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Où les télescopages du hasard prennent un sens.

Rhinocéros

Relire par un hasard de la vie la pièce de Ionesco. La trouver profondément actuelle. Ecouter le débat politique actuelle. Intérieur autant qu’extérieur. Et se prendre à imaginer la transposition de la pièce. Chercher les Rhinocéros d’aujourd’hui. Peur du monde, peur de l’étranger, peur du vent, peur de tout. Surtout de l’Autre qui est différent. Peur et donc haine. Haine et donc bientôt violence. Les Rhinocéros pullulent, ils seront peut-être majoritaires. Et comme dans Ionesco, chercher les « Bérenger » de l’époque. Dans la pièce Bérenger est le seul qui s’oppose à l’émergence du totalitarisme et qui refuse, de facto de devenir un Rhinocéros. Se dire qu’il est plus qu’urgent, alors que le débat politique n’a jamais été aussi polarisé, et haineux qu’il est urgent de chercher des « Bérenger ». Des « Bérenger » humanistes, de les défendre et de se battre à leurs côtés. Lire dans le recueil « Bref » de Régis Debray les mots suivants : « Sans l’espérance, difficile de se mettre en route. Sans l’expérience, difficile de trouver le bon chemin. Combiner l’utopie et le sens du terrain : la martingale. N’arrive qu’aux autres. »
Et si cela nous arrivait ? Dans la pièce, Bérenger aime Daisy. Chercher les Berenger et les Daisy. Mission du dimanche et des autres jours.

Comment ça va pas ?

C’est par cette question et ce sentiment que Delphine Horvilleur entame ses conversations avec ses grands-parents disparus, avec ses enfants, avec Israël, avec Claude François ou encore avec le Messie. Dans ce livre magnifique, émouvant, Delphine Horvilleur trace des chemins. Et fait penser. A cette faille d’empathie que tous les juifs et tous les amis des juifs ont ressenti après le 7 octobre. Et Delphine Horvilleur, superbe conteuse soudain emportée par la vague des massacres commis par le Hamas, puis le drame de la guerre, tente de maintenir le cœur hors du naufrage.
Chez Delphine Horvilleur, c’est le retour de la peur éternelle, celle des persécutions comme Juif pour des raisons variées et fluctuantes avec les époques. Elle s’en croyait délivrée, comme beaucoup. Et soudain, de ses grands-parents, l’un sauvé par des Justes français, l’autre dénoncée par ses voisins des Carpates, c’est mémé méfiance qui la hante. Avec son broken français, tout perclus de yiddish qui fait rire et mal en même temps…Mémé qui ne croyait en rien et en personne après avoir vue toute sa famille décimée.

On pourrait s’arrêter à cette généalogie des douleurs, à cet héritage de ténèbres, de frayeurs…réactivé par le 7 octobre. Mais ce qui touche profondément juste chez Horvilleur, c’est qu’elle ne renonce ni à rire, ni à retourner les terres symboliques. Donc elle travaille. Elle revient sur Israël… Elle narre l’histoire de Jacob et Esaü, le faible et le fort. L’ « inachevé » et le « complet ». Se tenir à côté de l’inachevé tant la « complétude » ou plutôt la croyance de celle-ci est peut-être la plus grande des faiblesses. Osciller entre le rire et les larmes. Avoir, pour la première fois, peur. Se dire qu’une seule chose importe dans ce désordre : être déraisonnable raisonnablement et surtout vivre avec passion.

 

Discussions

Se poser au café un après-midi. Il faisait à peu près beau. Travailler. Échanger, un peu, ici ou là avec des messagers téléphoniques. Demander son chemin. Et laisser les oreilles trainer pour capter les bribes de conversations des tables voisines. L’une d’entre elles s’anime. Elle concerne l’un des best-sellers du moment « Les Yeux de Mona » de Thomas Schlesser dans lequel un grand-père enseigne à sa petite-fille la beauté de l’Art et de la vie à travers 52 chef d’œuvre. La discussion s’anime donc. L’un des protagonistes estime que c’est de l’ « art pour les nuls » et que le fait que ce livre soit en tête des ventes démontre bien « l’abaissement généralisée d’une société qui ne vaut plus rien ».

Son interlocutrice, plus fine, souligne au contraire que cela ouvre la curiosité, que cela ouvre l’Art au plus grand nombre comme « Le monde de Sophie » avait ouvert les esprits à la philosophie. Elle se moque de son ami « devenu réac ». Inattendu, le serveur, Damien, qui les connaît bien tranche. « Moi, j’ai adoré cette approche qui m’a fait retourner au musée ». Le réac maugrée. La femme sourit. L’auteur de ces lignes a aussi choisi son camp et vous laisse le deviner.

La peste

Adapter la « Peste » de Camus pour en faire une dystopie miroir de nos folies. Pari fou de Georges-Marc Benamou. Pari réussi grâce à la maestria, notamment, de Frédéric Pierrot en Docteur Rieu. Résonance. Cela passe demain soir, lundi 4 février, sur France 2 et c’est immanquable. Ni pour les fondus de série, ni pour les fondus de Camus. Immanquable pour personne, en fait.

Sortir du café. Musique. « On a pas l’air ». Inédit de Bashung. « On a pas l’air » encore de Rhinocéros. Mais de plus en plus de gens y ressemblent. Dans la chanson Bashung regrette « On a pas l’air con, maintenant ». Ecouter Bashung à fond et lire les phrases de Valérie Zenatti dans son roman « Qui vive » où il est – notamment question de Leonard Cohen. « Le sentiment que ce qui s’effondre entraîne tout à sa suite a un point commun avec l’amour : on croit toujours que c’est la première fois que cela arrive, que l’on n’a jamais rien connu de tel et, surtout, que rien ne sera plus jamais comme avant. » Et puis, une autre : « On peut se délester de l’héritage de ses pères pour inventer une nouvelle vie. »
Se délester, aussi, des erreurs de l’histoire pour inventer autre chose. Voilà la mission de ce dimanche et des autres jours.

Bon dimanche,

L’édito paraît le dimanche dans l’Ernestine, notre lettre inspirante (inscrivez-vous c’est gratuit) et le lundi sur le site (abonnez-vous pour soutenir notre démarche)
 
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