Des livres récents s’attaquent au sujet crucial du sexe après MeToo. Un sujet politique, sensuel et surtout passionnant. Comment le masculin et le féminin peuvent demain se réinventer pour mieux s’enlacer, s’aimer et jouir. Revue de détail.
C’était le 5 octobre 2017. Alors que le New York Times et le New Yorker publiaient des articles mettant en cause Harvey Weinstein l’accusant d’agressions sexuelles, l’actrice Alyssa Milano, sur Twitter lançait le hashtag le plus populaire des hashtags : le hashtag : #metoo en invitant les femmes victimes d’agressions sexuelles à le dire avec ces mots. La déferlante et la déflagration sont à la hauteur de l’ampleur du phénomène d’agression des femmes. Médusés, nous assistons alors à la libération inédite et historique de la parole de nos sœurs en humanité. Toutes les femmes, de tous les milieux, de toute origine, et de tous les pays ont été concernées. De près en étant victimes, de loin en accompagnant des victimes.
Révolution des mots, révolution des rapports hommes-femmes et femmes -hommes. Nous avions déjà, ici, documenté ce nouvel état des choses sur le plan social et sociétal. (Ici, là, encore là et là). Évidemment, la lame de fond engendré par Me Too dans l’ensemble de la société n’est pas encore terminée. Elle va se poursuivre et il est certain que les enfants d’aujourd’hui qui seront les adultes de demain n’auront pas les mêmes rapports hommes-femmes que ceux des adultes actuels. Si des essais s’étaient déjà intéressés à la question sur le plan anthropologique et sociologique, il y en a eu très peu sur la question de la sexualité et plus largement de la place du masculin et du féminin dans les rapports sexuels post #Metoo. Au fond, peu d’ouvrages ne s’étaient intéressés à la question suivante : comment baiser après #MeToo ?
Maïa Mazaurette dans “Sortir du trou, lever la tête” avait abordé la question, et Amandine Dhée dans son très beau livre “A Mains nues” (notre entretien indispensable avec elle est là) l’avait prise à bras le corps. Amandine Dhée dans un style épuré et intense comme un orgasme donne à voir toutes les facettes du désir en les rendant non pas autocentrées mais universelles. Avec – en prime – quelques morceaux de bravoure littéraire et politique : « Ce n’est pas le moment de refuser de lécher les femmes, mais plutôt d’y voir, en plus du plaisir, un acte politique d’une grande noblesse » ; « Jouir est une si belle façon de désobéir.» « Dans nos fantasmes, n’est-ce pas toujours nous, les cheffes ?» ; « Nos désirs sont bien plus retors, intelligents et magiques que nous » ; « Sa première fellation sent l’aventure. Son premier cunnilingus la foudroie. Elle jouit de se voir prendre du plaisir. Elle jouit d’en donner, ça n’en finit pas. Ça invente une autre elle-même, une réplique plus libre et plus drôle. Je veux mouiller. Il y a l’eau des larmes et puis cette eau joyeuse, glissante, qui invite. Magie de cette mécanique, même pas sur volonté, juste quand le corps décide ». Ou encore : « Mon désir ne dépend pas de la fermeté de ma peau, mais seulement de mon appétit de vie ».
Deux livres récents poussent encore un peu plus loin l’exploration. Ils s’interrogent sur le rapport sexuel même, et sur ce que Me Too a pu engendrer dans l’art de se faire l’amour. Le premier de ces livres est un peu plus ancien, il est signé Martin Page et a paru au Nouvel Attila. Il s’intitule : “Au-delà de la pénétration”. L’atout principal de ce livre est d’être écrit par un homme qui s’interroge sur les pratiques sexuelles et sur la façon dont il a été façonné par les injonctions diverses qui assaillent les adolescents puis les jeunes hommes en construction. Il raconte aussi la façon dont, petit à petit, en écoutant les femmes à travers Me Too mais pas que.
Martin Page ausculte la sexualité masculine et interpelle : “La pénétration a tout pour plaire, cet emboîtement bien pratique rappelle les jeux de construction. C’est tellement évident. L’être humain aime l’ordre, il range, on l’a éduqué à ça, après tout il a fait des puzzles depuis qu’il a dix-huit mois. Et quel plaisir, n’est-ce pas ? Du plaisir pour celui qui pénètre ? La plupart du temps. Du plaisir pour celle qui est pénétrée ? Moins souvent.” Il pose également la problématique fondamentale de la façon dont les hommes sont éduqués à l’usage de leur corps. Pour lui, clairement, il y a un souci : “L’éducation d’un corps d’homme est une éducation à l’insensibilité.” L’auteur de cet essai vivifiant même s’il comporte quelques défauts oblige chacun et chacune à regarder le miroir et à s’interroger à l’aune de ce qu’il écrit. “Néanmoins c’est un fait établi : la jouissance par pénétration est bien plus rare qu’avec le cunnilingus. En cela la pénétration vaginale est une pratique symptomatique du génie humain : ça marche mal, ce n’est pas la meilleure manière d’avoir du plaisir, et pourtant c’est la norme. ”
Au fond, dans son propos, Page nous invite à explorer TOUS les champs des possibles et à sortir des schémas préétablis. De la part d’une plume masculine, c’est assez rare pour être noté et souligné. Clairement, ce livre n’aurait pas existé avant la vague Me Too. Mieux, son propos, tenu par un homme prend une ampleur différente et souligne finalement le besoin, pour les hommes comme pour les femmes, d’inventer ensemble les nouvelles façons de se faire l’amour. Ainsi, Page prolonge en y intégrant pleinement la question de la sexualité et du rapport sexuel le travail d’historien mené par Ivan Jablonka dans son essai “Des hommes justes”. Dans ce livre, Jablonka traçait la façon dont la domination masculine sexuelle avait été absorbée par les hommes et donnaient quelques pistes de réflexion sur une nouvelle donne à imaginer dans le rapport homme-femme et dans l’éducation. Mais il tombait assez vite dans des concepts peu opérants comme le “patriarcat bienveillant” où le présupposé de départ est que l’homme est un dominateur en puissance. L’avantage de l’ouvrage de Page est de se placer sur un plan plus intime et de donner aussi une large place aux témoignages en parallèle de l’essai.
Baiser après #MeToo, c’est justement le titre de la BD qu’Ovidie publie avec la dessinatrice Diglee. Elle y ajoute, une baseline : “Lettres à nos amants foireux”. Les lettres sont drôles et parfois piquantes. “Lettre à celui qui pense qu’il ne peut plus draguer”, “Lettre à celui qui se plaint de se faire constamment friendzoner”, “Lettre à celui qui m’a sodomisée par surprise”… Au travers de ces lettres Ovidie, si elle fait le procès de nos constructions érotiques et sexuelles, invite chacune et chacun à l’interrogation et surtout à l’invention. Ainsi, elle rappelle aux hommes qu’il ne convient plus de “baiser tout seul”, mais elle demande aussi aux femmes de s’interroger sur la façon dont leurs fantasmes sont construits. Surtout, ce qui est passionnant dans tous ces ouvrages c’est qu’ils ne sont jamais normatifs et, au contraire, ouvrent un grand éventail de possibilités et de discussions.
En finir avec la pute et le porc
Au fond, ce que viennent souligner avec intelligence et humour ces ouvrages c’est que cette libération salutaire des mots doit entraîner une nouvelle donne. Une nouvelle donne dans les mœurs de nos sociétés encore plombées par des siècles de patriarcat. Dans l’imaginaire collectif, la croyance selon laquelle la virilité passe par la nécessité de faire des conquêtes féminines est tenace. De DSK au dragueur des rues, certains hommes cherchent à prouver leur potentiel de mâles dominants en séduisant des femmes réduites à l’état de trophées. Généralement, ces hommes confondent la drague et l’agression. Tout refus exprimé par la gent féminine ébranle inéluctablement la vision qu’ils ont de leur propre valeur. Blessés par leur mésestime d’eux-mêmes, ils insultent les femmes ou s’autorisent des gestes déplacés tels que des attouchements non consentis. Ils revalorisent leur ego en prenant le dessus par l’agressivité. Ne pas perdre la face. Être fort. Ne pas montrer son incapacité à susciter le désir. Ces pensées sont autant de mythes sur la masculinité qui empoisonnent les rapports entre les individus.
Ce que disent ces ouvrages, c’est aussi que si les mœurs doivent changer, il convient de démontrer aux hommes que leur valeur ne dépend pas du nombre de femmes qu’ils mettent dans leur lit où qu’ils évoquent publiquement comme faisant partie de leur cheptel. L’objectif de la séduction est de rendre la femme désirante et non de la soumettre. Pour les femmes, la quête de la liberté sexuelle a tout du fantasme. Quand on veut insulter une femme, on la traite encore volontiers de “pute”, de femme qui s’offre aux hommes, à tous les hommes, d’une femme qui ne protège pas sa vertu, qui aime le sexe, en d’autres termes, qui ne se respecte pas. Ne peut-on, aujourd’hui, être une femme, aimer le sexe, choisir ses amants et, précisément, par la sélection, se respecter ? Les premières à vilipender les femmes libres sexuellement sont les autres femmes, celles qui n’osent pas assumer leurs désirs et continuent à vivre dans la croyance qu’il y a quelque chose de condamnable dans le sexe que seul l’amour peut absoudre. La véritable évolution des mœurs serait d’accorder aux femmes une liberté sexuelle en accord avec leur libido naturelle, sans jugement de valeur. La vertu n’a plus de sens dans notre société post-moderne où le patriarcat est moribond. Quitte à changer de paradigme social, ayons le courage de choisir la liberté totale dont l’unique corollaire devrait être le respect.
Liberté totale de chacun et chacune, et respect mutuel. Voilà qui nous promettrait de belles parties de jambes en l’air. Sans amant(e)s foireux et au-delà de la simple et seule pénétration.
Toutes les inspirations d’Ernest sont là.