Chaos, tristesse, désolation, incompréhension. Mots qui disent le désarroi et l’horreur. Désarroi et horreur devant le résultats de nos manquements. Savoir que la responsabilité est collective. Collective en ce sens que chacune et chacun a accepté de cultiver sa part de violence, de haine, d’agressivité et de ressentiment.
Violence partout, fraternité nulle part.
Comme si chacune et chacun dans sa violence et dans son rapport à l’autre et à son pays vivait une forme de chagrin d’amour. Comme si alors qu’une belle histoire d’amour se termine, que l’on fait le bilan, on se rendait compte que c’est l’oubli du regard, l’oubli du mot, l’oubli du reproche simple qui laisse ensuite s’installer la distance, l’oubli de l’attention à l’autre qui conduit au désastre.
Sans nous regarder, en nous archipelisant toujours plus, nous ne nous regardons plus. Les banlieues ne regardent plus le centre ville et la République, et la République ne regarde plus les banlieues. Plus grave encore, il suffit d’allumer le poste de télévision pour vérifier que plus aucun tenant de la parole publique ne regarde l’autre et tente de tomber d’accord sur les désaccords afin de rester dans un affrontement démocratique. Ce qui compte, c’est ce qui sera dit le plus fort, le plus honteusement, le plus tout simplement. Peu importe le message.
Plus triste, peut-être, ce sentiment qui étreint chacune et chacun de nous de plus en plus régulièrement d’une agressivité latente qui est là présente. Et ne demande qu’à exploser. Depuis quelques jours, tout est parti en vrille.
Violence partout, fraternité nulle part.
Et du haut de cette modeste lettre du dimanche et tandis que le JDD vient d’être annexé par l’extrême droite qui entend donc décidément bien diriger ce pays avec l’aide du Lion Vincent B, se dire que l’on pourra analyser, disserter, écrire des éditos du dimanche, du lundi, du mardi ou du mercredi, la seule chose qui permettra, peut-être, d’éviter la catastrophe, c’est de s’aimer à nouveau. De se le dire. De se l’écrire. De se le prouver. S’aimer fraternellement, à nouveau, pour tisser ou plutôt retisser nos liens. Pour commencer, partager ensemble. Rire ensemble. Faire ensemble. « Je ne connais qu’un seul devoir et c’est celui d’aimer », nous enseigne Camus. S’aimer pour continuer de vivre les uns avec les autres.
Pour cela, le plus court chemin peut être celui de l’art, de la recherche de la beauté.
D’une musique qui rassemble, d’une peinture qui alpague, d’un livre qui bouleverse. Cela peut aussi venir du plaisir pris ensemble. Banquet républicain, victoire d’une équipe sportive, tout sera bon pour que le plaisir redevienne la règle et supplante le ressentiment. C’est en trouvant ensemble de la beauté que des possibles s’ouvriront à nouveau. « Le but de l’art, le but d’une vie ne peut être que d’accroître la somme de liberté et de responsabilité qui est dans chaque homme et dans le monde », écrit encore Camus dans « le pari de notre génération. »
Violence partout, fraternité nulle part.
Ce matin, se prendre à rêver. Mais relire Victor Hugo : « Et de l’union des libertés dans la fraternité des peuples naîtra la sympathie des âmes, germe de cet immense avenir où commencera pour le genre humain la vie universelle. » Et rêver à nos vies universelles. Ces vies où le plaisir, autant que l’attention portée à l’autre et la responsabilité envers soi comme envers autrui qui surgit en même temps que son visage. « Ce monde, le même pour tous, ni dieu ni homme ne l’a fait, mais il était toujours, il est et il sera, feu toujours vivant, s’allumant en mesure et s’éteignant en mesure » enseigne, dans l’un de ses Fragments, Heraclite. Comme pour nous rappeler qu’exister, cela signifie être au monde. Non pas dans la violence, mais en mesure. « Notre monde n’a pas besoin d’âmes tièdes. Il a besoin de cœurs brûlants qui sachent faire à la modération sa juste place. », embraye Camus.
Dans l’ardeur de la construction, et dans la mesure de la violence. Dans la puissance de ce qui nous lie pour rendre faible et moche ce qui nous divise.
Ce matin, ce qui nous unira peut-être ce sont ces mots, ce sont la beauté d’un sourire, la main d’un enfant, le message d’une amoureuse ou d’un amoureux, les pages d’un livre, les notes d’une balade rock, et les rêves d’aujourd’hui qui seront notre réalité de demain.
Bon dimanche,
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