Et si on allait voir un peu ce qui se fait dans l’autoédition ? Ernest avait déjà publié une enquête à ce sujet (quand l’autoédition ubérise l’édition). Cette fois-ci, Virginie Bégaudeau, chroniqueuse d’Ernest est allée voir du côté des livres publiés de la sorte. Et elle a trouvé des pépites. Revue de détail.
En littérature, il y a les auteurs primés, les auteurs de best-sellers, les auteurs de genres, mais aussi les auteurs auto-édités. Et parfois, ils cochent toutes les cases ! Et dans cette phrase, il n’y a aucune mention de la forme éditoriale qu’ils choisissent.
Il s’y dissimule, pourtant et très naïvement, la question de légitimité : A partir de quel moment devient-on un écrivain ? Qui en donne le statut ? Alors qu’une ministre avait assuré que « l’éditeur fait la littérature », le monde a bougé, les plumes avec lui et le nom d’écrivain n’est peut-être plus celui que l’on imaginait.
D’ailleurs, quelqu’un qui joue de la musique est bel et bien un musicien. Qu’il sorte un disque ou non, qu’il remplisse des salles de concert ou qu’il joue pour un groupe d’amis, il n’en reste pas moins un musicien. En littérature, « écrivain » est un titre, honorifique, somme toute inaccessible pour beaucoup. Cette notion de mérite rôde dans chaque manuscrit envoyé ou broché à compte d’auteur, dans chaque roman édité. Et ce n’est pas parce que l’on peut écrire que l’on sera lu.
De la prestigieuse maison d’édition à l’auto-publication 3.0, c’est le texte qui rassemble les auteurs. Parfois bouleversant. Parfois maladroit. Parfois complètement à côté. Mais souvent sincère. Un vivier de pépites et de talents qui ont choisi de faire cavalier seul. A la conquête de leur lectorat comme les pionniers du Far West, ils sont là et ne comptent que sur leur réseau pour ne plus être les « moqués ».
Sans oublier les auteures « hybrides » : ces auteurs bercés par l’empowerment qui créent, séduisent et grimpent. Une génération d’artiste qui apprend, se professionnalise et se bat avec ce qu’il maîtrise plus ou moins : leur réseau.
Ce mois-ci, j’ai chiné de leur côté. Aussi surprise qu’impressionnée.
La seconde vie de Rachel Baker- Lucie Brémeault
Au fin fond de l’Alabama, Rachel Baker est une serveuse de diner. L’irruption de trois hommes armés qui massacrent tous les clients du restaurant devant ses yeux, la change à jamais. Au milieu du carnage, Rachel a compris que sa première vie avait pris fin.
Le prologue est aussi choquant qu’inattendu. La violence de la scène est difficilement supportable, mais le pari, bien que risqué, est réussi. Je suis captée. Troublée, surtout. Dans ce roman, il y a la banalité des jours, l’amour d’une serveuse qui perd un fiancé et son envie de vivre. Sa rencontre avec un vieux flic bourru ne la protégera pas davantage. Puis, balancée dans une prison pour femmes, dans cette Amérique profonde et intacte, j’accompagne l’innocence et les souvenirs cauchemardesques de cette héroïne qui me projette dans un film 90’s. Le milieu carcéral impacte la seconde moitié du roman où la bestialité du quotidien aidera Rachel à se reconstruire.
C’est un roman sous tension. Insidieux. Oppressant. Le ton est sombre. La romance en second plan sous-pèse les traumatismes et son irréalisme est le charme du texte. La bienveillance résonne au fil des page, l’espoir m’a happée dès les premiers chapitres et la chronique sociale d’un pays aussi fantasque que puritain m’a conquise. Les paysages sont pour la carte postale, on y sent les hot-dogs, on y sent le gras des donut’s sur nos doigts.
Au travers son apprentissage, Rachel irradie et l’auteur met en lumière le pouvoir de recommencer. Non pas de zéro, mais avec un bagage à soi, même si le bagage est lourd. Une tranche de vie bouleversante.
Une histoire de vengeances – Léo Rutra
La vengeance. Un thème aussi sensible que réjouissant. Cette action par laquelle une personne offensée, outragée ou lésée, inflige en retour et par ressentiment un mal à l’offenseur afin de le punir. Le tout saupoudré d’un décor Western et de longs périples sur les routes du Sud, de quoi ravir les lecteurs férus d’aventures. Et j’ai eu la folle idée d’imaginer Tarantino aux commandes, un air de Django ou des Huit Salopards sans doute. Le titre n’est certainement pas le plus réussi, et j’ai envie d’y accrocher, à la place, « Wanted » en police Playbill pour parfaire le cliché.
La petite ville d’Hopetown est attaquée par un gang de sauvages. Dans ce carnage, le Sheriff Charles Stonewater perd sa femme et se lance à la poursuite des truands, avide de cette vengeance, teinté d’honneur et d’amour.
Clairement, c’est un schéma très manichéen. Le décor est alors idéal pour cette opposition du bien et du mal, de cette mise en relief des antagonistes. Je m’attendais donc à des renversements naïfs et évidents. Surprise, les renversements sont attendus, certes, mais ils emmènent avec eux d’autres éléments. Un effet papillon, un peu grossier. J’ai vu l’histoire m’échapper et les issues se démultiplient. J’ai dû choisir celle qui me convenait tout en imaginant celle que l’auteur avait préféré. Un dénouement inattendu. Des bons, des brutes, des truands, des stéréotypes qui se déconstruisent à mesure que j’avance. Une belle remise en question des principes moraux du 21e, transposés au 19e, efficace !
L’écriture est énergique, soignée. Le sens du rythme m’emporte avec le héros à la dérive, parfois. L’atmosphère m’a étouffée autant qu’elle m’a enchantée.
Pour la chercheuse d’or, pionnière du jour, que je suis, c’est une pépite !
Le rêve de Mansour- Emmanuel David
Mansour, c’est un enfant qui arrive en France à bord du « Ville d’Oran ». Mansour suit sa famille qui fuit la guerre d’Algérie. A 6 ans, il a connu les baraquements sinistres des camps de ces réfugiés que ni la France et ni l’Algérie ne voulaient. Quelque part, au-delà de la Méditerranée, le drame qu’il a vécu et enfoui, des années durant, revient le hanter. Il le laisse alors le temps filer, construit une vie en demi-teinte tout en rêvant, un peu, beaucoup à d’autres lendemains.
Cette fuite, inéluctable, projette Mansour dans une épicerie qu’il tient depuis si longtemps, un quotidien rythmé par les habitués, de plus en plus rares, et les clients occasionnels bien loin de ses préoccupations. J’y croise une immigrée polonaise, un cordonnier sénégalais, des personnalités écorchées qui regardent défiler les années qui leur restent.
J’aime particulièrement la poésie qui se dégage de l’écriture d’Emmanuel David, cette simplicité qui ne s’embarrasse de rien d’autre que d’une justesse touchante. Il y a l’accomplissement d’un devoir conjugal, parental, l’idée qu’« on a fait de son mieux ». Mansour n’a pas eu la main chanceuse de certains amis, mais loin d’en être désolé, il se surprend à attendre autre chose. Je n’y décèle pas la colère ou l’amertume d’un chemin cabossé, à peine la pitié. Mansour n’est certes pas le héros d’un grand roman, mais il m’a attendrie par son réalisme et sa banalité.
Un récit très court où je côtoie l’adieu et l’espérance pour une existence inflexible. Malgré un sujet quelque peu politique, l’auteur m’a épargnée de ses réflexions et de son idéologie, profitant de sa plume pour faire vibrer ma sensibilité. Une jolie découverte.