6 min

En face à face avec sa bibliothèque

Radu Marcusu MbKApJz6RSU Unsplash(1)

Chacune et chacun de nous a été durant le confinement en face à face avec sa bibliothèque. Pas simple. Souvent, on pouvait s'apercevoir qu'il y avait des livres non lus ou oubliés. D'autres, eux, se sont mis à dialoguer avec la bibliothèque et les livres qui la constituaient. Ce fut le cas de Myriam Thibault, autrice et créatrice d'une papeterie artisanale (Atelier d'Albion). Elle en a tiré cette variation littéraire et sociétale. Et vous, c'était comment votre face à face ?

Par Myriam Thibault

Être en face à face avec sa bibliothèque pendant plus de cinquante jours nous pousse irrémédiablement à finir par discuter avec elle. La bibliothèque a le pouvoir de traverser le temps. Elle oublie les dates et adore nous mettre sous les yeux des textes qui résonnent avec ce que nous vivons sur l’instant. Notre bibliothèque nous connaît et devine ce que nous avons envie de lire. Nous n’avons donc lu ni "La Peste" d’Albert Camus ni "L’Amour aux temps du choléra" de Gabriel Garcia Marquez ni "Le Hussard sur le toit" de Jean Giono.

Mais c’était sans compter une petite erreur de parcours, ce matin ensoleillé avec une tentative vite avortée du Théâtre et son double d’Antonin Artaud : « Une nuit de fin avril ou du début de mai 1720, vingt jours environ avant l’arrivée à Marseille du vaisseau le Grand-Saint-Antoine, dont le débarquement coïncida avec la plus merveilleuse explosion de peste qui ai fait bourgeonner les mémoires de la cité, Saint-Rémys, vice-roi de Sardaigne, que ses responsabilités réduites de monarque avaient put-être sensibilisé aux virus les plus pernicieux, eux un rêve particulièrement affligeant : il se vit pesteux et il vit la peste ravager son minuscule État. »[1] Artaud et la peste, ce sera pour plus tard.

À la recherche du lieu à soi

Pendant ce confinement, beaucoup de familles ont dû concilier travail des parents et école à la maison. Avoir un lieu à soi pour travailler a donc été l’une des principales questions d’organisation des Français, après avoir été l’une des grandes questions de l’œuvre de Virginia Woolf. Un jour, elle a constaté que les femmes n’écrivaient pas, tout simplement parce qu’elles n’avaient pas ce fameux « lieu à soi ». Virginia Woolf nous disait donc en 1929 : « Mais pour les femmes […], ces difficultés étaient infiniment plus redoutables. Au premier rang, hors de question d’avoir un lieu à soi, sans même parler d’une pièce calme ou d’une pièce insonorisée, à moins que les parents ne soient exceptionnellement riches ou très nobles, et ce jusqu’au début du XIXe siècle au moins. »[2]

Aujourd’hui, alors que des milliers de Français doivent encore télétravailler, la question du fameux « lieu à soi » de Virginia Woolf devient une question essentielle. Ce confinement a mis beaucoup de familles sur le même pied d’égalité. Une majorité des gens n’ont pas de bureau chez eux. Et dans le terme « bureau », on entend bien sûr la pièce à part qui permet de s’isoler, et non pas seulement l’objet. Combien sont ceux qui ont installé ordinateurs du boulot et devoirs des enfants sur la même table ? Qui peut télétravailler ailleurs que sur la table de la salle à manger ou sur ses genoux assis sur un canapé dans le salon (on n’ose imaginer avec, en plus, la télé allumée) ? Virginia Woolf, si elle nous voit, doit sans doute s’agiter dans sa tombe. On la rassure, depuis quelques jours, les demandes de maisons à la campagne avec un jardin explosent chez les agents immobiliers.