“Ils ne mourraient pas tous, mais tous étaient frappés”, écrivait dans son célèbre poème “Les animaux malades de la peste”, Jean de La Fontaine. Cette semaine, frappé par le mal qui ronge actuellement notre monde, Luis Sepulveda s’en est allé. Pour une certaine élite germanopratine snob, Sepulveda n’était pas un grand écrivain. Trop populaire. Pas assez ci ou pas assez ça. Pour nous, il l’était. D’abord parce qu’un auteur qui explique qu’il “est venu à la littérature par le football” est forcément un écrivain à qui il faut porter la plus grande attention. Comme Camus, Sepulveda était un homme du peuple. Il aimait le football et avait joué, jeune, dans une équipe qui s’appelait “Unis, nous vaincrons”. Et cette morale qu’il avait apprise sur les terrains a guidé toute sa vie. Celle de militant. Enfermé par les sbires du dictateur Pinochet. Celle d’écrivain aussi. Il fallait le voir dans les salons littéraires ou dans les rencontres être toujours accueillant avec ses lecteurs et ses lectrices. Avoir un mot pour chacun et chacune. A hauteur d’homme. En fraternité. En égalité.
Dans son roman le plus célèbre “Le vieux qui lisait des romans d’amour”, il nous raconte l’histoire de Antonio José Bolivar, braconnier devenu vieux qui lit des romances pour oublier qu’il vieillit. En fait, sa vie est plus complexe que cela. Car Antonio qui a posé ses bagages dans la forêt amazonienne est aussi l’antithèse du braconnier blanc omnipotent et omniscient qui choisit de dominer outrageusement la nature et – plus largement – le réel. Quel rapport me direz-vous ?
Sorti en France en 1992, grâce à l’ingéniosité des éditions Metaillé, ce livre avait trouvé son public. Cette fable écologique qui interpellait le lecteur sur le rapport de l’homme avec la nature et le monde qui l’entoure. Sur la domination que l’humain, vivant parmi les vivants, exerce sur la nature. Dans ce livre, comme dans tous les autres de Sepulveda, il y a de la poésie, de l’onirisme, et aussi, malgré les noirceurs, de l’espoir.
Apprendre la mort de Luis Sepulveda est une chose terrible. Apprendre qu’il a été terrassé par le Covid-19, est peut-être encore plus difficile à accepter, lui qui avait survécu à la dictature chilienne et qui avait surtout tenté par la recherche de la beauté et par son art de nous dire que notre façon de dominer le monde pouvait nous conduire à nous oublier en tant qu’humain. Toutefois, loin de nous l’idée de vouloir tirer des enseignements pour le monde d’après de la mort de Sepulveda. Il y a toutefois deux choses importantes que son parcours et son œuvre nous enseignent.
D’abord, que pour persévérer dans la recherche de la sagesse et de la vertu il convient, toujours, de rechercher la beauté. Rechercher la beauté, cela veut dire notamment se tourner vers l’art. La poésie, la musique, la littérature, la peinture etc… Car c’est bel et bien dans la recherche de cette beauté et de ce qui nous émeut pour ensuite, plus tard, nous mettre en mouvement, que nous pouvons construire les passerelles puis les ponts qui nous permettront d’aller de notre petite île de confiné vers ensuite une plus grande île, pour ensuite construire l’île de demain.
Problème : rechercher la beauté, se laisser prendre par elle prend du temps. Et visiblement, même confinés, du temps, nous n’en avons pas…En effet, il y a quelque chose de troublant à voir aujourd’hui tous ces pseudos experts qui n’avaient pas été capables de prévoir le dixième de ce que nous vivons actuellement s’agiter sur leurs chaises comme des cabris pour nous expliquer de quoi sera fait l’après. Spoiler : ils n’en savent foutrement rien ! Nous non plus d’ailleurs, et on en est plutôt assez fiers.
En effet, car dans cette agitation fébrile de l’humain qui ne comprend pas, il y a certes la peur, mais aussi la volonté d’omniscience qui conduit l’humain à se rêver en Homo Deus comme l’expliquait Yuval Noah Harari plutôt qu’en ce que nous sommes : des homo-sapiens. Or, c’est justement quand l’on veut se prendre pour Dieu que l’on oublie de rechercher la beauté.
Recherchons la beauté maintenant
Dans cette frénésie imbécile (oui, osons le mot) à vouloir à tout prix théoriser sur l’après, on refuse deux choses essentielles pour justement préparer l’après si tant est qu’il faille le préparer. Mais admettons. On refuse non seulement la réalité et le réel tels qu’ils se présentent à nous. La réalité de nos vies, mais aussi la réalité de notre monde dont les directions prises hier nous ont conduit à aujourd’hui. On refuse aussi, simplement, de ralentir pour opérer un pas de côté et regarder différemment. C’est cela que permet l’art et qui permet de rechercher la beauté.
En clair : c’est en cultivant aujourd’hui ce qui paraît inutile, que l’on se rendra utile demain. En clair : les réponses pour l’après sont dans les œuvres d’art d’hier, d’aujourd’hui et peut-être de demain.
Tiens, d’ailleurs dans un roman monde récent (on vous en parlait ici), Richard Powers, l’un des auteurs américains contemporains les plus passionnants, nous invitait à décentrer notre regard pour s’intéresser à notre place d’humains dans le monde des vivants, et notamment ici, dans le rapport que l’on entretient avec les arbres et les forêts.
Peut-être pensez-vous que l’on s’éloigne de la question. Pas certain. Et si par la frénésie à penser l’après on se dédouanait tout simplement en refusant de traiter les questions structurantes du monde d’avant. Qui seront, forcément, aussi celle de l’après ?
Voilà une interrogation idéale pour un dimanche de confinement.
“Les grands romans sont capables de provoquer de grands basculements”. Ce sont justement les mots de Richard Powers dans un entretien récent accordé à nos confrères d’America. On n’aurait pas mieux dit. On dirait des mots bleus. De ceux qui rendent les gens heureux.
Bon dimanche
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