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C.Zalberg : “Les failles humaines sont belles car elles font entrer la lumière”

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Carole Zalberg signe un roman superbe "Où vivre" où il est question d'exil, de famille, de rêve et de désillusions. Il y est aussi question de la situation complexe d'Israël et de la la Palestine. Clairement, c'est l'une des choses les plus intelligentes et subtiles jamais lues sur ce pays. Du niveau de "l'Attentat" de Khadra. Aussi intelligent, fin et puissant dans ce qu'il dégage. Ernest vous en a déjà beaucoup parlé et a publié les bonnes feuilles en exclusivité ici. il ne restait plus qu'à rencontrer l'auteure.

Photos : Patrice Normand

Carole Zalberg nous reçoit à la société des gens de lettre où elle est secrétaire générale et où elle lutte - notamment - pour une meilleure reconnaissance du statut d'auteur et pour une meilleure protection et rémunération (lire notre enquête ici). Ce qui frappe chez Carole c'est à la fois sa joie de vivre et sa fragilité. Comme Tel-Aviv, cette ville d'Israël où l'on sait mieux qu'ailleurs que tout peut s'arrêter du jour au lendemain, mais que l'on ne considère pas cela comme une raison suffisante pour ne pas vivre et sourire. Dans tous les livres de Carole Zalberg il y a cette ligne de crête entre ce que l'on peut perdre, et ce besoin irrépressible de vivre. Une ligne de crête que l'on a exploré dans notre discussion. Elle nous a aussi emmenés ailleurs.

Quel a été le déclencheur du livre sur ce sujet ô combien périlleux d’Israël ?

Pas vraiment de déclencheur. C’est un livre qui a couvé depuis longtemps et il n’a pas surgit de nulle part un beau matin. C’est un fil que je tire depuis longtemps. Le sujet d’où vivre n’était jamais le sujet principal de mes livres, mais il était toujours là. C’était notamment très présent dans mon roman « Chez Eux », roman inspiré de l’histoire de ma mère, enfant caché pendant la guerre, et dont le personnage Léna (que l’on retrouve dans Où vivre) partait s’installer en Israël. Plus largement les thématiques de la judéité, de l’exil, du déplacement et d’Israël en arrière-plan, c’est dans beaucoup de mes livres (lire notre chronique de l'un des romans de Carole Zalberg ici). Cela s’est décidé vraiment quand j’ai entendu parler des bourses Stendhal dédiées à des romans en cours d’écriture qui nécessitent de partir en voyage. J’ai postulé pour cela avec la conviction qu’à partir du moment où je demandais cette bourse, et que je l’obtenais, il y avait alors une forme d’obligation à traiter ce sujet complexe, polémique, périlleux, et intime.

La construction du livre est celle d’un kaléidoscope de personnages qui racontent chacun la même histoire avec des Carole Zalberg oeilpoints de vue et des lunettes différentes. Pourquoi ce choix ?

Cette construction s’est imposée très vite et très naturellement car la mise en musique des voix de cet aréopage de personnages m’a permis de respecter mon objectif principal par rapport à ce livre et à ce sujet d’Israël qui était une volonté de rester dans la nuance. Je ne voulais pas prendre position et encore moins depuis que je me suis plongée dans ce travail. Plus je creuse la question et moins mon regard sur Israël et sur le conflit israélo palestinien est tranché. Ainsi, je m’en suis tenue à l’intériorité des personnages et à l’éclairage de la grande Histoire à travers la petite histoire et les trajectoires et les ressentis des individus. En fait, mon approche mosaïque et chorale a été renforcée par ce livre. Cette technique permet de faire passer énormément de choses.

Tous les personnages sont des égaux expérimentaux des écrivains écrivait Milan Kundera dans « L’art du roman ». Y – a- t-il un peu de Carole Zalberg dans chacune des voix de Où vivre ?

A mes yeux cela dépend des livres. Mais ce que je pense c’est que le personnage passe d’abord par soi sans forcément être soi. Ce que je veux dire c’est que si l’on ne trouve pas ne serait-ce qu’un petit morceau de la vérité d’un personnage en soi, alors il risque de sonner faux et de manquer d’incarnation. Après cela ne veut pas dire que les propos, les émotions ou les regards des personnages sont ceux de l’auteur. Au contraire, ils peuvent même être très éloignés de celui qui les a créés.  Pour ce livre-là, c’est particulier car je me suis inspirée de ma famille. Tous les personnages me sont proches. Marie, c‘est ma voix. Tous les autres sont une part de moi.

Ce roman est issu d’un voyage en Israël, d’entretiens que tu as pu faire avec des gens de ta famille, mais aussi le prolongement d’un journal  "A la trace" que tu as publié, il y a quelques années. Pourquoi pour ce livre-là, plus que pour d’autres, tu as ressenti le besoin d’aller au plus profond du réel pour tirer du romanesque ?