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Ariane Ascaride : “la littérature permet de se sentir moins seul”

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La langue et les mots comme un pouvoir. Celui de guérir, de convaincre, de flatter, et de parler à la fois de manière individuelle et universelle. Ariane Ascaride est actrice. Elle joue les mots des scénaristes. Mais elle les lit, aussi. Beaucoup. Rencontre avec une amoureuse des livres qui pourrait en parler des heures.

Jeannette, Josiane, Michèle, Muriel, Angèle…Mais surtout Ariane. Même si chacun de ses rôles estErnest Mag Ascaride une part d’elle. A chacun des films de son compagnon, le réalisateur Robert Guédiguian, nous retrouvons Ariane Ascaride. Son regard espiègle, sa voix chaleureuse et son sourire malicieux. Ariane Ascaride est de ces actrices discrètes que l’on aime retrouver. De celles dont on se réjouit de la voir à l’affiche d’un film ou d’une pièce de théâtre. En la rencontrant, on se rend vite compte de son humanité profonde, de sa capacité à regarder vraiment l’Autre. Celui ou celle qu’elle a en face d’elle. En plus d’être une actrice fantastique capable de jouer toute une kyrielle de personnages très différents, Ariane Ascaride est aussi une passionnée. D’engagement. Évidemment. Mais aussi, de littérature. Elle vient de publier aux Éditions de l’Observatoire un livre de conversations avec Véronique Olmi dans lequel elle revient sur son parcours, mais raconte aussi ses lectures. L’occasion était belle pour Ernest d’aller l’apostropher sur son rapport charnel, passionnel et vibrionnant à la littérature.

Photos de Patrice Normand.

Pourquoi avez-vous répondu à l’interpellation de Véronique Olmi sur votre rapport aux livres ?

D’abord parce que Véronique Olmi est une amie de 20 ans. J’ai joué certains de ses textes au théâtre. J’ai fait des lectures de ses textes, et joué une pièce avec Pierre Arditi qu’elle avait écrite. De plus,  j’ai pour habitude de travailler avec des amis. Et puis, j’avoue que cela m’amusait vraiment que l’on me demande de parler de mon rapport à la littérature qui est quelque chose qui m’accompagne tout le temps, mais dont je ne parle jamais.

Dans ce livre vous révélez votre passion pour la Petite Fadette de George Sand. Pouvez-vous nous en dire plus sur le fait que ce livre vous plaise tant ?

C’est tout simple. On me l’a offert. C’est le premier vrai livre- broché – que j’ai eu entre les mains. Il avait une couverture dure. Je n’en avais jamais eu. J’ai découvert cette auteure sans savoir que des années plus tard je l’interprèterai. J’ai surtout découvert une langue et une manière d’appréhender le monde. Avec une façon superbe de raconter les gens, la paysannerie particulièrement qui m’émouvait profondément.

Avant ce livre qui est une “madeleine” pour vous, quel est votre premier souvenir de lecture.

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Photo Patrice Normand

C’est Mickey et de la bande dessinée. A ce moment là, je ne sais pas lire. Ce sont juste des images. Pendant longtemps, j’avais un rapport étrange à la BD car je me racontais seule des histoires en fonction des images et des dessins que je voyais.

Lire un livre c’est prendre le droit de se raconter des histoires, dites-vous. C’est vraiment cela pour vous la lecture ?

La lecture donne la possibilité de penser que l’on peut se raconter des histoires. Ce qui est extraordinaire avec la lecture c’est que cela universalise la pensée. Par exemple, quand je lis « Cent ans de solitude », il y a de la magie dans cette écriture car moi, petite européenne je la capte et je l’entends alors que c’est une culture sud-américaine. Ce que j’aime dans la littérature c’est l’universalité qu’elle peut engendrer.

Une autre phrase me plait : « les auteurs sont des médecins », dites-vous…Qu’entendez-vous exactement par là ?

C’est le prolongement de ce que je disais sur l’universalisme. Ils racontent des choses que vous aussi vous avez vécu. Cela permet de relativiser. La littérature, cela permet de se sentir moins seul. D’autres gens éprouvent des sentiments semblables aux vôtres. Enfin, cela donne beaucoup d’humilité car cela vous montre qu’au fond, vous n’avez rien d’aussi extraordinaire que cela.

“La littérature nous permet de rester enfant en nous autorisant à nous raconter des histoires”

Pour vous, c’est quoi un bon livre ?

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Photo Patrice Normand

Un bon livre c’est une belle écriture, mais cela ne veut rien dire. Un bon livre comme dirait Bertold Brecht, c’est celui qui vous émeut et qui vous fait réfléchir. C’est ce qui fait que vous en avez rien à faire de ce que les gens vous disent quand vous êtes dans une soirée. Alors et vous n’avez qu’une seule envie : rentrer chez vous pour lire.

A ce moment là, vous avez la sensation d’être dans une plénitude complète de découverte de ce qu’écrit un auteur. Les livres que j’aime sont à moi. Ils m’aident à vivre. Je supporte très mal que l’on puisse attaquer un livre que j’ai aimé. C’est un peu comme si on m’attaquait moi.

Un bon film, c’est la même chose ?

Oui. Je dirais même cela de l’art en général.

Quel est le dernier livre qui vous a émue ?

Je viens de lire un livre qui m’a beaucoup amusée. C’est le “déjeuner des barricades” de Pauline Dreyfus (dont une ernestienne vous parlait ici, NDLR). Elle a un regard aigu sur les choses qui me plaît beaucoup. Tout se passe pendant les évènements de 1968, le 22 mai exactement. Dans l’hôtel Meurice. Ce jour-là, la France est en pleine crise politique sociale et institutionnelle et le parlement discute de la destitution du gouvernement, Patrick Modiano reçoit le prix Roger Nimier. Ce livre raconte le déjeuner des jurés. Tout le pays est en grève générale, tout le personnel de l’hôtel est également en grève. A contrario, les auteurs membres du jury s’interrogent pour savoir s’ils auront assez d’essence pour partir en week-end. Cela m’a beaucoup fait rire. Les évènements qui sont de l’autre côté de la Seine sont là sans être là. Ils avaient tellement peur des bolcheviks que cela en est drôlissime. Et cela n’est pas exagéré. J’étais gamine en 68 et je me souviens de nos voisins qui faisaient des réserves de sucre et de courses. 68 c’était génial. Tous les rapports entre les gens avaient changé. C’était un temps fantastique.  Ce n’est pas un immense livre, mais c’est un livre très juste qui, d’ailleurs, ferait un film formidable.

68 justement. Nous fêtons les 50 ans. Est-ce que cela veut dire encore quelque chose ?

C’est mon enfance. Cela veut donc dire beaucoup de choses. Au fond je suis contente de l’avoir vécu. D’avoir vécu ce moment où j’ai vu la force inimaginable de la jeunesse. D’un coup tout peut basculer. C’était un moment extrêmement gai. Mon frère trotskyste s’engueulait avec mon père Stal et notre voisin, gaulliste, râlait et défendait mon père face à mon gauchiste de frère.

C’est toujours possible un mouvement comme celui-ci ?

Oui c’est toujours possible. Je veux y croire. C’est tellement difficile pour les jeunes aujourd’hui. Il leur faut être dans la représentation et marcher sur les autres. Or, ils ont besoin de collectif. Comme tout le monde. C’était d’ailleurs le cas de Nuit debout en 2016. Cette envie de se parler et d’être ensemble. C’était joli.

Mais au fond 68 n’était-ce pas profondément romanesque ?

Ce n’a pas été que cela, non. Bien au contraire. Il y a eu des congés payés en plus. Les intermittents du spectacle viennent de là. Des gens se sont vraiment battus en 68. C’est très dur de faire grève, vous savez. Ce n’est pas une partie de plaisir. C’est un acte de courage incroyable. Certains perdent tout : leur travail, leur maison, leur mariage pour leurs idéaux et pour le collectif.

Quels sont les auteurs qui vous accompagnent tout le temps ?

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Photo Patrice Normand

Le premier c’est Honoré de Balzac. Personne d’autre que lui n’a décrit avec autant de justesse la comédie humaine. Lire Balzac aujourd’hui nous montre qu’au fond les rapports humains ne changent pas réellement. Tchekov aussi m’accompagne énormément. Joyce Carol Oates est également un phare de ma vie. Les poèmes de Brecht sont une musique quotidienne de ma vie. De même, James Baldwin dont je ne parle pas avec Véronique dans ce livre, mais je le connais depuis trente ans. Baldwin, c’est celui qui vous fait comprendre ce que c’est que d’être américain. En fait, un jour, c’est mon libraire qui m’a fait découvrir Baldwin.

En entrant dans le magasin, je lance toujours : « bon qu’est-ce que je lis? » et lui, il m’aiguille. Je lui fais totalement confiance. Il m’a donné « Si Beale Street pouvait parler ». J’ai adoré ce bouquin. J’avais l’impression que Baldwin et Guédiguian étaient amis et que Baldwin était né à l’Estaque. J’ai dit à Guédiguian de le lire. Il a mis sept ans à le lire. Et cela a inspiré l’un de nos films qui s’appelle « A la place du cœur ». De Baldwin, il faut aussi évidemment lire « Harlem Quartet ». Je remercie grandement Raoul Peck d’avoir fait « I’am not your negro » et de faire en sorte que le monde entier puisse le connaître.

Le livre que vous offrez le plus souvent.

Je n’offre pas un seul livre. Et en plus celui que je voudrais offrir tout le temps « L’excursion des jeunes filles qui ne sont plus » d’Anna Seghers est trop compliqué à trouver.

Pourquoi “L’excursion des jeunes filles qui ne sont plus” ?

C’est un chef d’œuvre immense. Elle raconte comment le temps personnel de vie et le temps historique se mélangent. C’est superbe. Elle touche juste sur la façon dont le temps historique peut interférer sur la conduite de notre vie propre. Tout le monde croit que l’on gère sa propre vie. C’est faux. Il y a tout cela dans ce livre. Je voudrais l’offrir tout le temps.

Quand lisez-vous?   Ariane Ascaride 04

N’importe quand. Je lis partout et tout le temps. Tous les jours. Le seul endroit où je ne lis pas c’est sur un tournage.

Pourquoi ?

Parce qu’à ce moment là, ma tête n’est pas disponible pour lire. Elle est en veille par rapport à mon personnage. En revanche, quand je répète au théâtre, je lis dans le métro.

Si vous deviez emporter cinq livres…

Oh non, vous me torturez. C’est trop difficile cette question.
La Ceriseraie de Tchekov. Balzac, je prendrais la Pléiade.
Joyces Carol Oates. Je prendrais aussi la Bible, même si je suis pas croyante. Car les histoires de la Bible sont fantastiques.

Comment faire lire les enfants aujourd’hui ?

En montrant l’exemple et en faisant de la lecture une habitude. Tous les dimanches soirs avec Robert (Guédiguian, son compagnon, NDLR), on leur donnait un livre en leur disant : “maintenant vous pouvez prendre ce livre là. Si cela vous plait vous le lisez, si ça ne vous plaît pas, vous le laissez”. Au début, c’étaient “Les lettres de mon moulin”, puis au fur et à mesure, on les amenait à une autre littérature.: La fée carabine de Pennac, Enfance de Gorki etc…Il y a eu cette habitude, ces rendez-vous avec un livre, un monde, un auteur.

“Je ne peux pas lire Céline. J’aurais l’impression que chaque page que je tourne serait entachée d’éclaboussures de sang”

Dans ce que vous faîtes au cinéma avec Guédiguian, il y a aussi cette volonté de témoigner de la façon dont le monde avance… Y a-t-il des livres contemporains qui vous apparaissent comme partageant le même objectif ?

Lola Lafon. Elle fait la même chose que nous. Elle raconte Nadia Comaneci, ou Patricia Hearts elle raconte un temps politique et un temps personnel qui entrent l’un et l’autre en collision.

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Par rapport à vos lectures. Y a t-il certains auteurs militants qui vous touchent ?

René Char, Louis Aragon et Elsa Triolet sont des auteurs immenses. Triolet c’est fantastique. Bien aussi beau qu’Aragon.

Quid des polars et des romans noirs ?

Je n’en lis pas. Je n’y comprends rien. Cela m’ennuie. Les jours de grande fatigue je lis Patricia Highsmith. C’est con.

L’auteur que vous n’avez jamais pu lire ?

Céline. Impossible. C’est un grand écrivain, mais je ne peux pas. J’aurais l’impression que chaque page que je tourne serait entachée d’éclaboussures de sang.

Ariane Ascaride, une force et une consolation, éditions de l’Observatoire, 16 euros.

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Toutes les apostrophes d’Ernest sont là.

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