Dans ces colonnes il fait partie des meubles. Comme Gary, Camus, Hemingway, Roth et d’autres différents comme Chalandon, ou encore Blondel et Di Fulvio. Certainement que ces colonnes de journal, d’ailleurs, n’existeraient pas sans ses livres. Alors forcément quand est sorti, un an après l’attaque, son nouveau roman, une forme d’appréhension se dessinait. Qu’allait-être ce roman. Quelques extraits lus ici ou là. Des pages parcourues à la hâte pour nourrir des éditos ici. Mais pas encore de lecture continue approfondie. C’est chose faite. Et la “Cité de la victoire” de Salman Rushdie est un grand roman en ce sens qu’il crée des mondes, qu’ils les tient et qu’il leur confère une résonance puissante avec aujourd’hui. Cela raconte l’histoire de Pampa Kampana, reine de Bisnaga. Dans cette plongée dans une utopie valorisant l’héroïsme et le merveilleux. L’histoire nous est présentée comme étant la version revisitée et simplifiée du Jayaparajaya une ancienne épopée indienne de vingt-quatre mille vers écrite en sanskrit et découverte dans une jarre en argile. La jeune Pampa Kampana voit sa mère s’immoler sur le bucher funéraire où se consume le corps de son père avant d’être choisie par une Déesse qui va lui conférer, en même temps qu’une jeunesse intemporelle, de significatifs pouvoirs magiques. Après une enfance compliquée auprès d’un ascète aussi religieux que pervers, elle crée à partir de simples graines Bisnaga, une cité fantastique, donnant vie par ses chuchotements à ses habitants. Elle imagine un monde où les femmes sont l’égal des hommes et où la liberté des mœurs comme des pensées est la règle.
Un roman philosophique et politique, plein d’astuces littéraires.
Dans ce livre enveloppant qui rappelle notamment à son “Haroun et les histoires” et embrasse les thèmes fétiches de Rushdie : le merveilleux, l’affrontement du religieux avec le réel et l’envie de vivre pleinement, ainsi que simplement la magie du roman et de la fiction et comment ces derniers peuvent conduire au dépassement, le lecteur se glisse comme dans un rêve. Passant de la réflexion à l’émerveillement avec un détour par le sourire tant l’humour est sous-jacent dans la plume de Rushdie. A travers l’histoire de cette civilisation disparue, Rushdie interroge les expériences humaines où l’hubris vient toujours perturber le déroulement. Mieux, sous couvert de merveilleux, l’habile Salman Rushdie interpelle son lecteur en questionnant dans cette fresque politico-philosophique le rapport au pouvoir, la déraison des hommes autant que la perfidie des religions qui se rêvent gouvernantes. Le résultat au global est épatant. Au final, les mots et les histoires sont les vainqueurs.
La cité de la victoire, Salman Rushdie, Actes Sud.
