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Les rois du monde

King

Ce mois-ci, dans ses "regards noirs", Philippe Lemaire part à la rencontre de deux auteurs qui font du réel la matière à leurs regards acérés sur le monde, sur ses vicissitudes, sur ses combats, et sur ses petites beautés aussi, parfois. Entre la politique et la banlieue, les univers de Jérôme Leroy et de Nicolas Laquerrière s'entrecroisent. Rencontre avec deux auteurs du "roman noir" qui comptent.

Une lecture ébouriffante, jouissive, jubilatoire, une histoire folle qui raconte la France d’aujourd’hui en tordant un peu la réalité, une brochette de personnages croustillants jusqu’aux seconds rôles, de la violence et du sentiment, du sexe et de l’humour… Voici deux auteurs qui apportent un grand coup de frais sur le roman noir français en usant d’ingrédients similaires. L’effet de souffle est d’autant plus fort que Les Derniers jours des fauves, de Jérôme Leroy, et Nueve Cuatro, de Nicolas Laquerrière, sont apparus à quelques jours d’intervalle dans les librairies.

Derniersjoursdesfauves Bandeau 61701e6e713d2Si le second nommé y fait ses premiers pas, le premier s’est déjà fait largement connaître dans différents genres, dont la poésie et la littérature jeunesse. Jérôme Leroy, 57 ans, c’est déjà une trentaine de titres publiés en autant d’années, et des fictions qui scrutent le pire de notre époque : chaos climatique inexorable, montée des extrémismes, société décomposée… Des thèmes qu’il décline aussi dans son dernier roman, en les durcissant et en y ajoutant la complexité d’une crise politique majeure, déclenchée lors d’une campagne présidentielle.

« C’est ce qui m’amuse quand j’écris un roman noir : comme dans les séries « Borgen » ou « A la Maison-Blanche », il peut se produire autre chose que dans la réalité », nous explique-t-il sur Skype depuis son domicile lillois. Cet autre chose, ce sont les coups tordus auxquels va recourir l’un des fauves du titre, ministre de l’Intérieur à l’âme de putschiste, une fois que la présidente sortante renonce à se représenter. Le paysage français est désolé, la mission s’annonce désespérée mais l’appel du pouvoir est irrésistible.
A quelques semaines du véritable scrutin national, faut-il voir dans ce cocktail explosif un argument de vente ? En fait, Jérôme Leroy souligne qu’il couvait l’idée depuis plusieurs livres déjà, bien avant d’attaquer  Les Derniers jours des fauves. « J’ai entamé un cycle avec "Le Bloc" (2011 NDLR), puis "L’Ange gardien" et "La petite Gauloise", où je tente d’explorer la société française sous le prisme de la violence politique. Et il me semblait tout indiqué de passer à un moment donné par le contexte d’une élection présidentielle car l’affrontement est une affaire de personnes, pas d’idées, et ne peut que générer de la violence. »

Le calcul, assure-t-il, n’est pas de surfer sur l’actualité immédiate mais au contraire de lui survivre. « Quand j’ai écrit "Le Bloc", en 2010, j’ai pris soin de placer les personnages dans des situations archétypales et ce que j’ai décrit alors reste valable », fait-il valoir. Même principe ici, avec un casting qui installe dans des fonctions politiques bien réelles des protagonistes imaginés de toutes pièces. A l’exception de Roland et Agnès Dorgelles, avatars évidents des Le Pen père et fille, déjà croisés dans Le Bloc. À l’exception aussi de cette présidente de la République qu’il marie à un homme plus jeune qu’elle de 26 ans et avec laquelle il n’est pas tendre.