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Manuel Valls : “La littérature assouvit ma passion de l’Humain”

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Si la littérature a un pouvoir, c'est bien celui de nous façonner. C'est ce qu'elle a fait avec Manuel Valls, ancien Premier ministre de François Hollande que nous avons rencontré pour causer livres, littérature, écrivains, laïcité, et avenir de la gauche. Une belle rencontre avec un lecteur compulsif qui aime sincèrement ce que la littérature nous apporte.

Photos Patrice NORMAND

Manuel Valls 01« Une librairie, c’est une infinité de possibles, un lieu de désir et de plaisir, un lieu d’échanges aussi ». Ces mots lus, page 154, de « Pas une goutte de sang français » de Manuel Valls, ont achevé de nous convaincre que l’image publique de l’homme politique Valls ne collait pas vraiment avec celle de cet auteur qui tout au long du livre explore son rapport charnel, intellectuel et sensible à la France. (Frédéric Potier en parlait ici) Ce livre est un livre politique, mais c’est plus que cela. C’est le livre d’un homme qui donne une part de lui. Une part que seuls ses amis connaissaient et qui raconte beaucoup de ce qu’il est. Ce livre, c’est aussi l’histoire d’un homme pour qui la France est une idée. C’est le livre de quelqu’un qui a choisi la France. C’est aussi le livre de quelqu’un qui tente de casser une forme de malentendu entre lui et le pays. C’est un très beau livre. Avant les mots sur les librairies lus donc page 154, et qui résonnent tout particulièrement chez Ernest, il y avait eu ceux, émouvants et partagés, sur Élisabeth et Robert Badinter, sur la passion dévorante du football ou sur la lutte sincère contre la haine et pour la laïcité avec l’impression d’accéder à la vérité, à la sincérité et à la complexité d’un homme. L’envie, forcément, de partir à sa rencontre, et de le faire parler plus encore de sa passion pour les livres et la littérature est venue. Au fil de la lecture de « Pas une goutte de sang français », titre emprunté à Romain Gary, l'impression de lire un livre qui tranche avec l’image publique de l’homme était de plus en plus tenace. Alors que nous arrivons, un peu en avance chez Grasset, son éditeur, que nous nourrissons une forme d'appréhension à l'idée de rencontrer un ancien Premier ministre, Manuel Valls souriant nous rejoint dans un petit bureau. Il plaisante sur sa connaissance de la langue de Goethe en découvrant dans la bibliothèque des ouvrages de Zweig en Allemand. Un voyage en littérature avait démarré. En route.

Ce livre raconte une forme d’exil, une forme d’errance que vous avez vécue. Vous y parlez des arts en général comme ce qui vous a construit et forgé… Durant cette période d’exil et d’errance, certains livres en particulier vous ont-ils accompagné ?

Manuel Valls : La lecture m’accompagne toujours. Même dans les moments où mon emploi du temps était différent de celui d’aujourd’hui. Il n’y a pas de rupture. La situation ne change pas mon envie, mon goût, mon désir de lecture. Je n’ai pas vécu cette période comme un exil ou comme une errance, c’est un éloignement, un nouvel itinéraire, une opportunité aussi d’une certaine façon. Cela a été marqué, bien évidemment, par une réappropriation de la littérature, espagnole notamment. Pour se mouvoir à nouveau dans la langue. J’ai lu et relu sur la Catalogne et j’ai retrouvé, également, la littérature de mon ami Mario Vargas Llosa.

"Il n'y a rien de plus beau qu'un livre pour stimuler l'imagination"

Valery Giscard d’Estaing confiait se réserver du temps pour la lecture, François Mitterrand aussi, vous confiez à l’instant que même en fonctions avec un emploi du temps contraint, vous lisiez. Que vous apportaient ces lectures ?

Manuel Valls : Elles étaient essentielles pour moi. Souvent, je lisais à l’occasion d’un voyage un peu long pour m’échapper des notes qu’on vous fournit et que l’on vous demande de renvoyer aussitôt car les collaborateurs impatients attendent les arbitrages. J’ai depuis toujours le rituel de lire quelques pages avant de m’endormir. On s’endort mieux après avoir lu. Il n’y a rien de plus beau qu’un livre pour stimuler l’imagination.

C’est à cela que cela vous servait de lire : à apaiser le quotidien pour stimuler l’imaginaire ?

Manuel Valls : Ce qu’éveillent la musique, l’image, et l’écriture est unique. L’écriture et le livre obligent à un effort qui est sans doute le plus beau que je n’ai jamais trouvé.

Comment qualifieriez-vous cet effort de lecture. Est-ce vraiment un effort, d’ailleurs ?

Manuel Valls : C’est une exigence. Elle mêle l’obligation de la concentration pour comprendre ce que l’on est en train de lire et l’imagination exquise et délicieuse offerte par le roman. Difficile de ne pas se souvenir de certaines scènes de romans aimés, tant elles sont imprimées dans mon imaginaire. Il en va de même lorsque je lis des livres d’histoire ou des biographies qui narrent des épisodes de la vie d’un homme, la construction d’un discours, le déroulement d’un événement ou d’une bataille. La lecture nous y projette. Avec la lecture, toute la mécanique du cerveau est en marche et tous les sens sont sollicités, c’est cela qui en fait toute la quintessence.

Vous parliez des scènes de romans. Y en a-t-il dont vous vous souvenez en particulier ?  Manuel Valls 04

Manuel Valls : Elles sont innombrables. A travers votre question, vous me ramenez à l’enfance. A ce moment-là mon univers est fait d’une maison où il n’y a pas de télévision et où la seule BD autorisée est Tintin. Après, donc, Tintin et les petits livres du club des 5, comme tous les enfants, c’est surtout Jules Verne qui m’a marqué. Jules Verne m’ouvre à l’imagination, il m’apprend à prendre un livre et à ne pas le quitter, il me fait devenir acteur du livre, même. « Deux ans de vacances » est fabuleux. Je me souviens m’être imaginé dans ce bateau qui naufrage et qui oblige toute une colonie de garçons avec ses rapports de force, ses luttes à s’organiser et à créer une société quasi parallèle. Il y en a un autre, plus tard, qui s’appelle les « Naufragés du Jonathan ». C’est l’histoire d’un naufrage aussi sur une île sur laquelle un chef anarchiste cherche à créer la société idéale ! Cela ne se termine pas bien. Forcément (rires).

Je pourrais continuer longtemps. Me vient à l’esprit aussi le « Rêve du Celte » de Vargas Llosa. Sur cet irlandais qui a révélé au monde l’horreur de la colonisation belge au Congo. Il fera la même chose sur l’exploitation indigène au Pérou. Il sera anobli par la Couronne avant d’être l’un des fers de lance de l’indépendance de l’Irlande, de soutenir l’Allemagne pendant la première guerre mondiale et d’être arrêté et mis en prison. Le livre commence d’ailleurs dans sa cellule. Je me souviens de toutes les descriptions du fleuve Congo, de l’exploitation des indigènes etc… C’est magnifique !

Manuel Valls marque une pause. Il est dans le livre. Dans les livres. Dans les scènes qu’il aime. Un silence agréable s’installe. Après quelques instants, l’ancien Premier ministre reprend :

Manuel Valls 03L’autre écrivain qui compte beaucoup pour moi c’est Stefan Zweig. Que ce soit dans son roman « La pitié dangereuse », dans la « confusion des sentiments », mais aussi dans ses nouvelles et ses biographies d’Érasme, de Marie-Antoinette, ou de Montaigne, il y a là quelqu’un qui va chercher ce qu’est précisément le sentiment. Il entre dans le plus profond de ce qu’est la nature humaine. Je crois n’avoir jamais lu autre chose d’aussi juste notamment dans la narration des sentiments amoureux.