Du squash à l’écriture, Ivy Pochoda a toujours suivi son instinct créatif. A l’appui d’un troisième livre remarquable, l'ex-athlète professionnelle devenue une étoile du roman noir détaille pour Ernest les choix forts qui l’ont menée à cet accomplissement.
« Ces femmes-là » est ce qu’on a lu de mieux depuis longtemps dans la littérature policière américaine. Un roman en équilibre entre puissance et délicatesse, une fiction généreuse par son style d’écriture, son enracinement social et ses convictions. A 46 ans, Ivy Pochoda confirme le talent à part et le sens aigu de l’observation entrevus dans ses deux premiers livres. Après les ados fugueuses de « L’autre côté des docks » (2013) et les marginaux à la dérive de « Route 62 » (2018), elle met en scène un cercle de femmes noires qui se partagent les trottoirs d’un quartier pauvre de Los Angeles. Tantôt rivales, tantôt solidaires, elles guettent ces ombres dans leur voiture qui viennent les happer pour les rejeter après usage. Elles les redoutent aussi, car un de ces clients sans visage a déjà tué.
Une des forces du récit est de se développer du côté des victimes, de faire d’elles le centre de gravité de l’intrigue criminelle. Le tueur en série n’a pas droit à la lumière, l’auteur préfère approfondir les points de vue de cinq femmes sur la rue, ses règles, ses pièges. Leurs cinq sensibilités combinées colorent cette zone de résidences modestes et de terrains vagues, percée de voies rapides. Leurs regards cernent ce territoire où l’on se croise sans se rencontrer, où l’on envie ceux qui vont vraiment quelque part. Dans cette perspective accablante, la romancière témoigne à ses personnages autant de curiosité que d’empathie, souligne les gestes qui les humilient et ceux qui les font redevenir femme. Elle montre surtout comment l’une peut y laisser sa peau et l’autre non.
En chemin pour le récent festival Quais du Polar, à Lyon, dont elle était une des têtes d’affiche, Ivy Pochoda a fait halte à Paris, accompagnée de sa mère Elizabeth et de sa fille Loretta. C’est dans leur petite location sur cour du quartier République qu’Ernest l’a rencontrée pour retracer son itinéraire. Comment cette ex-étudiante en grec ancien a-t-elle rebondi pour s’imposer dans le roman noir ? Quels coups cette ancienne sportive de haut niveau a-t-elle joués pour entrer en littérature ? Quelles étapes l’ont construite en tant que romancière ? Quels sont les choix ou les influences qui, pas à pas, l’ont conduite là où elle est maintenant ? Retour sur un parcours gagnant.
Le déclic initial. « J’ai pratiqué le squash en compétition quand j’étais à l’université et j’ai trouvé idiot de consacrer tout ce temps au sport sans passer professionnelle. C’est ce que j’ai fait pendant plusieurs années, mais sans y trouver de satisfaction. Dans ce milieu, il n’y avait pas de place pour des activités artistiques et créatives, je suis passée à côté. Le monde des athlètes est très rigide, vous êtes astreint à telle quantité de courses et d’exercices de musculation, c’est répétitif… Au fond de moi, je savais que je ne serais pas une athlète professionnelle toute ma vie. Et que je voulais suivre une voie plus intellectuelle, plus stimulante… »
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