Certains dressent en permanence la liste de leurs envies. D’autres s’échinent, à faire des plans sur la comète comme dit la chanson en suivant le vent car nous dit toujours la chanson “ce sera chouette”. D’aucuns aiment imaginer les soirées avec les amis, les musiques qui passeront, les paroles criées en chœur à 3h du matin (“Où sont les femmes, avec leurs gestes plein de charmes”…). Les derniers passent du temps à chiner, à voyager par écrans interposés en se demandant où ils pourront bien aller prochainement. Cela habituellement rythme nos vies. Nourrit nos imaginaires et nous permet, avouons-le, de mieux supporter le quotidien qui peut parfois, souvent, tout le temps (rayer la mention inutile) être une sorte de fardeau.
Ce qui allège notre fardeau qui pour chacun et chacune de nous existe, pèse plus ou moins lourd et peut tantôt s’alourdir, tantôt s’alléger, c’est aussi forcément nos chevauchées artistiques. Ces derniers jours en résonance avec la lecture du “Théâtre 1” de Robert Badinter, les nôtres se sont tournées vers le théâtre, vers ces pièces tant aimées et cet instant magique du moment où le spectacle démarre et que l’on se laisse aller. Écoutez, les trois coups sont là. Toc-Toc-Toc. Il est temps de gagner sa place. Les lumières s’estompent, le rideau s’ouvre. Le décor nous saisit. Les acteurs sont là. Prêts à faire résonner les mots. Ceux du Sartre des Mains Sales. Sempiternel affrontement entre l’idéal et le réel. Hoederer, Hugo.
Et le premier qui dit au second : “Comme tu tiens à ta pureté, mon petit gars ! Comme tu as peur de te salir les mains. Et bien, reste pur ! A quoi cela servira-t-il et pourquoi viens-tu parmi nous ? La pureté, c’est une idée de fakir et de moine. Vous autres, les intellectuels, les anarchistes bourgeois, vous en tirez prétexte pour ne rien faire. Ne rien faire, rester immobile, serrer les coudes contre le corps, porter des gants. Moi j’ai les mains sales. Jusqu’aux coudes. Je les ai plongés dans la merde et dans le sang. “ La pureté c’est une idée de Fakir et de moine. Comme souvent, les mots justes résonnent bien longtemps après avoir été écrits. Plus loin, Sartre lance : “Quant aux hommes, ce n’est pas ce qu’ils sont qui m’intéresse mais ce qu’ils pourront devenir”. Là encore, certains feraient bien de profiter du confinement, pour lire ou relire oncle Jean-Paul, cela leur ferait du bien et cela nous ferait des vacances des assignations imbéciles.
Il y aurait ensuite pu y avoir encore des mots de Sartre dont le théâtre est l’une des parties les plus réussies de son œuvre, ceux de Camus, forcément, qui fut aussi un grand dramaturge, mais ce sont des souvenirs de l’Antigone de Jean Anouilh qui se sont ensuite imposés à nous. Éternel questionnement entre la revendication naturelle et l’ordre culturel cette pièce est tellement riche qu’elle ne suscite pas la même réaction selon l’instant de la vie à laquelle on y assiste ou on la lit. Dire non. Comment le dire ? Jusqu’où aller ? D’Antigone, nous sommes partis loin. Vers Bartleby. Et sa résistance passive.
“I would prefer not to” répète inlassablement Bartleby, le célèbre personnage de Melville. Littéralement “je préfèrerais ne pas”. Ce copiste employé de Wall Street décide de se rebeller en ne faisant plus ce que son patron lui demande. Il pratique une résistance passive qui laisse planer une stupeur… Tentant. Souvenir d’une mise en scène superbe par Didier Bezace au théâtre de la Commune d’Aubervilliers. Le théâtre nous manque, l’art en général nous manque. Son audace. Sa capacité à nous faire sortir de nous mêmes. Sa capacité a, simplement, nous déconfiner.
Tiens, l’art justement. C’était le sujet d’une pièce de Yasmina Reza. Hilarante. Son titre : Art. L’histoire de trois amis qui s’écharpent car l’un d’entre eux a acheté une toile blanche. Un monochrome. Leur discussion est par delà les divergences sur le fameux monochrome une façon de questionner leurs chemins de vies. Ils ne sont pas toujours d’accord. Mais à un moment donné l’un d’entre eux assène : “En réalité, je ne supporte plus aucun discours rationnel, tout ce qui a fait le monde, tout ce qui a été beau et grand dans ce monde n’est jamais né d’un discours rationnel.” Alors que notre esprit était, un peu, brouillé, que le mot “race” hier disparu dans les limbes de la connerie humaine fait un retour remarqué chez les nouveaux idiots utiles de la bêtise, se remémorer cette phrase fut une planche de salut. L’Art n’est pas rationnel. C’est de la fantaisie dans de la rigueur. Voilà ce qui nous manque. Voilà ce qui reviendra. Bientôt. Et nous vivrons une forme joyeuse de Movida. Avec du cinéma, des amis, des pièces de théâtre, de la musique à fond et des pas de danse chaloupés.
Bon dimanche de chevauchées artistiques en attendant la Movida,
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