"Littérature BFM" ou au contraire verve des grands romans américains ? "Les choses humaines", le dernier roman de Karine Tuil (Gallimard) fait débat. Notre journaliste Laurent-David Samama fait le point et salue l'ambition immense de la romancière.
Photo Patrice Normand
C’est bien connu, les écrivains se méfient des réseaux sociaux. Et pourtant il fut un temps où Karine Tuil twittait et instagramait de fort judicieuse façon. A l’heure de la brièveté des échanges, on se disait alors qu’un chemin était possible pour une voix d’auteure en cent quarante signes. C’était certes court, mais c’était bien. La romancière interagissait directement avec ses lecteurs, rebondissait sur l’actualité, livrait ses coups de cœur. Jusqu’au trop plein... Un beau jour, certainement lassée de la vacuité de l’exercice, des hashtags, des emballements, des meutes, de la vanité des échanges et de leur constante agressivité, Karine Tuil a fermé ses comptes. Tous, sans exception. Elle a, d’une certaine façon, organisé sa disparition virtuelle. Puis s’est remise à écrire. De cette expérience 2.0 des passions de l’époque, un roman est né, son onzième, Les choses humaines. Un best-seller en puissance, une tête de gondole Gallimard. Un livre qui, malgré plusieurs critiques acerbes l’identifiant notamment a « de la littérature BFM », est parvenu à intégrer sans mal la première liste du Goncourt. Voilà qui interroge : que distinguent les jurés du plus prestigieux des prix littéraires que ne perçoivent pas certains critiques ? Pour le savoir, il convient de décortiquer la mécanique littéraire de l’auteure, sa méthode propre.
« Les choses humaines » ressemble à ces fresques que Karine Tuil aime écrire. Qu’y trouve-t-on ? Une histoire à l’ambition débordante qui remet en question, hérisse, intrigue, suscite la curiosité. Pas de doute possible, il s’agit efficace page-turner. Après "l’Insouciance" (2016) et "l’Invention de nos vies" (2013), la romancière mitonne une fois de plus cette littérature qui empreinte au cinéma sa focale large et à l’air du temps sa trame, ses bassesses, ses tourments. C’est captivant, forcément addictif et parfois même immersif : chacun retrouvera dans le livre ses légers travers, obsessions et autres inavouables déviances. Couchés sur le papier, ces sentiments humains, trop humains deviennent subitement sulfureux, attirants, voire monstrueux. Les mots de la romancière font subitement leur effet. Avec Tuil, nous sommes dans le domaine du spectaculaire. C’est certainement ce qui plait aux jurés du Goncourt : cette façon de s’émanciper de l’omniprésente écriture du « je », des micro-histoires égotiques dont se pâme généralement le milieu germanopratin en étendant l’horizon littéraire. Voilà – et c’est assez rare pour le souligner – une auteure qui écrit autant pour la grande bourgeoise que pour la caissière, le bigot ou le libertin. Pour tout le monde ! En harponnant son lecteur par des situations initiales simples mettant en scène des personnages archétypaux.
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