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Quand l’autoédition ubérise l’édition

Ernest Mag Autoedition

l y a quelques semaines, notre reporter Frédéric Pennel, racontait sa quête épique pour faire publier son propre manuscrit. La quête étant restée vaine, il a repris son bâton de pèlerin et s’est intéressé à l’autoédition. Cette discipline est en train de bousculer tous les codes classiques du livre. Ou quand la base ubérise l’édition. Enquête.

Mon rêve ?  Tout abandonner pour devenir écrivain. Une idée qui a traversé l’esprit de plus d’un. Celui du Président Emmanuel Macron, d’abord. Mais aussi celui du jeune Malo de Braquilanges, un étudiant à Sciences Po de 22 ans. Ses premiers écrits, Malo les a d’abord planqués dans un dossier de son ordinateur. Ils portaient sur la politique. Et un jour, il se lance pour de bon. Il mûrit une trame policière qu’il met deux ans à coucher sur le papier : Le livre dont vous êtes la victime, un thriller dont – le titre ne ment pas – le lecteur est le héros. Une fois le livre rédigé, reste à en assumer et le contenu et le statut d’écrivain. Même auprès de ses amis, ce coming out le met mal à l’aise…. « Au début, j’ai eu du mal à avouer que j’écrivais », confie Malo.

Ernest Mag Livre VictimePour oser revêtir publiquement le costume d’écrivain, il existe une voie officielle : se voir conférer l’estampille d’une maison d’édition. Plein d’espoir, Malo a envoyé son manuscrit aux différentes maisons potentiellement intéressées. Las. Autant de bouteilles à la mer (nous vous avions raconté notre propre épopée, ici). Pour l’immense majorité des écrivains en herbe, cette voie royale est complètement obstruée. Tant pis, on passe à autre chose ? Jamais, on sort son livre, quoi qu’il arrive. C’est alors que Malo a découvert un autre sillon à creuser : l’autoédition. Un vrai univers parallèle, qui s’est constitué à la confluence des nouvelles technologies : les plateformes numériques permettent d’exposer ses écrits à la vue de tous, les machines d’imprimer les livres pour leur conférer l’apparence d’un vrai bouquin et les réseaux sociaux d’en faire la promotion. C’est ce chemin de traverse qu’empruntent de plus en plus d’aspirants à l’écriture qui peuvent ainsi, même sans éditeur, commencer à caresser leur rêve. Gratuitement ou moyennement finance.

Chez Amazon : aucun contrôle sur la qualité du texte

Jusque-là, les maisons d’édition étaient la clé de voûte de l’économie du livre. Véritables gardiennes du temple, elles forment une aristocratie des « sachants », c’est-à-dire des professionnels capables de juger de la qualité d’un manuscrit. Une profession aujourd’hui submergée par la démocratisation du statut d’écrivain, rendue permise grâce à l’autoédition. Une ubérisation de l’économie de l’édition, en somme. Evidemment, Malo n’allait pas manquer l’occasion de surfer sur cette nouvelle vague. Gratuitement, il crée son site Internet sur Amazon où il propose son livre à acheter, en format papier ou numérique. Parti de rien, sans relation, il se glisse dans une communauté virtuelle. Avec un début de notoriété : des « chroniqueurs » critiquent son livre, dont la popularité est brinquebalée selon le ton des commentaires d’anonymes. « J’ai découvert un immense univers de l’ombre, comprenant notamment plein de lycéennes hyper connectées qui utilisent Twitter et Instagram pour discuter sur les écrits des uns et des autres », relate-t-il avec fascination. Malo, en dehors du virtuel, a pu « s’acheter » plusieurs exemplaires de son propre livre pour pouvoir l’envoyer à des amis ou à des journalistes.

Merci Amazon, donc ? Attention, il n’y a aucun contrôle sur la qualité du texte. Malo sort du lot par son sens de la narration et ses talents d’écriture, mais beaucoup d’autres livres sur Amazon se révèlent être d’un niveau catastrophique. Le simple fait d’en survoler certains est tout sauf rassurant pour le lecteur. Une avalanche de fautes d’orthographe, mais aussi une mise en page ne respectant même pas l’élémentaire alignement à gauche. Les tirets ? Pourquoi se contenter d’un lorsqu’on peut en accoler trois d’affilée. Bref, dans l’autoédition gratuite version Amazon, il y a à boire et à manger. Mieux vaut donc avoir de l’appétit.

Des pure-players alternatifs

Ernest Mag Iggybook« C’est tout ce qu’on ne fait pas ». En nous montrant certains livres à l’aspect navrant, Patricia Duliscouët se démarque des solutions gratuites du géant américain. Elle a monté une société, Iggybook, qui n’est certes pas une maison d’édition. Mais celle-ci propose en revanche toute une palette d’outils pour que les écrivains, même sans éditeurs, conçoivent et facilitent la distribution de leur livre. Correction de l’orthographe avec l’aide d’un logiciel, création d’une couverture, conception d’une mise en page, organisation de la distribution dans les librairies, dépôt à la Bibliothèque Nationale de France, etc.

Pour la somme de 500 euros, Iggybook transforme votre manuscrit en livre achetable en librairie. « Les écrivains ne sont pas spécialement des geeks, c’est pourquoi ils sont ravis de s’appuyer sur des professionnels pour les guider ». Reste à ces auteurs à rayonner d’eux-mêmes. Tous les moyens sont bons pour faire son autopromotion, à coup de tweets et de porte-à-porte dans les librairies. « Nos auteurs qui marchent le mieux sont ceux qui sont suivis par une vraie communauté ». Parmi les clients d’Iggybook, on retrouve également des professionnels qui, du fait de leur réseau et de l’intérêt des sujets traités, auraient largement pu se faire éditer. Mais en court-circuitant les maisons d’édition, quel gain de temps ! Les auteurs du livre Et le monde parlera français, Marie Laure Poletti et Roger Pilhion, auraient pu tout à fait trouver une maison d’édition. Mais profitant de l’élection d’Emmanuel Macron pour publier un livre choc en début de quinquennat, ils ont préféré accélérer le mouvement en optant pour une solution Iggybook, évitant ainsi bien des palabres. Ils disposaient d’une communauté sur laquelle s’appuyer, celle des promoteurs de la francophonie. Un secrétaire d’Etat assistait à la conférence de lancement de leur livre. Preuve qu’un livre ne sortant pas d’une maison peut être reconnu.

L’irremplaçable sceau de l’édition

« Il y a 4 ans, 10% des livres déposés à la Bibliothèque Nationale de France n’avaient pas de maison d’édition. Aujourd’hui, il y en a 17% », constate Patricia Duliscouët. Une vraie tendance se dessine. Alors, bientôt inutiles, les maisons d’édition ? Rien n’est moins sûr. Une voix parmi d’autres, émanant du monde de l’édition, met en garde : « On ne méprise pas l’autoédition. On méprise les gens qui utilisent les rêves des gens pour leur soutirer de l’argent ». Beaucoup de charlatans souhaitent en effet faire leur miel sur les rêves d’écrivains. Des soit-disantes « maisons d’édition » avait ainsi proposé 4000 euros à Malo pour qu’il se fasse éditer.

Un autre éditeur – installé – de Paris confie : “Loin de nous l’idée de mépriser l’auto édition. Nous suivons cela de très près et nousErnest Mag Anastasis essayons de repérer les talents les plus forts. Nous prenons alors contact avec eux et nous leur proposons un contrat. Finalement, c’est aussi un moyen pour nous de voir ce qui fonctionne et d’analyser quels sont les auteurs qui sont réellement suivis par une communauté”. En clair, l’autoédition permet aussi à l’édition traditionnelle de ne plus prendre trop de risques. L’auteur prend ses propres responsabilités financières et l’éditeur traditionnel vient ainsi “ramasser les lauriers” une fois le succès assuré. L’un des derniers exemples notables en date est celui du livre “Le Projet Anastasis” de Jacques Vandroux. D’abord paru en autoédition, le livre a reçu un accueil critique tel dans la blogosphère que Robert Laffont s’est intéressé au sujet et que Glenn Tavennec, directeur de la collection “La bête noire” chez Laffont s’est battu pour faire éditer le livre qui a connu un véritable succès de librairies.

Du côté des librairies, l’autoédition reçoit un accueil mitigé. « Si un texte a été refusé par toutes les maisons d’édition, c’est soit qu’il est mauvais, soit que son auteur a refusé de retravailler son texte », lance Nicolas Jalageas, libraire. Mais est-on sûr que le monde de l’édition ne passe jamais à côté d’un talent ? On a tous dans un coin de la tête Marcel Proust qui avait vu son manuscrit se faire refuser. « Plus maintenant. A côté de la grosse cavalerie, telle Gallimard, il y a tellement de petites maisons pour débuter », renchérit-il. Paul Otchakovsky-Laurens (éditions POL) justifiait la surproduction de l’édition (43 600 nouveaux titres en 2014 soit le double d’il y a 25 ans) comme le meilleur moyen d’éviter, justement, de passer à côté d’une pépite.

Ernest Mag Vassilko ProuD’autres libraires, au contraire, scrutent avec attention l’actualité de l’autoédition. Certains vont même y chercher des pépites qu’ils popularisent ensuite. Ce fut le cas de La Griffe Noire à Saint-Maur où Jean Casel avait repéré et adoré le livre de Bernard Prou “Alexis Vassilkov ou la vie tumultueuse du fils de Maupassant” et où Gérard Collard, son associé en a fait l’un de ses grands coups de cœur.

Résultat : le livre édité chez “Brouette éditions” et mis en carton par l’auteur lui-même a connu un succès puissant. Plus de 8000 exemplaires vendus et une édition en Livre de Poche. Pour son deuxième roman, “Delation sur ordonnance”, Bernard Prou est désormais édité chez Anne Carrière.

« On ne peut pas dire : c’est édité, c’est un bon livre. C’est pas édité, donc c’est mauvais », analyse-t-on chez Iggybook. Pourtant le besoin de reconnaissance par une maison d’édition reste très fort. En réalité, le travail d’autoédition doit être perçu comme une première étape. Au salon du livre, des auteurs autoédités baladent leur livre tout juste sorti d’une machine à imprimer d’un stand à l’autre. Et les maisons d’édition n’ont pas pu snober bien longtemps l’immense vivier de l’autoédition dans lequel elles puisent de plus en plus. A l’étranger, 50 nuances de Grey est l’exemple le plus notable d’un livre autoédité, racheté par une maison d’édition. La France compte également de nombreux exemples. Comme Aurélie Valognes, dont le premier roman Mémé dans les orties, avait été autoédité avant d’être repéré par Michel Lafon, appâté par son succès sur Amazon. Comme quoi, les auteurs -pour peu qu’ils aient une belle communauté et une belle plume – peuvent désormais, en partie, reprendre la main.

Lire également l’enquête de Frédéric Pennel sur sa tentative de publication d’un roman.

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