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Delesalle : “Je voulais être Thomas Pesquet, je suis écrivain”

Ernest MagdelesalleTriay2

Nicolas Delesalle avait fait – il y a trois ans – une entrée remarquée sur la scène littéraire avec son très joli “parfum d’herbe coupée” publié chez Préludes, la nouvelle collection imaginée alors par la directrice générale du Livre de Poche, Véronique Cardi. Il avait poursuivi avec des récits très journalistiques inspirés de son travail de grand reporter à Télérama. Son dernier roman “Mille Soleils” est une très belle surprise littéraire. Un moment de lecture exquis et prenant.

Journaliste et écrivain. Écrivain et journaliste. Le jour où nous rencontrons Nicolas Delesalle, nous sommes à peine deux jours avant le lancement d’Ebdo, le nouvel hebdomadaire papier imaginé par l’équipe des fondateurs des revues XXI et 6 mois, Laurent Beccaria et Patrick de Saint-Exupéry. Nicolas Delesalle, après plusieurs années passées à Télérama, en est le rédacteur en chef. Le même jour que le lancement d’Ebdo – une nouvelle vie de journaliste pour lui – Nicolas Delesalle publie son troisième livre “Mille Soleils” chez Préludes Éditions. Dans ce roman qui est une nouvelle page de sa vie d’auteur, Delesalle s’inspire d’un évènement qu’il a vécu pour tisser de la fiction. Travaillant ainsi un peu plus – comme dans ses deux premiers livres “Un parfum d’herbe coupée” et “le goût du large” –  les passerelles entre réalité et fiction.

Dans ces “Mille soleils”, ils sont quatre, réunis en Argentine par le travail et des passions communes. Vadim le taiseux aime la physique des particules, et le bel Alexandre a installé des panneaux solaires sur les 1 600 cuves de l’observatoire astronomique de Malargüe. Avec ses yeux clairs, Wolfgang est un astrophysicien rêveur, spécialiste des rayons cosmiques d’ultrahaute énergie. Quant au jeune Simon (qui consulte toujours Clint Eastwood avant de se décider), il doit écrire un article sur ces rayons pour le CNRS. Ils ont quelques heures pour parcourir 200 kilomètres de piste et prendre leur avion à Mendoza. Pourtant, en une seconde, leur existence va basculer. C’est ce que l’on peut lire sur la quatrième de couverture. La bascule. C’est l’un des thèmes chers à l’auteur aux phrases ciselées qui nous emporte à nouveau dans son univers. Rencontre avec un poète du réel ou un journaliste poétique qui ambitionne – avec son -équipe d’Ebdo de réenchanter notre rapport à la presse.

Quel a été le déclencheur du livre ?

Mille SoleilsJ’ai eu un accident similaire. Nous étions quatre dans la voiture, en Argentine, et nous sommes restés longtemps sans secours. J’ai toujours su que j’écrirais dessus. Je dédie le livre à nous quatre et, au travers de cette histoire, il y a un réel hommage à celui qui est décédé. Au-delà de cet évènement réel, il y a aussi dans « Mille Soleils » la volonté d’écrire et de brosser l’histoire de ces quatre scientifiques.

Quand je racontais à mon entourage cet accident, tous me disaient : « il faut en faire un film ». Moi je ne sais pas filmer mais je sais écrire. Donc j’ai écrit. Une bonne partie du livre a été écrite il y a six ou sept ans. Je l’ai repris il y a deux ans pour vraiment travailler le texte et les personnages.

La dernière fois que nous nous sommes rencontrés, il y a deux ans, au salon du poche de Saint-Maur, vous disiez vouloir écrire un roman sur la France, pour montrer que ce pays n’est pas si mal en point et qu’il regorge d’une énergie sublime. Où est-il passé ce livre ?

Je suis quelqu’un de lent. Ce roman que j’espère écrire un jour est en gestation. Il n’est pas encore prêt. Ce thème là, d’une manière ou d’une autre, donnera quelque chose. De plus, dans ma tête ce livre devait se dérouler dans une maison de retraite. Et je n’ai jamais fait de reportages dans ces endroits. Or, avant de faire de la fiction, j’ai toujours besoin du réel.

Pourquoi ce besoin du réel ? La formation de journaliste ?     Ernest Mag Gout Du Large Delesalle

J’ai l’impression que c’est la clé de la sincérité absolue qui doit transpirer des lignes d’un roman. Et pour moi, cette sincérité de la fiction advient quand elle s’inspire de la réalité. Même JK Rowling dans Harry Potter s’inspire de choses qu’elle a vécu et de ses expériences de vie. Pour construire un univers cohérent, j’ai besoin de m’arquebouter sur un squelette réel auquel j’ajoute ensuite de l’imagination.

A partir de cet évènement, comment avez-vous créé du roman. Pourquoi ces personnages sont quatre scientifiques ?

Nous étions vraiment dans un reportage scientifique quand j’ai eu cet accident. Je l’ai gardé car j’aimais bien la relation avec les rayons cosmiques sur lesquels travaillent ces personnages. Ensuite, j’ai créé des personnalités, des histoires de vie, un contexte etc…

Ce livre est un roman sur la bascule. Sur le moment où l’instant qui change une vie. Le « parfum d’herbe coupée » revenait lui sur les instants marquants de la vie. Pourquoi cet intérêt profond pour ces bascules ?

Cette analyse est assez juste. Cela a tendance à m’obséder. Cette seconde qui peut changer le cours d’une existence. Pourquoi advient-elle ? J’aime passer du temps à ausculter ces instants là. Avant notre rendez-vous, je regardais des vidéos sur les daltoniens à qui l’on offre des lunettes qui leur permettent de voir les couleurs. A chaque fois, l’émotion est immense. Tous pleurent. La bascule est là. Cela me fascine.

“Le surgissement de l’instant et de la bascule imprévus nous confronte à nous même”

Qu’est-ce qui change chez les personnages du livre une fois cette bascule de l’accident survenue ?

La bascule est intéressante par la sensation de vertige qu’elle engendre. Comme si tout à coup, nous étions plus lucide, en apesanteur pour voir le monde sous un autre angle. Avec de la hauteur. Dans ces instants là – que j’ai perçu aussi dans les zones de guerre que j’ai couvert pour Télérama – il n’y a plus tous les oripeaux du quotidiens qui font que l’on est en mode automatique. La bascule ouvre un instant inconnu. Tout paraît plus ciselé, plus clair, plus contrasté et surtout débarrassé de la graisse du quotidien, des banalités etc… On a tous cela au fond de nous. On a tous ce corps d’athlète sous notre gras. La bascule et l’instant permettent de le faire apparaître. Chacun connaît ses béances, ses failles etc… Mais tout le monde veut les cacher. C’est humain. Quand l’instant reprend le dessus, cela s’affiche et s’exhibe. La bascule nous confronte à nous même. C’est un miroir reformant qui permet de se regarder vraiment tel que tu es vraiment.

Cet accident a-t-il été une bascule pour vous ? Plus largement, quelles ont été vos bascules  ?    Ernest Mag Delesallephoto

Nous sommes tous une succession de bascules. Positives ou négatives d’ailleurs. Quand dans « un parfum d’herbe coupée », je raconte ma première éjaculation, ce n’est pas pour m’amuser, mais c’est bel et bien parce qu’à ce moment là, je change de monde, je deviens un homme. La première fois que je tombe amoureux, c’est pareil. De même pour la première fois que je me rends compte que je suis bien, qu’il ne se passe rien, mais que je suis bien. Les drames sont des moments de bascule, évidemment, mais les joies aussi. Quand j’ai passé les concours des écoles de journalisme, nous étions encore à l’ère du Minitel, il fallait attendre 16H. Ce jour là, ma mère est partie faire le marché mais elle est partie à Lille. Elle arrive pour voir le truc affiché, elle ne voit pas mon nom. Elle va prendre un café. Elle regarde une dernière fois, et elle voit mon nom. Elle m’appelle « tu es reçu ». Ma mère me dit qu’elle est à Lille. Le vertige m’a gagné : « ça y est je sais ce que je vais faire de ma vie ». Il y a plein d’instants aussi comme cela en zone de guerre car tu croises des gens d’un courage hallucinant qui te font monter les larmes aux yeux. Il y a aussi des drames comme cet accident. Il n’y a pas de secours, tu es au fond d’une piscine, et tu attends. J’ai vraiment marché dix kilomètres pour trouver de l’aide etc…J’étais obligé d’écrire ce livre. Il m’a submergé.

Il y a dans ce roman une véritable rythmique. Avec un minutage précis. Pourquoi ce choix ?

Je voulais mettre vraiment le lecteur au centre de ce capharnaüm qu’était cet accident pour les protagonistes. J’ai alterné les scènes qui se déroulent réellement dans la même minute et celles qui sont espacées de plusieurs heures.

“J’aime la tristesse joyeuse ou la joie un peu triste. J’aime ces sucrés-salés. C’est une source parfaite pour les romans”

Vous avez une écriture plutôt ciselée et épurée…Pourquoi cette recherche ?

C’est le travail d’une vie. L’écriture c’est dire le plus simplement possible des choses compliquées. Sans circonvolutions. Sans les effets. Je déteste que l’on me dise : « vos phrases sont belles ». En revanche, j’aime que l’on dise : « j’ai ressenti exactement la même chose et je ne savais pas l’exprimer ». La belle phrase seule ne sert à rien. Difficile de dire cela dans une société où il faut toujours montrer que l’on est beau, intelligent et que l’on est le meilleur. Attention à la vanité de nos phrases !

Entre le parfum d’herbe coupée, le goût du large et celui-ci, lequel est le plus proche de ce que vous recherchez  ?

Il y a un lien entre les trois. Mais tous sont des brouillons.

Qu’est-ce qui vous a conduit du reportage journalistique vers l’écriture de roman?

Une forme d’évidence. J’ai fait Math-Sup, car je voulais être Thomas Pesquet, mais j’étais trop nul en maths. En revanche, j’ai toujours écrit. Après, les hasards de la vie font bien les choses. Un parfum d’herbe coupée c’est Véronique Cardi (DG du Livre de Poche et des Editions Préludes) qui a décidé d’en faire un livre et qui m’a accompagné dans l’élaboration de cette histoire.

Dans vos livres, il y a aussi une forme de nostalgie, non ?

C’est une nostalgie enthousiaste, une nostalgie joyeuse. Pas une nostalgie qui se pleure dessus et qui se regarde pleurer en étant heureuse d’être triste.

Ernest Mag Herbe Coupee DelesalleQu’est-ce qu’apporte la nostalgie ? Ce sentiment est souvent caricaturé….

Pour moi, la nostalgie est une amie. Je ne m’en défie pas. C’est une amie plutôt joyeuse. J’aime la tristesse joyeuse ou la joie un peu triste. J’aime ces sucrés-salés. Ainsi, la nostalgie est à la fois un moteur et un carburant. Le temps passe et on fait comme s’il ne passait pas. Dans notre société on doit être beau, jeune éternellement etc…Du coup, la réflexion sur le temps qui passe, c’est presque un truc mal vu et de vieux con. Il faut accepter ses rides etc… Il faut avoir de regrets. Sinon, cela ne sert à rien de vivre. Vivre bien avec ses regrets. Rien est grave. Même la mort ce n’est pas grave. On a une relation bizarre à la mort. Dans Coco le dernier Pixar cela est bien montré. Se balader dans un cimetière apprend une forme de la sagesse. J’ai une haute conscience de la légèreté et de la petitesse de nos vies par rapport à l’infiniment grand etc…

Les soleils, et les étoiles en somme…

Exactement. J’ai toujours été fasciné par les étoiles. Je les ai regardées, j’ai appris toutes les constellations, puis un jour elles m’ont effrayé car elles me faisaient prendre conscience que nous n’étions rien. Et puis, je suis retombé sur un livre d’Hubert Reeves qui raconte les poussières d’étoiles. Tu fais alors partie d’un tout immense. Mais cela rend difficile le fait de se prendre réellement au sérieux. Quand tu as été élevé la tête dans les étoiles et aussi avec les comiques comme les Monty Python, tu prends vite conscience que tu n’es rien et qu’il faut de l’autodérision. Car tout cela n’est pas grave. Alors tu peux regarder en face la nostalgie. Et te dire que ce n’est pas grave d’être rien.

Du coup, pourquoi écrire alors ?

Parce que je ne sais rien faire d’autre. Je sais ouvrir les huitres, changer les roues d’une voiture et raconter des histoires avec des mots.

Dans le sublime dernier livre de Sylvain Tesson, il y a une phrase forte sur l’écriture. Elle dit ceci :  « Voilà plus d’une année que des malheureux embarquent sur des esquifs pour échapper aux musulmans radicaux de Daech. Souvent ils se noient. On retrouve des corps naufragés sur les plages d’Europe depuis des mois. Les journaux le disent, les reporters l’écrivent. Des témoins s’expriment. Seulement nous sommes entrés dans une époque soumise au seul impact de l’image. Vous aurez beau décrire l’horreur avec des mots, cela ne suffira pas tant qu’une photo n’aura pas confirmé ce que vous avancez un texte, un discours ne pèseront plus jamais rien dans la marche du monde ». Les mots ne servent plus à rien, nous dit-il ? Qu’est-ce que cela vous inspire ?

C’est vrai et faux. Vrai parce que l’image écrase en effet tout. Faux, parce que juste après l’émotion rien ne change réellement. Je ne remets pas en cause l’idée qu’une image vaut mille mots, mais combien vaut-elle d’actions politiques derrière ? Quand on part en reportage, on se rend compte de toute la misère qui est contenue dans ce drame humain. Les politiques quand ils vont sur le terrain, ils ne voient pas cela. Ils n’ont pas accès à la réalité profonde des choses. Je crois que les mots ont toujours un pouvoir. Je crois en la force des mots.

Retrouvez le questionnaire décalé de Nicolas Delesalle

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