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P.Val : “Les livres sont une promesse de bonheur tenue chaque jour”

Philippe Val

Philippe Val, ancien directeur de Charlie Hebdo et de France Inter, sort un livre sublime. Entre introspection, récit et réflexion sur le monde et le temps qui passe. Indispensable. Rencontre à bâtons rompus.

Photos de Patrice Normand, DR.

Dans l’art de déguster un bon vin il y a deux moments. Soit il convient de le boire alors qu’il est encore jeune, fougueux et tempétueux, soit il convient de le laisser reposer, d’attendre qu’il ait atteint une certaine maturité pour s’en délecter avec un plus grand plaisir encore. Entre les deux, les saveurs ressenties sont plus complexes et moins facilement délectables. Avec Philippe Val, c’est un peu la même chose. Du moins dans la relation de l’auteur de ces lignes avec le personnage. En effet, alors que je commençais vers dix ans à m’intéresser à la chose publique, très vite, j’ai plongé dans les éditoriaux de Charlie Hebdo signés alors d’un certain Philippe Val. Toujours, ils donnaient à réfléchir, à penser et permettait de se forger une opinion. Val était sans conteste le meilleur éditorialiste de Paris. Longtemps ce fut l’une des activités favorites du mercredi. J’allais même le voir jouer sur scène des chansons d’une drôlerie phénoménale (Ecoutez sa chanson HLM de Paris) et d’autres d’une beauté humaniste forte (Écoutez Averroès). A cette époque, Charlie publiait les caricatures de Mahomet et se battait pour la liberté et pour la laïcité. Déjà certains commençaient à casser du Val.

Philippe Val Puis Val a quitté Charlie. A dirigé France Inter. Je l’ai moins compris à cette époque. Je le trouvais parfois en décalage avec l’image que je m’étais forgée de lui. Comme d’autres d’ailleurs. Contre lui les critiques fusaient. Violentes. Âpres. Justifiées parfois. Exagérées souvent. Dans ces années là, je me disais et je disais à de nombreuses personnes (notamment des éditeurs) qu’il y avait dans cette haine dont il faisait l’objet un sujet fort : celui d’une guerre des gauches…qui depuis sont devenues “irréconciliables”. Nous étions alors dans les années où le vin est moins accessible, moins compréhensible, moins facile d’accès.

Justifié ou injustifié, peu importe finalement, ce passage par l’amertume est l’une des clés de tous les chemins de rencontre avec soi-même ou avec l’autre. C’est même l’un des moments indispensables. Cela pour pouvoir goûter à nouveau à la douceur et à l’harmonie. Le Val 2019 est un excellent cru. Un cru dense, rond, gouleyant, drôle et riche. Son livre “Tu finiras clochard comme ton Zola” qui vient de paraître aux éditions de l’Observatoire est un régal. Régal d’intelligence, de réflexion sur le monde, de drôlerie, et d’interrogation sur le chemin d’un homme qui résonne avec le chemin de tous les hommes. Comment vivre sa vie au lieu de la rêver ? Lisez ce livre immense de Philippe Val. C’est un concentré d’intelligence, de beauté et d’amour des arts comme d’une étoile flamboyante qui nous montre le chemin. Rencontre avec un artiste chansonnier, philosophe, journaliste et combattant. A bâtons rompus. Sur son livre, sur son amour des livres, et sur ses combats.

LE LIVRE – “Il y a plus de réalité dans Shakespeare que dans une chaîne d’info”

Vous écrivez que « les écrivains sont là pour ordonner le monde », que voulez-vous dire par là?

Il se passe des choses dans la vie, le monde, dans les étoiles, dans la météo, dans le fond de la mer, bref partout. Si on y réfléchit bien, toutes ces choses n’ont aucun sens. Et c’est très difficile de dire cela. Mais cela laisse une grande liberté pour donner du sens. Quand on se lève le matin et que l’on voit le chaos du monde et qu’on lit un livre de Balzac, il y a un ordonnancement. Proust, dans « à la recherche du temps perdu » met aussi cela en ordre auquel on adhère ou non. Les lecteurs s’approprient l’organisation du monde dessinée par les écrivains. Les écrivains mettent en ordre le monde pour nous permettre d’y trouver notre place et donc de nous sauver la vie.

Philippe Val Le livre fourmille de portraits de vos copains, de vos amis, de vos compagnons de route (on croise Férré, Cabu, Brassens, Bourdieu, des inconnus aussi ) et pourtant il y a le sentiment que vous avez parfois été seul ou du moins solitaire, face à vous-même…

Il y a eu en effet de fortes amitiés très elles et très longues. Mais il est vrai que lorsque l’on fait un métier public, les moments avec le public sont très intenses. Toutefois quand le rideau tombe, que l’on se retrouve dans une voiture pour faire 200 kms pour se rendre à l’étape suivante, c’est un moment de solitude très brutal qui nous renvoie à notre misère de vivre, avec la migraine et les bêtises de la vie quotidienne. Je pense que les grandes joies sont aussi et toujours accompagnées de grandes peines. La sensibilité est dans les deux sens. La joie est le compagnon de route du tragique.

Dans ce livre, vous oscillez entre le récit et le roman. Pourquoi être carrément allé vers le roman et avoir créé ce double narratif ?

Ce livre a une forme romanesque. Il m’était impossible de ne pas passer par ce système narratif qui consistait à m’ouvrir à moi-même. Ce narrateur est au départ hors de moi avant que je me confonde avec lui. Sans lui, je n’arrivais pas à prendre la hauteur de vue nécessaire pour savoir ce qu’il y avait d’intéressant ans mon parcours pour parler aussi du siècle et de notre temps. J’ai aussi décidé de composer certains personnages pour des raisons juridiques. Le procédé narratif n’était pas un truc, c’était vital. Cela pour pouvoir avoir un œil d’écrivain sur le personnage. Cet exercice était très intense, très dense. J’ai adoré être physiquement engagé dans cette forme romanesque. Les passages inspirés du réels qui sont en fait une forme de fiction m’ont procuré une émotion intense et forte.

Le narrateur du bouquin s’adresse à votre fils. Il lui explique que vous vous battez pour ce « monde où l’on peut écrire des livres ». Avez-vous peur de l’avenir ?

Ernest Mag Val ZolaL’écrivain du livre a tenté d’ordonner le monde pour la génération qui vient. Pour que mon fils puisse vivre dans un monde où il peut être heureux. Je pense que l’avenir fait toujours peur. Mais notre rôle d’homme est de faire en sorte que la curiosité soit plus forte que la peur. Les grands créateurs sont des gens qui comprennent souvent quelque chose d’effrayant. Mais leur curiosité est plus forte. Peut-être grâce à leur sensibilité. On donne quelque chose à voir qui est plus grand que l’homme. L’art est imprévisible dans ce qu’il devient dans notre sensibilité.

Marceline Loridan-Ivens quand elle s’est fait arrêter par la police française à Bollène avant d’aller à Drancy et Auschwitz avec Simone Veil. Elle a été dans la prison d’Avignon à 15 ans avec des femmes résistantes. L’une d’entre elle a raconté à l’enterrement de Marceline que dans la prison où elles étaient, Marceline a ramassé un caillou et elle a écrit sur le mur de la prison : « c’est presque une joie de savoir que l’on peut souffrir autant ». Cette histoire m’a bouleversé. C’est énorme d’écrire cela dans cette situation. C’est pour cela qu’elle s’en est sortie à Auschwitz parce qu’elle avait ce feu en elle. C’est une force, une forme d’apprentissage de la mort pour apprendre à vivre. Au fond nous faisons un pari. Celui de faire confiance à l’imprévisibilité et à nos sensibilités pour pouvoir s’en sortir.

Ce voyage au cœur du siècle est aussi une réflexion sur le temps qui passe. Vous insistez sur la procrastination de vie qui vous a empêché parfois d’être ce que vous vouliez. Désormais, vous êtes devenu un apôtre du moment présent ?

Je m’y efforce mais pas toujours avec succès. Mais j’essaye d’être là, ici et maintenant, et d’éprouver le plus simplement possible la réalité du moment. Mais c’est un exercice est très difficile et j’avoue être sensible aux effets de la mémoire, à ceux de la projection et à l’effet du jugement, ces trois ennemis du moment présent.

Pourquoi cela nous fait-il manquer nos vies ?

Quand on sacrifie sans cesse le présent à une utopie qui recule à chacun de nos pas on rate des choses, des gens, des sensations, des amours et des amitiés. Quand on est en train d’écouter de la musique bouleversante on ressent de la joie et de l’intensité. Mais si on n’est pas dans l’instant présent, on ne peut pas recevoir cette intensité.

Dans le livre, il y a une distinction que vous opérez entre le rêve et le réel. Qui, en fait, sont la même chose. Vous  Philippe Val développez ?

Cela a justement un rapport avec le moment présent. Je prends toujours l’exemple de mon père qui était un homme qui croyait à l’effort au sacrifice et a la volonté dans le but d’avoir un niveau de vie etc… Il y a d’ailleurs réussi. Je pense que c’est ce sacrifice de l’instant présent au but obsédant est une erreur. Je ne dis pas qu’il ne faut pas avoir ambition de réussir sa vie, mais réussir dans la vie, c’est autre chose. Quand mon père me disait « sors de tes rêves », je ne comprenais pas. J’ai toujours eu l’impression d’être dans la réalité. Quand j’écoute une chanson, que je vais au théâtre, que je lis un livre ou quand j’écris, je suis vraiment dans le réel et dans la réalité dans ce qu’elle a de plus étonnante. Tandis que lorsque l’on veut réussir dans la vie et que l’on ne pense qu’à cela, les choses filent comme un train. C’est cela le rêve. La réalité de mon père est plus onirique que la mienne. Il y a plus de réalité dans Shakespeare que dans une chaîne d’info en continu. La réalité elle est plus intemporelle qu’on le pense et n’est pas actuelle. La réalité, elle est présente. La présence, c’est cela la clé.

Le bouquin est aussi un bilan de parcours. C’est quoi une vie réussie ?

C’est une vie dans laquelle, malgré la conscience des tragédies et la conscience de nos limites temporelles, où l’on aime des gens et des choses. C’est une vie où l’on ressent de l’amour pour des livres, des œuvres, des personnes, des artistes… C’est une vie où l’on se laisse aller à reconnaître que l’on a besoin de cet amour que l’on ressent pour vivre.

Il y a aussi autre chose de très fort sur le bouquin c’est le retour en arrière de votre histoire avec Patrick Font. Votre histoire et votre divorce. Et la douleur de la condamnation pour pédophilie dont il a fait l’objet… C’est la première fois que vous revenez sur tout cela…

En racontant cela vraiment pour la première fois je me suis réapproprié ma propre vie. Quand Patrick s’est fait arrêter, qu’il y a eu le scandale, cela a été un moment très dur et très compliqué. J’ai fait le choix par protection d’effacer cette période de ma mémoire. Et pourtant c’était 20 ans de mon existence ! Les gens confondaient nos deux noms c’était ignominieux pour moi, et surtout nous avons tous été abasourdis et blessés par tout cela. Jusqu’au moment où j’ai écrit le livre, j’ai renié le passé. J’ai tout effacé de mon disque dur. J’ai oublié des tas de choses. Écrire et me remémorer tout ça m’a permis de retrouver un centre ; le mien. J’ai même rejoué de la guitare que j’avais abandonnée.

Vous avez aussi fait de la scène seul, avant d’arrêter. Est-ce que vous songez à revenir sur scène ?

Oui j’y songe… C’est le bon mot. C’est compliqué de monter sur scène quand on est sous protection. Aujourd’hui, pourtant, je serai un bien meilleur homme de scène car je sais lâcher prise.

C’est quoi ce livre ? Un livre d’écrivain ? Un roman ? Ou comment devait-il être qualifié ?

La littérature est plus réelle que tout le reste. J’ai voulu faire de la littérature et je me suis servi d’éléments biographiques. La littérature cela ne veut pas dire mentir, cela veut dire être au plus près de la réalité

LES LIVRES – “Il faut dire au enfants que les livres sauvent la vie”

Les livres vous ont sauvé la vie ? « Ils sont une porte ouverte sur l’univers », dites-vous

Oui. Bien sûr. La musique et les livres m’ont sauvé. Quand on a quatre ans et que l’on ne sait encore ni lire ni écrire, on entend les chansons et ces mélodies écoutées sur mes 78 tours étaient un monde dans lequel j’aimais vivre.  La musique des livres aussi est venue me soutenir dès que j’ai su lire. Je serais peut-être mort si ces voix ne m’avaient pas accompagné. Le monde sans une certaine vision de la réalité à travers l’art c’est un monde vide. Ma mère est partie quand j’avais quatre ans, il m’a donc fallu un monde de substitution. Ce fut celui de la musique et des livres.

Philippe ValDans la façon dont vous parlez des livres, on a l’impression que la littérature est pour vous quelque chose de transcendant…

Oui on pourrait dire cela comme cela. C’est ma façon de la vivre, en effet. Quelque soit le désordre ou la dureté d’une journée, ce que je pouvais vivre, ou quand j’ai fait face à des choses désespérantes, je tenais le coup car je savais qu’à un moment donné le soir je serai heureux car il y aurait de la musique ou de la littérature. Les livres ce sont une promesse de bonheur tenue chaque jour. Résultat : c’était difficile d’avoir ma peau. Je n’étais pas décourageable car j’avais chaque jour ce rendez-vous avec un livre ou avec un disque, ou avec mon piano et avec mes guitares qui faisait que j’étais heureux au moins un instant dans la journée. Qui peut dire cela, sinon un lecteur ?  Ouvrir un livre c’est voler librement dans l’univers, c’est briser toutes les chaînes de l’univers.

C’est cela qui faut dire aux enfants. Il ne faut pas leur expliquer que lire leur permettra de trouver du boulot, d’avoir l’air moins con ou de briller en société. Il faut au contraire leur dire que lire sauve la vie. Il y a très peu de promesses de la vie qui sont tenues. Sauf la lecture.

Vous parlez avec un grand amour des Essais de Montaigne. Donnez aux lecteurs d’Ernest les raisons de se plonger ou de replonger dans les Essais.

Il y a des gens obsédés par la généalogie. Moi je pense que l’on en fait trop sur l’identité. Je cite souvent l’adage médiéval cité par Ernest Mag Essais MontaigneClément Rosset. « J’ignore d’où je viens, j’ignore où je vais, j’ignore qui je suis, j’ignore quand je vais mourir, j’ignore pourquoi je suis si heureux ». A mes yeux, si l’on veut vraiment savoir d’où l’on vient, il faut lire les Essais de Montaigne.

La société moderne que nous connaissons où les hommes et les femmes sont égaux, où le racisme est puni par la loi, où l’on a des   libertés d’expression etc… c’est Montaigne dans ses Essais qui l’a inventée qui l’a racontée. Surtout, Les Essais sont un genre qu’il a créé et il n’y a jamais eu mieux. Il a tué le genre. Il a construit la machine parfaite. Montaigne était un aventurier, il s’intéressait à tout. Il a pacifié la France, Henri IV l’a consulté pour l’unité de la France. Sa philosophie a été un pas immense dans la Renaissance. Il a été lu par tout le monde et a beaucoup inspiré Shakespeare. Et puis, Montaigne c’est aussi un ami pour les gens solitaires. Car dans les Essais il parle de tout. Il s’interroge sur l’amitié, mais aussi sur les problèmes de bretelle. Il est pratique et transcendant. Il a une très belle langue, il est drôle.

Il y a aussi beaucoup de références à Jorge Luis Borges. Et à la « secte » Borges. Elle vous apporte quoi cette « secte » ?

C’est une « secte » dont les membres ne se connaissent pas. Je me suis battu pour que son œuvre complète paraisse dans la Pléiade. Borges c’est un concentré de toutes les littératures. D’Hugo à Emerson. Il y a les mythes, les croyances etc… En France, nous n’avons pas compris que Borges est très drôle C’est un grand poète. Certains – pour oublier leurs problèmes – prennent des billets d’avion pour aller visiter des îles paradisiaques. Moi, quand tout va mal, j’ai des îles chez moi avec Borges.

Philippe ValVous écrivez à un moment que « la philosophie c’est un moyen de faire jaillir des pierres brutes et d’en faire des pierres plus jolies… qu’est-ce que la littérature a fait jaillir en vous ?

La même chose. Je pense que l’on a au fond de soi le meilleur et le pire. Et quand on lit certaines choses ça taille le mal. C’est le rôle de l’art également. Tailler les pierres brutes pour en faire des pierres polies. Ou du moins en faire des pierres moins rêches.

Dans la façon dont vous parlez des artistes et des gens qui ont croisé votre route, il y a de l’admiration mais aussi par instants la transformation en idole…

Je ne suis pas d’accord. De l’admiration infinie oui. De l’idolâtrie non, sauf quand on est jeune pour s’approprier une technique. Copier le talent permet de grandir. Ensuite, il faut s’extraire. Je crois aussi qu’il faut parvenir à faire la part des choses entre le divin que les artistes transmettent grâce à leurs œuvres et leur humanité qui est la même que pour tout le monde. Avec des grandeurs et des bassesses.

Ce qui m’a étonné dans le récit de vos influences c’est l’absence de Camus…

Pourtant je l’aime beaucoup. Il ne s’est jamais perdu. Il est resté dans la cohérence. J’aime cela. Comme je n’aime pas l’œuvre d’Aragon qui est potentiellement un grand poète mais qui est devenu un grammairien. Verlaine, lui, est un poète dont l’art n’est pas bouffé par une idéologie quelconque !

LES COMBATS – “L’antisémitisme est le boson actuel de la gauche”

Vous avez parfois été en colère. Colère qui était, aux yeux de certains, parfois désordonnée. Elle apparaît, ici, au lecteur comme plus tranchante et plus apaisée qu’auparavant…

C’est bizarre cette question. J’ai toujours été épidermique. Je suis capable de faire des grandes colères pendant une journée ou deux. Je ne sais pas si je pardonne, mais j’oublie. Je suis distrait. Longtemps j’étais comme ça et je ne suis pas habité par un esprit de revanche. C’est étonnant, car quelque chose a changé en moi après les attentats de Charlie Hebdo, il y a eu une campagne contre moi et mon avocat (Richard Malka, NDLR). Et certains se sont très mal comportés. Moi, par exemple, je n’aurais pas pu écrire un livre titré « Vous n’aurez pas ma haine », parce qu’ils l’ont ma haine. Je ne pense pas eux en permanence je ne suis pas hanté par une envie de revanche. Mais je ne leur ferai jamais du bien. J’étais heureux de l’arrestation du commanditaire de l’assassinat. Au fond de moi, le pardon ne correspond à rien. Quelque chose en moi est dressé autour de cela. C’est peut-être mal, peut-être bien, je ne sais pas. C’est ainsi.

Ce livre résonne avec « Résistance », une chanson sur votre album « Hôtel de l’Univers ». Vous chantiez que « résister Philippe Val 09rend heureux ». Et vous, au final, cela vous a -t-il rendu heureux d’être dans une forme de résistance ?

Oui. Incontestablement. Cela m’a rendu heureux malgré les tas d’ennuis que cela m’a causé. Après ce mot est fort. Mes résistances ne sont pas celles avec le « R » majuscule des héros et des héroïnes de la guerre de 39-45. Mais je revendique une attitude de vie qui fait que l’on ne cède pas devant certaines choses. Sans me bercer de grands mots. Cette résistance avec un « r » minuscule m’a rendu heureux. Pourquoi ? Parce que les gens qui se sont violemment opposés à ce que j’ai défendu au moment de la deuxième intifada ou du référendum européen, au fond, je ne partirais pas avec eux. Alors que les gens avec qui j’ai fait connaissance dans le maquis avec un « m » minuscule sont devenus des amis très chers. Et la vie, c’est l’amitié.

« Et à notre première rencontre, qui fut par hasard en une grande fête et fraternité de ville, nous nous trouvâmes si pris, si connus, si obligés entre nous, que rien dès lors ne nous fut si proche que l’un à l’autre ». Vous rappelez cette phrase sublime de Montaigne et vous cultivez un culte de l’amitié dans vos relations avec les autres, ceux qui vous sont chers… L’amitié, c’est ce qui reste à la fin ?

Oui bien sûr. Et l’amour. Aimer plus que d’être aimé. L’amour que l’on a en soit c’est ça la vie. Aimer, c’est actif. Le but de la vie, c’est d’aimer. Il n’y a qu’un seul devoir et c’est celui d’aimer disait Camus…

Vous avez été l’un des combattants de la laïcité, de la liberté d’expression etc… Parfois contre votre « famille » la gauche. Vous aviez vite pointé dans Charlie Hebdo dans un édito intitulé « Quand les athées se tournent vers La Mecque », la complaisance d’une partie de la gauche envers l’islamisme radical. Comment vous voyez les choses par rapport à la gauche, aujourd’hui. Est-ce toujours votre patrie ?

Je suis artiste avant d’être journaliste. Après  j’ai des opinions. J’aime la politique profondément car c’est le garant de nos libertés. La gauche a toujours été fracturée entre une gauche Robespierriste et une gauche libérale et humaniste. C’est le congrès de Tours de 1920 quand Blum refuse de se tourner vers le totalitarisme. C’est aussi cette même fracture qui a lieu lors de l’affaire Dreyfus. Moi, ma gauche c’est celle de Zola, celle de la gauche Dreyfusarde, celle du grand Parti socialiste qui a disparu. Olivier Faure est vestiaire d’un théâtre où il y a dix personnes. Cela parce qu’une partie de la gauche a renié les idéaux de laïcité, de liberté, qu’elle n’a pas lutté contre la démagogie sociologique, qu’elle s’est réduite à peau de chagrin. Ils ont eu tort. Ils se sont laissé grignoter par la gauche robespierriste.

Donc votre gauche n’existe plus….

Non. Enfin, si. Elle est à Barcelone. Elle s’appelle Manuel Valls. Et nous sommes peu nombreux.

Vous écrivez même dans le livre que l’antisémitisme est le « boson de la gauche ». Constat d’une acuité intéressante dans cette période où l’antisémitisme semble être devenu aux yeux de certains une opinion comme les autres…Vous pouvez me parler un peu de ce Boson de la gauche…

En physique, il arrive que l’on découvre un phénomène dont on ne connaît pas la cause directe. Il y a un phénomène A et un phénomène C. A à un rapport avec C, mais on ne sait pas pourquoi. Donc on imagine une chose que l’on appelle X. X est une intuition non encore prouvée. C’est un Boson. C’est le Boson de Higgs. Un jour, à force de recherches, on trouve le Boson qui devient B. On isole et on définit la nature. Pour revenir à la gauche la question est de savoir ce qui se passe entre la gauche « Blum » et la gauche antisioniste, altermondialisme pour qu’elle soit aussi divisée. On peine à le dire, mais il y a des intuitions, des signaux, des actes. En clair, il y a un boson. J’affirme que l’antisémitisme est LE Boson actuel de la gauche. C’est l’élément indicible que l’antisionisme dissimulait comme le nez rouge dissimule le clown, mais qui a fini par montrer son visage au moment même où il approuvait que les femmes arabes couvrent le leur.

CharliemahometCe livre est aussi un retour sur les combats contre l’obscurantisme que vous avez mené avec Cabu et toute l’équipe de Charlie Hebdo. Où en sont-ils ces combats ? Y a-t-il certains regrets ?

Je n’ai aucun regret. Je pense que nous avions raison. Dans la forme, on s’affine avec le temps. Mais je n’ai pas de regret sur ce que nous avons défendu. Je pense que les débats que nous avons ouverts étaient des bons débats et nécessaires. Nous étions toujours en faveur de tout ce qui est en rapport avec la liberté et cela on ne peut pas le regretter.

Ils en sont où ces combats aujourd’hui…Quatre ans après le 7 janvier…

Les gens les ont compris. Les intellectuels et les journalistes sont toujours plus lents que la moyenne donc ils sont toujours à chercher des poux. Les journalistes sont souvent les derniers informés et les intellectuels les derniers à comprendre. Car ils sont très idéologisés aujourd’hui. Quand on a publié les caricatures on était seuls. Aujourd’hui on l’est moins. Les gens se connaissent, on se parle. On agit. Il y a des petits réseaux comme le Printemps Républicain. Aujourd’hui il y a une solidarité réelle entre nous. C’est un peu rassurant.

Ce combat pour la liberté et la laïcité peut-il vraiment gagner la bataille culturelle ?

Oui, j’en suis convaincu. Le problème c’est que l’on manque de fenêtres. Mais si on parle à la fenêtre on est vachement bien entendu. On nous a beaucoup interdit l’accès…

A cause de quoi ? Maladie de la gauche ou de la peur ?

Maladie de la gauche. Les idéologues ont gagné et la gauche non trotskyste, libérale et humaniste n’est plus majoritaire.

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