Gwenaël Bulteau, enseignant passionné par la période de la IIIe République confirme dans « Le grand soir » toutes les qualités entrevues dans son premier livre. Aussi à l’aise pour sensibiliser ses lecteurs adultes au sort des premières féministes que pour apprendre à lire aux enfants de CP. Il livre les clés de réussite d'un polar historique en 10 points.
Donner un fond historique à un roman noir, ce n’est pas juste planter un décor. C’est parfois mesurer le chemin que la société a parcouru, cerner un héritage de valeurs, évaluer le présent par analogie. C’est la voie audacieuse que suit Gwenaël Bulteau, confirmant avec son deuxième roman tout le bien qu’Ernest avait pensé du premier. Comme « La République des faibles » (2019), premier volet de sa trilogie, « Le grand soir » nous ramène sous cette IIIe République qui le passionne, dans laquelle il voit le creuset des rapports sociaux d’aujourd’hui. On y suit, dans le Paris de 1906, une jeune femme de la bourgeoisie à la recherche de sa cousine, disparue alors qu’elle s’immergeait dans les révoltes ouvrières. Cette quête est prétexte à explorer, sous des angles et des regards différents, les dessous de ces temps agités, marqués par la catastrophe minière de Courrières, par une contagion de grèves et par la main de fer de Clémenceau. A l’exemple d’Hervé Le Corre, qu’il admire et auquel il se réfère (voir notamment « Dans l’ombre du brasier », situé durant la Commune), l’auteur appuie sa narration sur un ballet de personnages réels et fictifs campés avec soin. Autour de l’épatante Madeleine Pelletier, pionnière féministe engagée pour le droit à l’avortement, et de la citoyenne Sorgue, bourgeoise ralliée au mouvement de lutte de Roquefort, le sort des anonymes Lucie et Suzanne montre quelle place ingrate était alors réservée aux femmes, exposées à toutes les violences et privées de leur libre arbitre. Elles forment la colonne vertébrale de cette fiction engageante, qui remplit efficacement les ambitions de son auteur. Depuis sa maison de La-Roche-sur-Yon, non loin de Dompierre-sur-Yon où il enseigne à des classes de CP, Gwenaël Bulteau nous a retracé son parcours de prof-écrivain. La leçon d’une réussite en dix points.
Bien choisir l’époque dont on parle
Toutes les périodes de l’Histoire ne m’intéressent pas de la même manière. J’aime plus particulièrement celle qui va de la Commune de Paris à la guerre de 1914-18. La IIIe République est un peu le socle de notre société actuelle. Toutes les lois fondamentales naissent à cette époque-là, sur l’école, les syndicats, la séparation de l’église et de l’Etat. C’est un moment que la littérature n’explore pas tant que ça et qui offre des résonances avec le présent : les droits des femmes et les luttes sociales restent d’actualité aujourd’hui.
Faire le lien avec l’actualité sociale
Dans « La République des Faibles », les femmes sont cantonnées au foyer, elles subissent. Dans « Le grand soir », je mets en avant leur volonté de s’émanciper. Elles m’émeuvent aussi fortement que les femmes qui disent non aujourd’hui. J’admire celles qui, en Iran, se dressent contre le pouvoir et risquent leur vie pour leur liberté. Je leur rends une forme d’hommage au travers de mes personnages de la IIIe République, société soi-disant égalitaire où la femme n’a pas le droit de faire ses propres choix, où elle est reléguée à une place secondaire. N’ayant pas le droit de vote, les femmes n’ont alors pas de représentation politique pour porter leur voix hormis l’Eglise, où elles pouvaient se réfugier et se retrouver. Il leur fallait une force incroyable pour oser dire non à la société et à leur entourage, porter une volonté de liberté et d’égalité dans cette société qui ne voulait pas l’entendre. J’ai été fasciné aussi en découvrant l’histoire des premières féministes, des femmes fortes, courageuses, telle Madeleine Pelletier dont on parle encore maintenant (elle fut notamment la première femme psychiatre en France NDLR).
Faire le lien avec l’actualité politique
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