Martin Gouesse. C’est son nom. Il publie son premier roman que nous avons beaucoup aimé. Ecrit au cordeau, sensible et prenant. Rencontre avec un auteur en devenir.
“Un auteur est né”, écrivions-nous dans la chronique du vendredi que nous avons consacré au livre de Martin Gouesse “Le Silence des pères” paru chez Filatures le 22 janvier dernier. Puisqu’il était né, il nous fallait vous le faire rencontrer. Pour qu’il dise ce qui l’avait conduit à raconter cette histoire mêlée de notables de province avec la contrebande de cigarettes, pour qu’il nous dise comment il avait séparé (ou non) fiction et réalité. Mais aussi pour qu’il nous dise un peu plus qui était cet auteur marchant dans les pas de Izzo ou Manchette. Rencontre.
Quelle est la genèse de ce livre ? Qu’est-ce qui vous a poussé à raconter cette histoire de trafic de cigarettes, mais aussi de famille ?
Martin Gouesse : Au départ, clairement, je voulais écrire sur le sujet de la famille car certaines familles peuvent ressembler à des mafias. J’ai commencé ma carrière de journaliste en Normandie à la Dépêche, le journal de Forges Les Eaux. J’ai à ce moment-là eu vent de cette histoire des russes qui venaient en Normandie pour acheter en liquide des bureaux de tabac. J’ai gardé cela dans un coin de ma tête. Au moment, où j’ai décidé de vraiment me mettre à écrire, j’ai eu l’envie de lier ces deux idées : la famille, et le trafic de cigarettes. C’est à ce moment là que j’ai rencontré les gens de la DNRED (Direction nationale du renseignements et des enquêtes douanières) qui est une branche du renseignement national et qui m’ont raconté leur travail au quotidien afin de nourrir les intrigues de mon roman.
Vous êtes journaliste, vous vous inspirez de faits réels, pourquoi avoir choisi le genre romanesque et donc la fiction, plutôt qu’un genre non-fiction agrémenté d’une prose littéraire ?
Martin Gouesse : Je suis journaliste, donc je n’ai aucune imagination. Il me fallait donc résolument partir du réel et de l’information pour ensuite créer une fiction. Ces mafias de l’Est qui s’intéressent aux bureaux de tabac, et / ou au trafic de cigarettes sont légions en France. J’ai pioché des histoires dans tous les titres de presse régionale frontaliers. C’est ainsi que j’ai pu raconter l’histoire de cette femme, ukrainienne, qui épouse un transporteur et qui se sert de son mari pour le trafic. Tout ce que je raconte dans le livre est vrai et réel. La force de la fiction permet ensuite de travailler l’imaginaire des lecteurs. Grâce au procédé romanesque, on peut donner une dimension supplémentaire à l’histoire qu’un journaliste raconterait avec les canons de sa profession. La fiction est une expérience sensible. Elle nous permet d’apprendre facilement des choses. De les éprouver, surtout. Elle permet à l’auteur d’aller plus loin. Beaucoup plus loin que dans un article ou un reportage. On apprend plus de choses sur la mafia russe dans “Les promesses de l’ombre” que dans un documentaire. Et puis, je fais le choix du roman car j’avais envie de me laisser embarquer, d’embarquer le lecteur et de m’amuser, aussi, à imaginer des histoires.
En plus de l’idée de fiction, vous avez fait le choix du roman noir. Pourquoi ?
Martin Gouesse : Ce genre noir et social permet de dire plus de choses, de dépasser les limites. C’est plus fort, plus intense, plus intelligent de passer par le truchement de la fiction noire. La fiction est supérieure à la réalité en ce qu’elle nous invite à nous mettre à la place des personnages. Ensuite, je ne me suis pas dit : “je vais faire un roman noir”. Cela s’est imposé à moi en fonction de ce que je voulais raconter.
Le roman est un mélange de roman familial à la Chabrol et d’enquête à suspense. Dans la dimension familiale, tout est vrai également ? Plus largement, croyez-vous comme Kundera, que les personnages sont des égos expérimentaux de l’auteur ?
Martin Gouesse : La formule de Kundera est très juste. Il y a une part de moi dans chacun des personnages. Si l’on additionne les deux frères du roman, on arrive à un résultat qui ressemble en partie à ce que je suis. Plus largement, ce que je crois c’est que la famille tu ne peux pas vivre sans mais tu ne peux pas non plus vivre avec. Elle fait simplement partie de tes bagages.
Et la votre, comment a-t-elle pris le livre ?
Martin Gouesse : C’était l’une des questions que je me posais. Mon père m’a dit être fier de moi. Ma mère a également aimé. J’avais aussi une appréhension pour le couple de journalistes qui m’a appris le métier à La Dépêche et à qui je dois beaucoup. Le personnage de Padovani est en grande partie inspiré d’eux. Pas une journée de boulot ne passe sans que je ne pense à leurs enseignements. Des journalistes à l’ancienne qui transmettaient leurs savoir-faire.
“Les lecteurs lisent des choses auxquelles nous n’avions pas pensé. C’est réjouissant”
Dans la critique que nous avons fait du livre que nous avons beaucoup aimé, nous y avons vu des correspondances avec Jean-Claude Izzo ou Jean-Patrick Manchette, grands représentants du roman noir social à la française. Est-ce une filiation que vous revendiquez ?
Martin Gouesse : Et comment ! Lire les noms d’Izzo et de Manchette associés à mon roman me remplit d’une intense émotion. Manchette a contribué à la façon dont j’ai abordé la lecture de romans noirs. La trilogie marseillaise de Jean-Claude Izzo avec son personnage – génial – de Fabio Montale (que je n’aurais jamais imaginé sous les traits de Delon dans la série télé) est l’un des romans que je préfère. Dans la même lignée du noir à la française il y a aussi le style très percutant de Frédéric Fajardie qui me parle beaucoup. Je lis également beaucoup les livres de Giancarlo de Cataldo, ancien magistrat italien à la retraite qui écrit des romans noirs et qui est notamment l’auteur de Romanzo Criminale. Je suis client aussi des premiers livres d’Andrea Camilleri qui décrit comme personne la Sicile. Dans un autre style, j’adore les ambiances d’Yves Ravey.
“Le silence des pères” est votre premier roman. Quelle est le sentiment que vous ressentez avec cette publication ?
Martin Gouesse : Deux sensations se mélangent. D’abord le sentiment d’un accomplissement personnel avec cette idée d’être parvenu à aller au bout de quelque chose qui me tenait profondément à cœur. La seconde sensation est cet abandon joyeux du livre aux lecteurs qui vont se l’approprier et y voir, y lire, y ressentir des choses auxquelles je ne pensais pas forcément. Ces échanges là sont fantastiques.
“Le silence des pères”, Martin Gouesse, Editions Filatures – Photos P.Belavilaqua
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