C’est l’histoire d’un petit garçon qui avait envie d’aller au Parc des Princes pour voir jouer Enzo Francescoli avec le Matra Racing. Il tannait son père. Ce dernier lui dit : « Ok. Nous irons au stade quand tu auras lu dix livres ». Le petit garçon alla à la librairie. Le libraire lui donna des livres vraiment chouettes. Il les lut. Il aima cela. Profondément. Il alla au stade. Il adora cela aussi. Ce petit garçon aimerait donc les livres, et le football. Le rugby, aussi. Et des tas d’autres sports. Toujours, il se demanderait pourquoi le sport était – dans son pays – si mal vu dans les milieux intellectuels. Ce petit garçon est l’auteur de ces lignes. Il a grandi. Il a donc décidé aujourd’hui de le dire haut et fort en guise de réconciliation et aussi d’hommage aux artistes que furent Diego Maradona et Christophe Dominici : ce que l’on aime dans la littérature est la même chose que ce que l’on aime dans le sport.
Lire une phrase chaloupée de Proust qui nous emmène en enfance d’où que l’on vienne, c’est comme regarder Christophe Dominici prendre le ballon dans son camp, déborder six néo-zélandais, avant de se faire rattraper in extremis. Cette action sera le détonateur français. Celle qui donnera aux Bleus du XV l’envie de se battre dans cette sublime demi-finale de 1999 contre la Nouvelle-Zélande.
Lire les mots souples, profonds et intenses de Romain Gary sur le bonheur qu’il a à déguster des concombres avec du sel et qu’il se sent à ce moment-là heureux, c’est comme voir Diego Maradona enrhumer six anglais avant d’aller inscrire le but du siècle face à l’Angleterre en 1/4 de finale du Mondial à Mexico en 1986.
Oui, la littérature est un sport et le sport est une littérature. En ce sens qu’ils vont toucher chez l’humain la même chose. Tantôt la corde sensible quand la défaite vient où qu’un personnage du livre est dans une situation de détresse. Tantôt celle de l’adrénaline quand un rebondissement inattendu survient dans l’intrigue ou qu’un cadrage débordement renverse un match bien mal embarqué en amenant un essai. Tantôt la corde poétique quand les mots s’enchaînent et viennent traduire simplement une sensation qui nous paraissait si complexe et si personnelle ou qu’un homme s’empare du ballon et fait des gestes qui semblent si simples qu’on a l’impression de pouvoir les reproduire. Oui, littérature et sport sont cousins. Tous deux sont là pour nous emmener ailleurs. Pour donner à l’Humain de la fantaisie, de la beauté, de l’irrationnel, de l’universel.
Oui sport et littérature sont deux choses que nous aimons car ils sont profondément liés dans ce qu’ils nous apportent dans la cultivation de l’instant. Évidemment, chacun se souvient du moment où il a lu tel livre marquant, avec quelle personne il partageait un amour, ou une rupture. Chacun se souvient de ce qu’il faisait le 12 juillet 1998, qui il aimait ou qui il quittait, ce à quoi il aspirait, ce que lui renvoyait alors la victoire des Bleus au Mondial. Dans ces deux événements : la découverte d’un livre qui restera, ou le moment sportif inoubliable comme un dribble de Maradona : un point commun : l’instant qui fait que la sensation d’un bonheur fugace, intense, irrépressible est là. Relire un livre aimé, c’est comme revoir un match. On sait exactement à quel instant on va chavirer, on s’y prépare, et on chavire quand même. L’instant n’est plus tout à fait le même, mais la mémoire de l’instant – les sourires échangés avec ceux qui étaient avec nous ou les mots notés et consignés dans le cahier de lecture – est bel et bien là. Pour toujours.
Sport et littérature exaltent aussi ce fameux « désir dont on ne sait quoi » comme disait Saint-Exupéry, entre nostalgie et recherche du beau. Entre retour en enfance et création de souvenirs éternels faits d’essais, de mots, de buts, ou de dribbles. L’autre chose qui lie profondément sport et littérature, n’en déplaise aux snobs, c’est bel et bien l’expérience humaine que l’une comme l’autre nous propose. « Tout ce que je sais de plus sûr à propos de la moralité et des obligations des hommes c’est au football que je le dois », aimait dire Albert Camus. Comme souvent il voyait juste tant les différentes personnalités du sport nous tendent un miroir de ce que nous sommes. L’hommage à Maradona ne dit pas autre chose. Maradona avec son génie et ses excès était une part de chacun de nous. Humain, simplement. Humain, trop humain. Comme le sont les personnages tant aimés. Solal, Julien Sorel, Meursault, Patrick Bateman et tant d’autres… Le sport comme la littérature sont des expériences sensibles dans ce qu’ils convoquent chez nous. Sportifs emblématiques comme bons personnages de romans sont nos copains d’abord. Nous les aimons, toutes voiles dehors.
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