Ce n’est plus un signal faible comme aiment à les repérer les chasseurs de tendances, les sondeurs et les sociologues. Ce n’est plus seulement un “monologue du vagin” en référence au titre de cette pièce de théâtre célèbre et initiatrice du mouvement. C’est une lame de fond. Or, il y a encore quelques années alors que l’on abordait dans une discussion la question du plaisir féminin et de la façon dont les femmes pouvaient ou non le conquérir de la même manière que les hommes, on récoltait soit un sourire condescendant du style “un sujet habillé du vernis intellectuel” mais au fond digne d’un obsédé. Ou alors on récoltait des sarcasmes, ou de l’indifférence. Bref, il était difficile voire impossible de faire de ce sujet une question sociétale, politique et normale de discussion. Pis, alors que l’on proposait à un éditeur une enquête journalistique fouillée sur tout cela, il nous riait au nez en soulignant qu’il n’éditait pas ce “genre de questions”. Ces temps sont révolus.
Évidemment, #Metoo est passé par là, mais pas seulement. Ce qui a également changé c’est le fait que les femmes elles-mêmes abordent la question. Non pas dans de mauvais magazines féminins en mal d’audience, mais dans des livres, des essais, des romans et tout un tas d’autres formes artistiques. Tout se passe comme si, dans le sillage des “monologues du vagin”, les femmes avaient décidé de ne plus laisser les hommes écrire l’histoire de leur sexualité. Nous avions déjà fait état de ce mouvement ici. Et aussi avec notre interview d’Adeline Fleury, intitulée “jouir rend forte”. Clairement, cette nouvelle expression sur la conquête du plaisir, sur la façon de le vivre, sur les secrets de celui-ci, charrie avec elle un vrai changement de société et du paradigme de ce qu’est la perception de la sexualité ou plutôt des sexualités. Ce n’est pas la première fois dans l’histoire, évidemment. Déjà Masters & Johnsons et d’autres dans leur sillage avaient modifié la donne. Mais, dans le moment que nous vivons, nous sommes en train de passer un nouveau palier. S’il fallait encore s’en convaincre, il suffit de jeter un oeil aux parutions récentes ou à venir de livres passionnants dédiés à cette question.
Nouvelle donne entre hommes et femmes
Premier d’entre eux, “Jouir”, de Sarah Barmark. Cette journaliste canadienne a passé une année entière à interroger des femmes, à les questionner sur leur plaisir et le lien à leur sexualité. Ce qu’il en ressort est passionnant et puissant, en ce sens, que les femmes ne sont plus du tout cantonnées au rôle que leur assignaient les hommes. Elles ne sont pas non plus dans une simple réaction, mais elles réinventent. C’est aussi dans cet esprit que Maïa Mazaurette, laboureuse du sujet depuis des années, publie un livre “Sortir du trou, lever la tête” pour tordre le cou aux derniers clichés et aux dernières injonctions au plaisir encore en cours. Ce qui est nouveau dans les livres à paraître, c’est désormais que la fiction s’empare aussi du sujet. C’est notamment le cas du très beau roman (parution en janvier) d’Amandine Dhée “A mains nues” dans lequel la narratrice joue un miroir d’héroïnes entre la femme et la fille et l’adolescente en construction. Ce fut aussi le cas, des “chemins de désir” paru au Seuil cette année. Il faut se réjouir de ces prises de parole, de ces créations artistiques et de plus largement de toute cette effervescence. Elles viennent confirmer que nous assistons à un changement salutaire dans les rapports hommes-femmes. Cet empowerment par les mots et les actes “libèrera la femme et l’homme” des constructions sociales qui grèvent nos sexualités à tous. Il est temps pour les hommes et pour les romanciers d’aborder également ces questions. Finalement, c’est la romancière Bélinda Canonne qui avait raison dans sa tribune de janvier 2018 dans Le Monde lors de l’un des climax de #Metoo. Tout était très juste. Il faut la lire. Notamment ce passage : “Tout le monde gagnerait à une réelle égalité dans l’érotisme”. 2020 année érotique et égalitaire ?
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