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L.de Récondo : “l’écrivain doit aller chercher de la beauté”

Leonor De Recondo

Rencontre avec Léonor de Récondo autour de son livre “Manifesto”, mais aussi de l’écriture, d’Hemingway et de ses lectures. Passionnant.

Photos Patrice Normand

Léonor de Récondo est l’une des personnalités littéraires les plus intéressantes de ces dernières années. Plusieurs de ses romans : “Amours”, “Pietra Viva”, “Rêves oubliés” ou encore “Point Cardinal” sont des ouvrages marquants et audacieux racontant tantôt la libération sexuelle d’une femme de chambre Céleste (nous l’avions même listée parmi les héroïnes de fictions inspirantes), ou la transformation physique de Laurent en Lauren ou encore les rêves oubliés des générations militantes. Surtout ce qui est passionnant chez Léonor de Recondo c’est que chacun de ses livres est différent. Chacun opte pour une posture, une idée, un style, une volonté. Son dernier livre “Manifesto” (dont nous vous avions parlé ici) ne déroge pas à la règle. Il narre la dernière nuit de son papa à l’hôpital où elle se rend avec sa maman.

Leonor De Recondo Cette dernière nuit au chevet de son père lui permet de repenser en profondeur à la famille dans son ensemble mais aussi à son sentiment de porter seule l’héritage sur ses épaules. Cette attente à l’hôpital avec sa mère et dans les relations avec les soignants sont d’une humanité, d’une justesse et d’une beauté rare. Ce récit alterne avec une conversation imaginaire entre le père de Léonor et Ernest Hemingway (nous étions obligés d’aimer, nous, chez Ernest). Dans cet échange entre les deux hommes et surtout dans l’apostrophe du père de Recondo à Hem’, il y a tout un pan d’histoire : la guerre d’Espagne, mais aussi la réflexion profonde que ce qu’un homme ou une femme transmet ou ne transmet pas à ses enfants. Ce livre est un petit bijou d’humanité et magnifie la douloureuse perte en lui donnant un caractère introspectif et plein d’espoir. Avec une antienne : “Pour mourir libre, il faut vivre libre”. Nous sommes allés en parler avec Léonor de Récondo.

A quel moment avez-vous décidé de vous attaquer en auteure de fiction à la mort de votre père ?

Cela a été assez compliqué. Immédiatement après la mort de mon père, il y a eu “Point Cardinal”. J’ai été obligée de passer par une fiction complète pour pouvoir prendre une forme de distance et comprendre comment il me fallait l’aborder. J’ai commencé plusieurs fois l’écriture, sans trouver la forme adéquate. J’étais soit trop dedans, soit trop dehors. Dans une dualité trop forte finalement.

Justement, dans ce livre vous raconter la dernière nuit que vous passez avec votre mère à l’hôpital, et vous imaginez aussi votre père en discussion avec Ernest Hemingway. Ce procédé narratif de fiction vous a aidé à raconter l’histoire ?

Oui. Complètement. Quand cette idée d’alternance entre les discussions que j’avais avec ma mère et ces chapitres où papa parle avec Hemingway est arrivée j’ai su que je pouvais enfin raconter cette histoire de famille qui vient clore les morts qui m’ont entourée.

Pourquoi Hemingway ?Leonor De Recondo

Je voulais quelque chose de vivant et de créatif. Hemingway s’est imposé en rapport avec mes origines espagnoles, avec le rapport de ma famille avec la Guerre d’Espagne. Le plus drôle dans l’histoire c’est qu’au cours de l’écriture, j’ai découvert qu’en fait mon père et Hemingway s’était réellement rencontrés et que l’écrivain était sur quelques unes des photos de famille en Espagne. Mon père me parlait notamment des fêtes de la Saint Firmin à Pampelune et d’Hemingway. C’est certainement l’inconscient qui m’a apporté cette solution narrative. Enfin, surtout, la figure d’Hemingway est très juste pour échanger avec mon père. Ils ont eu les mêmes espoirs, les mêmes désillusions. Enfin, j’ai aimé imaginer ces deux hommes à la fin de leur vie, faisant le bilan de leurs accomplissements. Et aussi de leurs amours.

Quelle est la place de “Manifesto” dans votre œuvre ? Il est autobiographique quand les autres livres sont des fictions totales.

Je le définis comme un pas de côté. Ce livre est un livre autobiographique. Cela ne veut pas dire que j’ai envie de me tourner vers l’autofiction, cela a juste été nécessaire pour ce que j’avais à raconter ici et maintenant. Ce que j’aime dans l’écriture c’est de créer des personnages de toutes pièces. J’aime cette idée de vivre d’autres vies que la mienne.

Leonor De Recondo 14

Vous parliez des hommes libres qu’étaient votre père et Hemingway, dans vos autres livres il y a aussi des femmes libres et inspirantes… Au fond, vous êtes une auteure de la liberté ?

Peut-être. Ce que j’aime montrer à travers mes histoires c’est que la liberté s’acquiert et qu’elle n’est pas un état de fait. La liberté c’est affiner son regard sur le monde. L’écriture et les livres qu’on lit agrandissent cette liberté. Ils permettent à notre regard d’être plus perçant. Aussi, au travers de mes personnages, j’aime travailler cette recherche de la liberté et de ce qu’il faut accomplir pour l’atteindre. Ensuite, il est vrai qu’avec “Amours” ou “Point Cardinal”, j’ai voulu m’intéresser plus particulièrement au poids des contingences dans nos vies et à ce qu’il fallait faire pour réussir – si on le souhaite – à s’en extraire. Être libre, c’est aussi savoir que l’on aime vivre avec ses propres contingences. Peu importe le regard que les autres nous portent.

Leonor De Recondo

Vous êtes violoniste professionnelle, auteure, c’est quoi être artiste ?

Les artistes en général sont là pour aller chercher de la beauté. Écrire ou jouer c’est donner quelque chose. Ainsi, être artiste et a fortiori écrivain c’est être le plus sincère possible.

Quelle lectrice êtes-vous ?

Je lis énormément. J’aime la littérature russe et américaine. Je suis une inconditionnelle de Virginia Woolf et j’adore Dumas. J’aime les grands romans qui m’emportent.

DufourmantelleLe dernier livre lu que vous conseillez ?

Sans hésitation : “Eloge du risque” d’Anne Dufourmentelle (la philosophe est décédée il y a deux ans en sauvant des enfants de la noyade, NDLR). Dans ce livre elle parle avec une poésie sublime des choses concrètes de la vie, de la peur de s’engager, de la peur d’aimer et plus largement de la peur de vivre. Elle nous rappelle que faire face à la mort permet de jouir de la vie. Son message est d’une humanité folle. Ce livre est indispensable.

“Manifesto”, Léonor de Récondo, Sabine Wespieser éditeur.

Tous les entretiens d’Ernest sont là.

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