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L’art est LA question

Steve Johnson 5MTf9XyVVgM Unsplash

C’était un soir de semaine. Un soir du mois de novembre. Un soir où avec des amis nous avions décidé de nous faire plaisir pour oublier le quotidien un poil lourd. Ce soir là, dans un restaurant sympathique nous prenions du plaisir. Beaucoup. Du vin, des mets italiens ravissants et l’insouciance d’instants volés à l’harassement de vies trépidantes remplies mais qui assèchent, aussi.
Tout se passait bien quand soudain sur nos téléphones posés sur la table une alerte du Monde. Nous avons jeté un œil. Et le silence s’est fait entre nous. Complètement. Pendant au moins cinq minutes. Je pense même que des larmes se formaient au bord des yeux de certains d’entre nous.
Dans nos souvenirs, des mots. Intenses. Touchants. “There’s a crack in everything, that’s how the light gets in“. De la poésie, aussi. Évidemment. “Prends ce désir de ma langue et de toutes ces choses solitaires qu’ont un jour fait mes mains. Laisse moi voir ta beauté lorsqu’elle est en ruines, comme tu le ferais pour quelqu’un que tu aimes.”
Nous étions le 7 novembre 2016, c’était un jeudi soir et Leonard Cohen venait de mourir. Pourquoi se souvenir de cela aujourd’hui ? Peut-être parce que Leonard Cohen était de ces artistes qui sont plus que des artistes. Ils sont des amis. Leonard Cohen était proche de chacun d’entre nous. Quand nous étions au lit, quand nous étions tristes, quand nous étions heureux.  Quand nous étions amoureux l’un et l’autre. Ou l’un et pas l’autre. Leonard Cohen avait cette faculté d’avoir exploré pour nous les recoins de l’existence et d’en tirer une forme d’enseignement universel qui pouvait parler à chacun et chacune de nous.
Peut-être est-ce cela finalement, la force de l’art. Qu’il soit littéraire, pictural, ou musical. De nous donner accès à nous même mais aussi aux autres. De toucher notre sensibilité pour finalement nous faire évoluer ou pour confirmer nos idéaux.
D’ailleurs, comment ne pas voir à quel point les arts sont liés. A quel point la musique de Leonard Cohen est telle un tableau de Marc Chagall où le violon est remplacé par une guitare et où l’art permet de sortir de soi. Où l’on sillonne l’Europe (Chagall) ou l’Amérique (Cohen). Cela fait donc cinq ans que Leonard Cohen est mort et qu’il n’éclaire plus nos vies de sa poésie. Évidemment, on pourra se moquer de cette phrase. On pourra se moquer de cet hommage à un artiste qui a compté. Se dire qu’il y avait peut-être autre chose à raconter que cela.

Ce serait peut-être omettre une chose essentielle : celle de la place que nous accordons chacun et chacune à l’art dans la construction de notre existence. Ce serait omettre cette indispensable recherche de la beauté, celle que l’on veut – peu importe – qui permet à chacun et chacune de nous de vivre mieux. D’accepter un sentiment de vacuité qui peut nous étreindre, d’accompagner d’une bande son, d’une image, d’une phrase un moment joyeux. De rendre meilleurs, simplement. Dans son roman “Les perdants magnifiques“, Leonard Cohen nous interpelle et nous interroge sur le pourquoi de toute chose. Et sa réponse est superbe : “Le désir change le monde”.

Peu importe que l’on soit gagnant ou perdant. Au fond, tout au long de son œuvre, son message aura été le suivant : aimer l’Humanité dans ses beautés et dans ses noirceurs. Message ô combien crucial dans ce monde où tout se doit d’être blanc ou noir.
Cette semaine, le Prix Goncourt a été remis. Carole Zalberg vous dit ici tout le bien qu’elle pense de ce livre. Nous y avons relevé une phrase : “Chaque homme sur terre doit trouver sa question“. Quelques pages plus loin, on lit : “C’est ça notre vie : essayer de faire de la littérature, oui, mais aussi en parler, car en parler est aussi la maintenir en vie, et tant qu’elle sera en vie, la nôtre, même inutile, même tragiquement comique et insignifiante, ne sera pas tout à fait perdue. Il faut faire comme si la littérature était la chose la plus importante sur terre ; il se pourrait parfois, rarement mais tout de même, que ce soit le cas et que certains doivent en attester.” 
Nous y sommes. Et si pour trouver notre question, et donc – peut-être – notre désir qui, rappelons-le, “change le monde”, l’art était le levier ultime ? Celui sans lequel rien n’était possible. A défaut d’avoir trouvé nos questions, certainement que nous serons d’accord sur cette réponse : sans la beauté ouverte par les artistes que nous aimons alors la recherche de la question de vie est vaine.

Bon dimanche,

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