très fort. C’est pour moi l’écrivain qui arrive le mieux à associer romanesque et interpellation sur le monde.

C’est cela la quintessence du bon roman : utiliser le romanesque pour parler d’aujourd’hui que ce soit au travers de la Science-Fiction ou de la critique du présent. J’ai besoin de sens dans la littérature.

Chez Ernest, on aime bien dire que la « vérité est dans les romans », tu en penses quoi ?

Le concept de vérité me fait peur….

Je savais que tu allais répondre cela…Richard Malka 30

Quand on est avocat on sait qu’il y a plusieurs vérités. La vérité est une vue de l’esprit.

Mais un roman par essence est justement un endroit où le lecteur fait l’expérience de plusieurs vérités, non ?

C’est vrai. Mais il y a forcément un point de vue qui domine. C’est la vérité de l’auteur.

 

« L’auteur est un vampire »

Richard Malka 04Quelle est la part du réel qui inspire tes fictions ? « Tyrannie » raconte l’avènement d’un état totalitaire imaginaire où la dictature de la transparence et de la vertu règne. Difficile de ne pas y voir un miroir tendu à notre époque…

L’un et l’autre s’interpénètrent. Le réel politique et le réel de ma propre vie font partie intégrante de mes fictions. Si je n’avais pas tardivement rencontré l’amour, je n’aurais pas été capable d’écrire « Le Voleur d’amour ». En fait, un auteur est un vampire. Il se nourrit des autres et de tout ce qui est autour de lui. Pour le transformer.

Certains lecteurs associent des livres à certains moments de leurs vies. Est-ce ton cas ?

Pas réellement. Cela marche plus avec la musique pour moi.  J’ai lu beaucoup jusqu’à 20 ans. Des romans, des BD. Et maintenant je regarde beaucoup de séries. Je n’arrête pas de lire. Enfin, les BD un peu…

Tu ne lis plus de BD, pourquoi ?

Beaucoup moins. Peut-être parce que quand on en écrit, on voit les ficelles.

Tu parlais des séries. Qu’est-ce que tu aimes dans les séries ?  Est-ce qu’elles t’aident à construire tes propres  Richard Malka 13fictions ?

La liberté qu’elles donnent à travers l’audace que certaines d’entre elles ont. Il faut voir The Watchmen. C’est une prouesse scénaristique folle. Pour le Voleur d’amour, j’étais en train de regarder « Penny Dreadfull », c’est génial si on aime l’univers gothique. Elle réunit Dracula, Frankenstein, et Dorian Gray produite par Sam Mendès avec Eva Green, c’est une série extraordinairement bien écrite et scénarisée qui est inspirante pour quiconque a envie de raconter des histoires.

Qu’est-ce qui te plaît dans l’univers gothique ?

Sa poésie. C’est un univers qui est douloureux et doux, esthétique et violent, qui sublime l’amour. Toujours. Et qui est aussi une réflexion sur le temps. Il y a toujours des histoires d’éternité et sur le rapport au temps qui passe. C’est aussi cela que j’ai inséré dans « Le Voleur d’amour ».

Richard Malka 09Cette relation importante que tu entretiens avec ces univers où l’éternité est présente, et où l’on refuse parfois le temps qui passe, est-ce aussi une façon de refuser l’idée de la mort ?

Avec certitude, oui. Un livre c’est d’ailleurs une manière de refuser la mort…

… Pourquoi ?

Parce que cela reste. Cela peut te survivre. Bram Stoker est mort, mais son livre lui a survécu. Le « Voleur d’amour » est une interrogation sur l’éternité, la lassitude…C’est une métaphore de nos vies. Comment combattre la lassitude ? Comment vit-on quand on a manqué d’amour ? Comment fait-on pour donner de l’amour ou pour en recevoir ? Pas aussi évident que cela ne paraît. Certains sont plus doués que d’autres pour aimer. Comment on gère la culpabilité sur une vie d’homme ? Qu’est-ce qui reste de nous au final ? Il y a aussi, évidemment, une réflexion sur la capacité à se reproduire et à donner la vie. Quand j’écris, j’embrasse, sans m’en rendre compte, tous mes propres questionnements. L’auteur, il écrit. C’est ensuite que l’on analyse ce que l’on a mis dans son livre. Au moment de l’écriture, je ne me pose aucune question.

C’est-à-dire que tu travailles sans plan défini ? Écris-tu tous les jours ?

Je n’ai pas de plan. Je ne sais jamais où je vais. Après avoir écrit « Tyrannie », j’ai supprimé le premier chapitre. Au départ, l’idée n’était d’ailleurs pas celle-ci. En fait, je me mets à écrire et je vois où ma plume me porte.

Pour les deux romans, le processus fut différent. Pour « Tyrannie », je prenais des vacances pour conserver de longues plages d’écriture. Je n’étais pas capable d’écrire tous les jours.

Pour le « Voleur d’amour » j’ai travaillé différemment. J’ai un peu plus de maîtrise, donc j’ai écrit n’importe quand. Deux paragraphes un soir, un le matin. Un peu chaque jour, en fait. Je n’ai pas de problème pour construire ma bulle d’écriture. Je peux écrire n’importe où n’importe quand, sur n’importe quoi. Quand je n’ai pas de projet de roman, je n’écris pas. Durant le procès des attentats de janvier, je ne pouvais pas non plus écrire car mon cerveau n’était pas disponible pour cela.

Tu es venu avec des livres. Quelles sont les histoires qui te touchent le plus ?

Tolkien évidemment. Pas le Seigneur de Anneaux que je n’ai jamais vraiment aimé. « Le Silmarillion », en revanche, est superbe. Il se passe bien avant le Seigneur. C’est la création du monde. Et il y a déjà le bien et le mal. On est à l’origine du monde, cela me fait rêver. Tolkien crée un monde, avec un langage, une géographie, une histoire. Avec des anges qui tombent du ciel. C’est la magie de l’imaginaire. C’est mon représentant de toute la SF que j’ai pu lire.

Il y a ensuite, évidemment, tous les Barjavel. J’ai apporté aujourd’hui « La Nuit des Temps ». Barjavel, c’est très écrit, c’est très romantique. Il y a toujours des histoires d’amour sublimes.

Richard Malka 01

L’amour encore… C’est ce qui meut la littérature selon toi ?

Pas seulement. Mais, au fond, les deux sentiments sources de l’espèce humaine sont l’amour et la peur. C’est d’ailleurs ce que ressent un enfant qui naît. Peur du monde qu’il découvre et l’amour du sein de sa mère. Tous les autres sentiments en découlent.

Richard Malka 15Malka continue de nous présenter les livres qu’il aime. Dont il se délecte de parler. Nous arrivons à Philip Roth. Il raconte.

Il faut lire tout Philip Roth. « Portnoy et son complexe » est le premier que j’ai lu de lui. C’est un chef d’œuvre. Probablement le livre qui m’a fait le plus rire. Je me revois éclater de rire dans le métro ! C’est l’inverse du politiquement correct, je ne sais pas s’il serait encore possible de publier ce livre – aujourd’hui – aux États-Unis. Ce livre est totalement transgressif. C’est de l’autodérision. C’est tout ce que j’aime.

Sur la pile d’ouvrages que Richard Malka a apportée avec lui, il y a aussi …

Des « Souris et des Hommes » de Steinbeck, évidemment. Pour les gentils monstres incompris qui brisent le cœur.

Alors que nous continuons l’exploration de la pile. Il y a une littérature politique. Encore.

Orwell évidemment ! Pour le côté politique. J’ai choisi la « Ferme aux Animaux ».  C’est un livre fabuleux. Il y a un propos politique. Il n’existe pas une critique plus acerbe du stalinisme que ce roman. C’est un roman animalier, on est dans de l’humour et de la dérision. Rien n’a jamais été écrit de plus féroce, convaincant et surtout de totalement universel ! Il n’y a pas une critique négative que l’on peut faire à ce livre.

Le chemin littéraire avec Richard Malka continue. Après Orwell, c’est dans l’Europe du début du 20ème siècle que l’avocat de Charlie Hebdo nous emmène.

Je n’ai apporté qu’un seul Stefan Zweig. Mais j’ai tout lu de lui. C’est l’un des écrivains sur lesquels je reviens sans cesse. Zweig c’est la beauté des sentiments, la peinture des émotions, la pureté de l’écriture. Zweig, c’est sublime et très sobre. Il explore les tréfonds de l’âme humaine. Il peint nos âmes d’une façon infiniment juste, fine, et émouvante. J’aime l’univers de Zweig. J’adore sa nouvelle « Le chandelier enterré », « Ivresse de la métamorphose », ou ce livre fantastique « Les très riches heures de l’humanité » où il choisit des instants précis pour les relier les uns aux autres et raconter les basculements.

Richard Malka 16Le petit voyage se termine doucement. Richard Malka, tout sourire, heureux de nous parler des livres qu’il aime et qui l’ont construit en tant qu’homme nous confie l’une de ses passions littéraires.

Avec ce livre (Il brandit Frankenstein de Mary Shelley), je dois avouer que je triche un peu. Je l’ai lu assez tard, donc on ne peut pas dire qu’il est « fondateur » au sens strict du terme, mais c’est en lien direct avec ce que je suis et avec le « Voleur d’amour ». Frankenstein, c’est un pur chef d’œuvre. C’est cela qui inspire mon écriture. J’aime la tristesse à mourir de ce livre. C’est vraiment l’histoire d’un monstre qui dit « mais pourquoi vous m’avez fait monstre » ? Il ne fait qu’aspirer à être un peu aimé d’amitié, et il réclame de la chaleur humaine. Il finit par comprendre que par son physique, il n’en aura jamais. Dans le « Voleur d’amour », il y a des clins d’œil à ce livre d’ailleurs. Toute la scène sur la banquise est un hommage.

Il y a une forte dimension sensuelle, voire même sexuelle dans tes deux romans que j’ai moins trouvé dans tes BD. En te lisant, et en voyant le plaisir que tu prenais à écrire ces passages-là, je me suis demandé si tu n’avais pas envie d’écrire un roman ou une fiction érotique ?

Pour tout te dire c’était mon intention pour « Tyrannie » ! J’ai changé mon fusil d’épaule car je n’y arrivais pas. Je pense que la fiction érotique est ce qui est le plus dur à écrire. J’ai d’avantage accentué cela dans le « Voleur d’amour » qui est un livre très sensuel. Je l’ai traité différemment grâce au biais de l’onirisme. C’est terriblement difficile d’écrire le sexe et la sensualité.

Pourquoi est-ce si difficile ?Richard Malka 12

Parce que cela peut vite être trash sans intérêt ou gnangnan ou déjà fait. Ce n’est pas facile de trouver une plume juste. Je crois aussi que la pudeur vient s’ajouter à cela. J’ai fait le portrait de Pauline Réage dans Libé. Histoire d’O c’est magnifique, et c’est une réussite car l’écriture fait tout. C’est réussi, enfin, parce que je me demande si les femmes ne parlent pas mieux du sexe que les hommes.

Qu’aimerais tu écrire ensuite ?

Je n’ai pas d’idées pour le moment. J’ai une BD qui va sortir. C’est l’adaptation du livre de Robert Badinter « Idiss ». C’est la première fois que j’adapte un livre en BD. C’est une expérience passionnante. Ma plaidoirie du procès des attentats va être publiée comme le fut « Éloge de l’irrévérence » au sujet du procès des caricatures, en revanche, je n’ai aucune idée de ce que sera mon prochain roman.

Tu as peur de ne plus écrire ?Richard Malka 26

Non. J’ai comme tout écrivain la nécessité vitale d’écrire. Ensuite, que ce soient des BD, des scénarii, des romans, peu importe. Ce qui est important c’est de partager. Toutefois, je pense que je continuerai les romans parce que je ne suis pas arrivé au bout de la maîtrise, de la marge de progression, de la reconnaissance que je recherche et tout simplement du défi que cela représente.

Milan Kundera dit que chaque personnage est un égo expérimental de l’auteur. Est-ce une affirmation que tu pourrais partager ?

Complètement. Elle est très juste cette idée. C’est une évidence. Chaque personnage est un morceau de moi, une projection de moi. Maintenant ou à un moment de mon existence dans une émotion particulière. Les questionnements d’Adrian sont mes questionnements et en même temps ils sont universels.

« La littérature est un refuge »

Quelles sont les différences entre la BD et le roman dans la façon d’écrire et d’appréhender la construction de la fiction que l’on veut réaliser ?

Au-delà de ce que nous disions tout à l’heure sur le fait que le romancier doive absolument maîtriser l’ellipse au contraire du scénariste de BD, il y a une question qui peut paraître anecdotique mais qui souligne les différences. Quand j’ai rendu mon premier manuscrit à Grasset, j’avais utilisé certains codes de ponctuation usités en BD : les trois points d’exclamation, les mots en CAPITALES, les onomatopées. Mon éditeur m’a regardé gentiment et m’a dit : « non, on ne va pas faire cela ! ». Au début, je ne comprenais vraiment pas pourquoi cela n’était pas possible. (Rires) Cette anecdote raconte aussi quelque chose des histoires. La BD est une excellente école de dialoguistes. Cela apporte beaucoup au romancier.

Richard Malka 02Tu vis sous protection, tu es un acteur d’un combat militant et politique. La littérature est-elle pour toi un refuge, une inspiration. Sert-elle à quelque chose dans le cadre de ce combat.

Je n’arrive à écrire que quand j’arrive à me dégager de mes combats politiques et du réel. C’est un refuge depuis toujours. C’est un refuge où je suis centré sur moi-même et mon imaginaire. Peut-être pourrions-nous même dire qu’elle est un repli sur moi.

« Sans la liberté offerte par la littérature, je ne sais pas si j’aurais été capable de revendiquer le « droit d’emmerder Dieu » dans une cour d’assises »

 

Richard Malka 11Les livres te nourrissent-ils pendant le combat ?

Oui, mais c’est un danger. Car cela m’influence trop. Donc, quand le combat vient, je lis très peu. Tout comme je n’écoute pas trop de musique. Ces expériences sensibles m’influencent beaucoup trop. Je suis très éponge, donc je dois m’extraire de cela pour trouver la musique intérieure qui siéra au combat que je suis en train de mener.

Après cela nourrit vraiment ma manière de plaider. Je m’autorise des libertés parce que j’écris. Cela modifie mon image et cela m’autorise plus d’audace. Par exemple, je ne sais pas si j’aurais été capable de dire dans une salle d’audience, dans une cour d’assises, dans ce procès que je revendiquais « la liberté d’emmerder Dieu » si je n’étais pas passé au tamis de la littérature.

Dans la plaidoirie du procès Charlie, tu termines sur cette phrase : « Alors ces trois mois ont été tragiques, difficiles, autant que cela serve. Autant que ce soit pour que nous ne perdions pas nos rêves, pour que nous ne perdions pas nos idéaux, pour que nous ne tournions pas le dos à notre histoire, pour que nous ne soyons pas la génération qui aurait abandonné l’histoire que je vous ai racontée, qui a abandonné ses rêves, ses idéaux, son rêve de liberté et de liberté d’expression. » Juste avant le procès, dans un entretien au Point, tu disais que la situation était pire qu’il y a cinq ans. Aujourd’hui, que dirais-tu ?

Je pense qu’avant le procès, c’était pire. Depuis le verdict, ce n’est plus la même histoire. Nous avons fait bouger les choses. En reprenant les caricatures dans Charlie ou chez Ernest qui fut je crois le premier à republier en soutien, mais évidemment Samuel Paty et aussi le discours des Mureaux etc…La prise de conscience a eu lieu. J’ai reçu des milliers de messages de gens clairement laïcs qui relevaient la tête. Une gauche est revenue. Le discours politique n’est plus le même. Il s’est passé quelque chose.

« En écrivant un livre, tu te mets à poil »

Cela va durer ?

C’est fragile. Mais les choses ont changé. Jamais un gouvernement n’avait prononcé de tels mots. On arrive à ouvrir les yeux et à oser, enfin, dire ce que l’on voit. Le déni s’est éloigné.

L’expérience de la littérature est-elle plus intense que l’expérience d’une salle d’audience ?

Non. L’intensité de la salle d’audience n’existe nulle part ailleurs. Dans un procès d’assises, rien d’autres que le procès n’existe. La charge humaine et l’émotion sont incandescentes. C’est incroyable. Le livre, sa spécificité, pour l’auteur c’est que tu n’as pas de robe. Rien ne te protège. Tu es à poil.

T’est-il arrivé d’écrire des plaidoiries comme des romans ?

Oui. Et l’inverse est vrai aussi. Les deux choses se nourrissent. Je suis conscient que ma position soit complexe à appréhender : avocat, scénariste de BD, romancier, mais j’abhorre les assignations dans une case. Je pense qu’un écrivain peut être avocat et vice et versa. Difficile d’être pris au sérieux dans ce milieu snob. Je continuerais à écrire pour être pris au sérieux. Je ne veux pas être assigné.

C’est cela qui t’anime : la conquête d’une liberté ?

C’est : « Je fais ce que j’ai envie de faire et je vous emmerde » ; Voilà la ligne directrice de ma vie !

Richard Malka 10

Pour boucler cet entretien, alors que tu disais que le « Voleur d’amour » était aussi une forme de miroir tendu à chacun par rapport au mal qui est en nous, si on te tend à toi un miroir, quelle est la part de mal que tu as mis dans ce livre ?

Un mal conjoncturel : celui de 2015. Plus globalement, il y a ma culpabilité amoureuse. Difficile d’être fier de ces histoires d’amour où l’on a plus pris que l’on a donné et où l’on a fait du mal. Tout cela est clairement dans le livre.

Dans le miroir, il y a aussi les regrets d’un chemin de vie…

Alors là, je t’arrête. Dans ma vie, je mets un point d’honneur à ne jamais éprouver de regrets. Je fais attention à cela depuis longtemps. Dans chaque décision, c’est l’un des critères : « n’aurais-je pas à le regretter » ? Mon guide est toujours le plaisir. Je me demande toujours quel est le choix dicté par le désir. Quand on fait cela, en général, on ne regrette pas.

4 commentaires

Laisser un commentaire