Une fois n’est pas coutume. Ce matin, les amis, je vais vous raconter quelque chose de personnel. Très personnel même. Cette semaine, entre deux rendez-vous, je sirotais un thé aux Editeurs (Jusqu’ici rien de très original, je vous l’accorde). Alors que je terminais un papier, tout en cherchant une idée d’éditorial pour ce matin (On était alors parti sur la réouverture de la maison de Zola à Médan dans les Yvelines avec la création du musée Dreyfus en plus, nous y reviendrons), j’ai saisi mon téléphone pour envoyer des SMS à différents amis et contacts pour caler avec eux des rendez-vous ou simplement échanger des bêtises. De celles qui nous lient aussi. Et là, soudain, en parcourant mon répertoire téléphonique, forcément ils étaient là. Lui et elle. Elle et eux. Ces amis qui ne sont plus. David C, Christian B, Thibault L, Jacques W, Isabelle M, Bernard M, Stéphane C. …
Et c’est alors qu’en cette veille de Toussaint j’ai eu envie de chercher, avec vous, la symbolique de ce cimetière numérique que chaque jour je transporte dans mon téléphone. Beaucoup de morts n’y gisent pas encore, c’est heureux. On y trouve plus de verdure que de sépultures, plus de parterres que de poussière. Dans le cimetière de mon carnet d’adresses, je les rencontre souvent. Comme pour me rappeler que nous sommes liés. Toujours. Cette semaine, j’ai eu envie de leur envoyer un SMS.
Parfois, je parcours même nos derniers échanges. Un peu comme s’ils étaient encore là. Pour me rappeler ce qui faisait le sel de notre amitié, notre amour ou plus simplement d’une camaraderie professionnelle joyeuse. Les morts les plus anciens, pour certains les plus chers, ne sont pas dans ce répertoire téléphonique. Forcément, la Camarde les a attrapé avant les téléphones portables. Mais aussi loin que je me souvienne, je n’avais jamais supprimé des numéros enregistrés sur le téléphone fixe de la maison le numéro de ma grand-mère. Je m’en souviens même par cœur…01 48 83 54 25…
Clairement, les amis, je ne me résous pas à supprimer ces numéros. Pourquoi le faire d’ailleurs ? Refaites surface ai-je envie de leur dire. Passez me voir de temps en temps. Incisez la maladie de ce corps. Dénouez la corde. Refoulez cette toux pour vous ramener à la vie. Soyez ici de temps en temps. Je me dis cela et je me rends compte qu’en fait, ils sont là.
Parce qu’ils viennent du passé et tendent vers l’avenir. En pensant à leurs numéros dans mon téléphone, c’est comme si je posais – comme dans la tradition juive – une pierre sur leur sépulture pour dire à quel point en partant ils ont laissé quelque chose avec lequel il m’appartient de vivre pour m’aider à devenir. “Et chaque génération, parce qu’elle vient après une autre, grandit sur un terreau qui lui permet de faire pousser ce que ceux qui sont partis n’ont pas eu le temps de voir fleurir“, écrit Delphine Horvilleur dans son magnifique livre “Vivre avec nos morts.” Avant d’ajouter : “Ne jamais raconter la vie par sa fin mais par tout ce qui, en elle, s’est cru “sans fin”. Savoir dire tout ce qui a été et aurait pu être, bien avant de dire ce qui ne sera plus. “
Quelque part, ces numéros rappellent à quel point il faut vivre si bien que la mort tremble à l’idée de venir nous prendre. Ils viennent aussi rappeler ce que nous avons été avec les autres. Et ils viennent nous dire que la “fête des morts, c’est tout le temps” rappelait Brassens, en disant leur noms, en pensant à eux, et en tâchant d’être dignes de leurs enseignements. Ils me / nous rappellent qu’il nous faut combler nos fringales de vie. “Voilà. Il va bientôt falloir quitter le rivage où je suis couché depuis si longtemps, en écoutant la mer. Il y aura un peu de brume, ce soir, sur Big Sur, et il va faire frais et je n’ai jamais appris à allumer le feu et à me chauffer moi-même. Je vais essayer de demeurer là encore un moment, à écouter, parce que j’ai toujours l’impression que je suis sur le point de comprendre ce que l’Océan me dit. Je ferme les yeux, je souris et j’écoute… Il me reste encore des curiosités. Plus le rivage est désert et plus il me paraît toujours peuplé. Les phoques se sont tus, sur les rochers, et je reste là, les yeux fermés en souriant, et je m’imagine que l’un d’eux va s’approcher tout doucement de moi et que je vais soudain sentir contre ma joue ou dans le creux de l’épaule un museau affectueux… J’ai vécu”, symbolise Romain Gary dans les ultimes mots de “La promesse de l’aube“.
Vivons les amis.
Bon dimanche,
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David Mediani vous êtes un poète, tous vos articles me font rêver
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