Jeudi 8 mars, journée internationale des droits des femmes. Ernest a tenté de faire parler la fiction contemporaine pour brosser des portraits des héroïnes de fiction qui peuvent inspirer hommes et femmes d’aujourd’hui pour réinventer des nouveaux rapports hommes-femmes. Nous publions une liste d’essais qui par leurs propos participent de cette nouvelle donne et tentent d’en brosser les contours. Voici donc une bibliothèque d’essais pour hommes et femmes. Pour réfléchir séparément ou à deux.
“On ne naît pas femme, on le devient”. Formule célèbre de Simone de Beauvoir. Aujourd’hui, une autre phrase de la philosophe pourrait devenir tout aussi connue et récitée. Elle avait d’ailleurs été reprise par Bélinda Canone dans une tribune au Monde au moment des débats autour de #balancetonporc et #metoo. “De l’émancipation des femmes naîtrait, entre les deux sexes, non pas l’indifférence, mais des relations charnelles et affectives dont nous n’avons pas idée.” Nous n’en n’avons toujours pas totalement l’idée aujourd’hui, concluait d’ailleurs Belinda Canone. Au-delà de cette question de nombreuses femmes réfléchissent aujourd’hui, au travers d’essais stimulant à la réinvention de ces rapports entre les hommes et les femmes. Petite promenade dans ces essais stimulants pour l’esprit et le monde.
Partager la charge mentale
Dans cette nouvelle donne, plusieurs thématiques apparaissent comme cruciales. D’abord, encore et toujours, la question capitale de la charge mentale. Traitée avec humour et puissance dans les BD d’Emma, la charge mentale est aussi au coeur de l’essai stimulant de Titiou Lecoq “Libérées : le combat féministe se gagne devant le panier à linge sale” paru chez Fayard et dont nous avions longuement discuté avec l’auteure. Dans cet essai, Lecoq s’attaque avec brio à la question de la charge mentale qui pèse sur les femmes, les invite à prendre conscience de la chose et à en parler avec leurs amoureux. Loin des mantras de développement personnel, l’ouvrage est une enquête journalistique menée tambour battant et auscultant – faits et exemples concrets à l’appui – la façon dont les femmes sont toujours victimes de leurs propres impensés imposés par la société patriarcale et par leur éducation genrée. Mesdames et messieurs, après avoir lu cela, vous vivrez mieux. Mieux et de manière plus égalitaire. Messieurs, autant vous prévenir, ce livre va vous (re) mettre au travail !
S’affranchir des canons de beauté traditionnels
La question de la charge mentale n’est pas la seule à être au cœur de la production éditoriale sur les rapports hommes-femmes. La façon de représenter les canons de beauté est aussi au cœur des préoccupations des différentes essayistes. Oui, malheureusement ces questions sont très souvent étudiées par des femmes, et seulement par elles. C’est notamment le sujet de l’essai stimulant signé par Mona Chollet “Beauté fatale”. Dans cet ouvrage, Chollet décortique avec acuité la représentation inhibante et infantilisante de l’idéal féminin dans les films, les séries, ou les médias. On peut parfois être en désaccord avec le propos et trouver qu’il va très très loin, mais le bouquin est réellement un outil de réflexion passionnant.
L’autre livre qui aborde cette question est “On ne naît pas grosse” de Gabrielle Deydier aux éditions La Goutte d’or. La fondatrice du site “Ginette Le Mag” y aborde la question de la pression sociale qui pèsent sur les femmes, leur corps et leur apparence. Une façon de montrer à quel point les images et les schèmes véhiculés par nos médias et nos objets culturels sont – parfois – destructeurs.
Affirmer haut et fort les désirs
Brosser une bibliothèque de réflexion sur la place des femmes dans notre société ne saurait être fait sans un détour par la question du corps et de sa liberté, mais aussi plus largement sur le désir, l’affirmation de celui-ci et la sexualité égalitaire à laquelle les hommes et les femmes réellement humanistes aspirent. Sur cette thématique, évidemment, la production éditoriale est riche et passionnante. On pourra avec intérêt se pencher sur “La Chair Interdite“ de Diane Ducret pour comprendre avec effarement comment tout au long de l’histoire le sexe de la femme a été maltraité par les hommes et pour se rappeler à quel point il a toujours été un enjeu politique. Il l’est d’ailleurs toujours aujourd’hui dans de nombreux pays. Y compris occidentaux.
Ensuite, il faudra évidemment se plonger dans “Sexpowerment : le sexe libère la femme et (l’homme)” de Camille Emmanuelle. Dans cet essai récit, elle raconte comment sa découverte du plaisir, l’affirmation de ses désirs, de tous ses désirs, l’a conduit à une meilleure affirmation d’elle-même et à une plus grande assurance dans le monde et dans la vie. Il y est autant question d’éducation sexuelle que de clichés véhiculés que d’une découverte de femme. Elle y décortique notamment la façon dont les injonctions collectives sur le sexe et la façon genrée dont il est envisagé a été une difficulté à surmonter pour elle, comme pour de nombreuses femmes. Surtout son livre est un hymne à la vie qui affirme une conviction : “Le sexe est un terrain d’empowerment, un espace de liberté, et comme il n’y en a pas beaucoup, autant en profiter”.
Un propos stimulant cousin de celui d’Adeline Fleury dans son “petit éloge de la jouissance féminine” dans lequel elle raconte – elle aussi – sa découverte du plaisir et la façon dont cela l’a rendu plus forte. “Jouir rend forte“, c’est d’ailleurs le titre de l’interview qu’elle nous a accordée.
Évidemment, le lecteur intéressé par cette question pourra aussi se pencher ou se repencher avec intérêt sur le “Petit éloge du désir” de Belinda Canone et le “Avec mon corps” de Nikki Gemmel. Deux classiques de la littérature émancipatrice pour les femmes. Des textes qui s’inscrivent dans la lignée d’Anaïs Nin (dont Virginie Bégaudeau vous parlait ici). Anaïs Nin qui en écrivant racontait le monde dans lequel elle désirait vivre. “Le sexe doit être mêlé de larmes, de rire, de paroles, de promesses, de scènes, de jalousie, d’envie, de toutes les épices de la peur, de voyages à l’étranger, de nouveaux visages, de musique, de danse, d’opium, de vin”, écrit-elle. Elle souhaitait un monde dans lequel les désirs seraient libres et dans lequel une femme pourrait écrire une scène de masturbation féminine devant une glace sans être assimilée à une putain et marquée au fer rouge pour sa sexualité.
Fer rouge sur la sexualité. Transition normale sur l’autre sujet est au cœur des préoccupations des essayistes : celui de la représentation de la sexualité féminine dans le porno. Sur cette question, Ovidie est véritablement celle qui a certainement le plus réfléchi. Ainsi, tant dans son célèbre “Porno manifesto”, essai essentiel, que dans son dernier opus co-écrit avec la dessinatrice Diglee “Libres : manifeste pour s’affranchir des diktats sexuels”, le lecteur trouvera de réelles réflexions passionnantes sur la façon dont est envisagée et représentée la sexualité féminine dans le porno et sur la façon dont des solutions et des voies alternatives existent.
Dans ce livre “Libres”, Ovidie et Diglee réaffirment notamment avec justesse que les femmes sont libres de choisir ce qu’elles veulent, comme elles le veulent et qu’elles ne sont pas sensées se plier forcément aux diktats sexuels de la société patriarcale. Évidence, certes. Mais qu’il est essentiel de rappeler.
Et les hommes alors ?
Dans ce panorama – non exhaustif mais déjà complet et varié – de la production d’essais autour des rapports hommes-femmes deux regrets : très peu d’hommes ne prennent la parole et la plume sur ces questions. Seuls des ouvrages sociologiques. Aucun récit- enquête d’hommes qui tentent de participer à l’invention – dans leur quotidien – de ses nouveaux rapports entre les hommes et les femmes. Voilà pour le premier regret. Le second regret est celui de ne pas voir les hommes réfléchir eux aussi à leur façon dont ils ont intégré et/ou désappris les façons de concevoir la sexualité et leurs rapports aux femmes. Sur cette question toutefois, la lecture de deux ouvrages peut être réellement passionnante et utile.
D’abord, un livre qui date déjà un peu, paru en 2013 et signé de John Stoltenberg au titre évocateur “Refuser d’être un homme”. Dans cet essai Stoltenberg explique comment la virilité masculine au cours des siècles a été construite. Surtout, il démontre quelles sont les conséquences de cette construction sur les rapports hommes-femmes. Enfin, Stoltenberg donne des clés pour les hommes qui ont envie de porter certaines idées féministes, sans en avoir honte.
L’autre bouquin qu’il faut absolument lire pour réfléchir à toutes ces questions est celui – plus récent (2017) – d’Olivia Gazalé “Le Mythe de la virilité : un piège pour les deux sexes” chez Robert Laffont. L’auteure y démontre avec minutie et détail la façon dont la virilité masculine est une construction sociale comme une autre, mais aussi la façon dont ce mythe conduit non seulement à la domination masculine dont parlait avec justesse Pierre Bourdieu, mais aussi et surtout est un piège pour l’homme qui devient lui-même l’objet de sa propre domination. En voulant toujours être virils selon les images d’Epinal de cette virilité, finalement, les hommes oppressent, mais aussi s’oppressent eux-mêmes. Une approche rare et salutaire. Une approche dynamique et progressive. Une approche passionnante et transgressive. L’essai d’Olivia Gazalé est une pépite. Une pépite qui n’oppose pas les deux sexes. Mais qui les fait communiquer. On peut ainsi parler du masculin sans faire de l’homme la victime des femmes, mais en fait sa propre victime, du fait justement du mythe de la virilité. Dynamique ! C’est aussi une façon d’inviter les hommes à se bouger pour bousculer les stéréotypes construits et arrêter de se comporter comme sur le forum romain en faisant des concours de quequettes ! Toute la société en sortira grandie !
Olivia Gazalé était récemment l’invitée d’Adèle Van Reth sur France Culture.
Voilà donc quelques idées de lectures qui pourront certainement collectivement aider à la réflexion sur la construction des nouveaux rapports Femmes-Hommes. Des mots qui ouvrent des perspectives. Comme ceux des romanciers et romancières d’ailleurs. Des mots qui obligent à agir et à espérer. Des mots qui laissent entrevoir un demain lumineux.
La photo de Une est celle de la table que la Librairie la Nuit des Temps consacre au féminisme. Nous avons des titres en commun 🙂