Un soir de début juin Ernest a rencontré McInerney. Ce géant des lettres américaines. Celui qui, mieux que quiconque, sait peindre les soubresauts du monde grâce aux yeux de ses personnages. Si nous avons discuté de la “catastrophe” Donald Trump, de l’avenir des Etats-Unis, nous avons surtout discuté de nous. Au sens large. Et pour parler de nous, nous avons surtout parlé des personnages fétiches de Jay : Russel et Corinne. Nos porte-paroles. Rencontre.
Comme l’ensemble des critiques littéraires publiées dans ce pays au sujet de Jay Mc Inerney et de son dernier livre « Les jours enfuis », Ernest pourrait écrire que décidément McInerney est l’écrivain de New York, qu’il sait brosser comme personne le portrait d’une élite qui s’oublie et qu’il mélange à merveille la grande histoire de l’Amérique et les soubresauts qu’elle engendre dans les petites histoires de ses personnages. Nos petites histoires. Tout cela serait vrai. Tout cela serait très juste.
Mais Ernest avait aujourd’hui plutôt envie de vous parler de Russel et Corinne, ce couple emblématique que McInerney nous apprend à connaître depuis leur 30 ans, dans son fameux livre « trente ans et des poussières » mais aussi depuis leur 40 ans dans « La Belle vie ». Au départ des “jours enfuis” Russel et Corrine ont désormais 50 ans, l’Amérique s’apprête à vivre sa plus grosse crise financière depuis 1929 et Barack Obama à remporter l’investiture démocrate.
Au fond, si “les jours enfuis” traite de tout cela, il traite aussi du bilan que chacun peut tirer de sa vie et de ses choix. Est-on vraiment du côté de l’Amour et des Arts ou bascule-t-on vers celui du
pouvoir et de l’argent. L’écriture de McInerney est enlevée, pleine d’humour et de nostalgie. Elle touche juste. Sur tous les sujets.
Comme ici, sur le couple, par exemple.
Des personnages universels qui sont nos porte-paroles
Plus largement, ces deux personnages, Russel et Corinne, ont ceci de puissant qu’ils sont universels. Universelle, Corinne en femme incertaine de ses sentiments pour son mari. Universelle, Corinne en femme libre qui veut se « rendre utile » et qui vit cette aventure érotique qu’elle a à vivre, avec son ancien amant, Luke. Sans pour autant manquer de respect à Russel. Corinne est une femme d’aujourd’hui. De celles que la littérature sait si bien dessiner. Et cela de mieux en mieux ces dernières années. De l’exquise « Victoria » d’Eric Reinhardt à Emmanuelle, la narratrice de « Danser au bord de l’abîme », le dernier livre de Grégoire Delacourt, en passant par l’héroïne infidèle tranquille de Hélène Couturier dans « Il était combien de fois ». Mathilde cultive une sexualité joyeuse et débridée et en se vit pas comme infidèle. Corinne, quelque part, est également dans cette optique là. Elle contribue avec son attitude à redéfinir les contours du couple et quelque part du libertinage. Corinne est la porte-parole de nos interrogations à tous, hommes et femmes, sur le couple.
Universel Russel l’est aussi. Il est un homme d’aujourd’hui. Il cherche à exister dans ce monde où il est toujours plus compliqué de se mouvoir habilement. Il se demande profondément quel est le sens de son existence. A quoi a servi son passage sur la terre. A travers ses interrogations, Russel est le porte-parole universel des hommes et des femmes sur notre rôle social. Plus largement, Russel est notre reflet dans le miroir par rapport aux choix de nos vies.
Avoir des personnages identifiés avec une personnalité forte et pourtant tenir un propos universel. C’est le propre des grands écrivains. Jay McInerney fait assurément partie de cette catégorie. De ceux qui, comme le soulignait Kundera, sont des « explorateurs de l’existence ».
Trois questions à Jay McInerney
“30 ans et des poussières” avait la voix de Russel, “La Belle vie” celle de Corinne, ces « jours enfuis » un peu des deux, même si on sent que Corinne est plus présente…quel est votre sentiment ?
McInerney : Corinne reste la vedette de ce troisième livre. J’aime ce personnage complexe, nostalgique, éruptif. Ce personnage qui s’interroge tout le temps mais qui vit les choses entièrement. Certainement que le prochain tome sera le dernier et que je reviendrais sur Russel. Pour conclure avec une voix masculine. Ou alors arriverais-je enfin à trouver l’équilibre.
Russel et Corinne ont 50 ans. Leur couple bat de l’aile mais reste solide. Ils s’interrogent aussi sur leur sexualité…
McInerney : Oui. Le sexe est certainement l’une des plus grandes questions de notre existence. Russel et Corinne sont mariés depuis 25 ans. Comment faire durer la passion ? Entre eux, le sexe se passe bien, mais il n’est plus aussi brulant qu’auparavant. Tout le monde connaît cela. Que faut-il faire ? Mes personnages ne le savent pas plus que nous. Alors ils essayent. Corinne a besoin de se sentir à nouveau vivante, alors quand elle revoit son ancien amant, elle replonge. Elle a envie d’être désirable. Ce qui est nouveau dans cet opus, c’est que désormais Russel s’intéresse plus à la bouffe qu’au sexe ! Finalement, je crois que chaque couple a son propre univers, et même à l’intérieur de sa bulle, le mystère reste entier.
Kundera dit que le « romancier est un explorateur de l’existence » : c’est ainsi que vous vous voyez ?
McInerney : La phrase est juste. Mon choix de mêler les soubresauts du monde avec ceux de nos vies est une façon pour moi d’essayer de raconter ce que sont nos existences. Après, arrive-t-on vraiment à retranscrire les sensations, les sentiments, les questionnements ? Ce n’est pas certain. Le rôle du romancier, pour parvenir à cela, est de se remettre chaque jour au travail. Comme un artisan. Le tout en essayant de comprendre le monde qui l’entoure.
Pour mémoire, Jay McInerney avait soutenu Ernest dans sa campagne de financement participatif.