Dans le monde des lettres et des chiffres, tout le monde n’est pas Guillaume Musso ou Marc Lévy avec plusieurs millions d’euros de revenus chaque année d’après le palmarès de Capital. S’intéresser à la rémunération des auteurs, c’est essayer d’appréhender un iceberg : dans la partie émergée quelques auteurs célèbres vivent très bien de leur plume…Dans la partie immergée : l’immense majorité gagne très peu, y compris celles et ceux qui ont du succès. Beaucoup ne peuvent vivre de leur plume. Depuis plusieurs mois, le mouvement des « auteurs en colère » tente d’alerter sur le sujet, notamment car une nouvelle taxation risque de les fragiliser encore plus. Certains viennent même de créer la Ligue des auteurs pour défendre leurs droits. Depuis des années, la SGDL (Société Des Gens de Lettres) mène une action continue, suivie et documentée pour rendre toujours meilleur le statut global des écrivains. Pour tenter d’y voir plus clair dans cette nébuleuse des revenus, nous sommes allés interroger plusieurs auteurs pour comprendre concrètement de quoi ils vivent. Scoop : ce n’est pas uniquement de littérature et d’eau fraiche.

4000 exemplaires vendus pour Sigolène Vinson. Pas assez pour avoir un salaire à la hauteur du travail effectué.
“Les auteurs français n’ont-ils pas dans l’idée d’être comme les écrivains pauvres du Cénacle de Balzac dans les Illusions perdues ? Un bon auteur est-il un auteur pauvre ?” C’est la question que se pose Sigolène Vinson, romancière auteure de quatre romans et chroniqueuse à Charlie Hebdo. Comme si elle avait intégré, résignée, qu’écrire des livres ne lui permettra jamais d’atteindre des stratosphères de revenus. Impossible pour elle de ne vivre que de sa plume. Deux de ses romans, “Le caillou” et “Courir après les ombres” se sont vendus chacun à près de 4000 exemplaires. Pas si mal dans un univers où la concurrence est rude, et où certains livres ne se vendent qu’à 80 exemplaires. Avec un contrat classique, (cf encadré) ces deux livres lui ont rapporté 11 000 euros de droits d’auteur. Pas assez pour avoir de quoi vivre. Comme beaucoup d’écrivains, elle cumule d’autres revenus : ceux de ses articles, ou encore quelques interventions dans des conférences. Tout cumulé, elle touche environ 1500 euros par mois.
Un salaire modeste qui ne la place pourtant pas parmi les plus mal lotis. 41% des auteurs considérés comme professionnels gagnent aujourd’hui moins que le SMIC, d’après une étude publiée par le Centre National du Livre. La proportion de ménages à bas revenus est même plus importante chez les auteurs de livres qu’au sein de la société en général. Loin de l’image starifiée d’une poignée d’auteurs. Miya, jeune illustratrice et auteure de manga, fait partie de ceux qui envisagent de jeter l’éponge après 10 ans de travail dans ce domaine. Son histoire montre la précarité extrême de ce métier, notamment lorsque l’on est une femme. Une grossesse, l’année dernière, lui a fait prendre du retard dans un projet. “C’est comme si une entreprise s’arrêtait de tourner pendant un certains temps. Personne ne peut faire le travail à votre place quand on est auteur”. Au retour, elle a dû refuser d’autres projets pour terminer celui qui avait du retard. Résultat, ses revenus sont très faibles : 12 000 l’année dernière, en partie complétés par la Caf.
“Pour pouvoir vivre de sa plume, il faut soit un autre métier, soit un mécène”

Un prix littéraire permet de voir un peu venir. Mais ce n’est pas une assurance tout risque. Haenel a obtenu l’Interallié en 2009 avec son Karski.
“Pour pouvoir vivre de sa plume, surtout en début de carrière, il faut avoir soit un autre métier, soit un mécène” reconnaît l’historienne et écrivaine féministe Florence Montreynaud. Son mécène, c’était son mari. Un paradoxe, que cette féministe, fondatrice des Chiennes de Garde, a très mal vécu, mais elle n’avait pas le choix. Comme pour beaucoup d’auteurs, l’amour de l’écriture surpasse tout : “Écrire, c’est ma façon d’être au monde, c’est ma façon de changer le monde, avec des mots. C’est la seule activité qui me donne une impression aussi puissante et exaltante de créer. Si je n’écrivais pas je mourrai” assure cette passionnée. Un livre lui a permis de vivre pendant une quinzaine d’années, c’est “Le XXe siècle des femmes”, vendu à 140 000 exemplaires. Mais dans le monde de l’écriture, chaque livre est un nouveau pari. Pour son dernier livre, “Le roi des cons”, paru en mars dernier, qui pointe le sexisme de certains mots de la langue française, Florence Montreynaud a obtenu 2500 euros d’à-valoir – cette avance donnée par l’éditeur avant le versement des droits d’auteurs. Après 40 ans de carrière et 18 livres publiés, elle a donc gagné deux mois de SMIC pour un an de travail.
Quid des auteurs de romans qui ont été primés ? L’inquiétude matérielle disparaît-elle avec le prix ? Yannick Haenel, prix Médicis en novembre 2017, pour “Tiens ferme ta couronne”, a vendu plus de 50 000 exemplaires. Pour son précédent livre, “Jan Karski”, en 2009, il avait obtenu le prix Interallié et en avait vendu 100 000. Des ventes considérables. Ce succès lui a permis de négocier auprès de Gallimard un à-valoir de 25 000 euros mensualisé pour l’année. “Pour écrire mon prochain livre, j’ai négocié le prix d’un an de loyer”, explique-t-il. Une avance que Gallimard peut se permettre au regard des succès précédents de l’auteur, et qui est un moyen aussi pour une édition de garder un auteur dans sa maison. Mais un an, c’est court dans le domaine de l’écriture. Au bout d’un an, son roman n’est pas terminé, Yannick Haenel pense devoir y consacrer trois ans. “Alors on se bricole un salaire pour tenir trois ans”, dit -il. A l’à-valoir s’ajoutent des cours d’écriture, des articles dans les journaux. Avec ses succès de vente et ces à-côtés, l’écrivain estime vivre avec 2000 euros par mois. Loin des petits SMIC de certains auteurs, mais loin aussi des fortunes gagnées par d’autres, au regard de son succès.
Deux mois de SMIC pour un an de travail
D’autres auteurs parviennent à obtenir des bourses, proposées par le Centre National du Livre pour les soutenir. Ainsi, le jeune auteur Pierre Ducrozet vient d’obtenir une bourse de 14 000 euros, appelée « bourse de confirmation », pour des auteurs qui ont déjà publié un livre qui s’est raisonnablement vendu. Une bourse qui a permis à Ducrozet de travailler sereinement sur “L’invention des corps”, son dernier livre dont nous vous parlions ici. Il existe des bourses allant de 3500 euros pour des débutants – mais il faut tout de même avoir publié au moins un livre dans une maison d’édition – à 28 000 euros, appelée “année sabbatique”. Cette bourse ajoutée à un à-valoir similaire à celui de Yanick Haenel va permettre à Pierre Ducrozet de travailler pendant deux ans sur son prochain livre. Il consacre aussi une partie de son temps à des activités telles que des cours d’écritures, des conférences, des activités “satellitaires, qui font partie du travail d’écriture”, souligne-t-il. Et, comme en échos à Florence Montreynaud et son mari mécène, lui aussi a bénéficié des revenus de sa femme, en début de carrière. “Le fait d’être en couple permet de faire un équilibre entre revenus réguliers et irréguliers”, explique-t-il.
L’autre moment où les revenus sont en question c’est le moment de la négociation du contrat. Les auteurs sont-ils en mesure de le négocier ? Osent-il le faire ? Publier est tellement perçu comme un Graal que les éditeurs sont en position de force. “A chaque fois j’ai tellement été heureuse d’être publiée que je n’ai pas négocié” avoue Sigolène Vinson. La romancière et journaliste Titiou Lecoq a accepté à ses tout premiers débuts un contrat à hauteur de 1,5% de droit d’auteur. Alors que la moyenne basse est de 6%. “On était deux autrices, donc 3% à deux. Après on s’est dits qu’on était débiles. Comment on a pu accepter ça ? On avait envie de faire le livre, on était contentes d’avoir trouvé une maison d’édition”. Une autre auteure nous raconte aussi que pour son tout premier livre, elle avait accepté un contrat qui proposait un forfait pour solde de tout compte, c’est-à-dire sans la prise en compte des ventes… Problème : le livre a été un succès considérable. Elle a alors menacé l’éditeur d’un procès…et a pu obtenir un dédommagement et un nouveau contrat.
Cours d’écriture, articles dans les journaux, les auteurs complètent leurs revenus

Même chez les auteures, les femmes sont moins payées, nous explique Titiou Lecoq. Photo : DM
Dernier point d’achoppement : chez les écrivains aussi les femmes étaient moins payées que les hommes. C’est ce que constate un rapport publié par le ministère de la Culture en 2016. Un auteur homme gagne en moyenne 37 500 euros contre 29 000 euros pour une femme auteure, soit 37% de moins. Comment l’expliquer ? Pour Titiou Lecoq, “Comme pour d’autres domaines, on considère que le travail des femmes vaut moins d’argent. Ensuite, les éditeurs payent en fonction d’un carnet d’adresse, la capacité à mobiliser un réseau pour faire parler du livre, et les hommes en ont davantage”. Peut-être aussi moins d’appétence à se mettre en avant et négocier : Titiou Lecoq se souvient d’ailleurs d’une maison d’édition qui lui a proposé une grosse avance il y a quelques années, à qui elle avait répondu que c’était trop. Les femmes sont d’ailleurs sur-représentées dans les secteurs les moins payés, comme la littérature jeunesse. Et personne ne parle de rémunération. L’argent est un sujet tabou chez les auteurs. Aucun moyen, pour les hommes comme pour les femmes, de comparer leur rémunération. Pour booster ses rémunérations, Samantha Bailly, a trouvé la solution et tient à le faire savoir : prendre un agent littéraire. On les pensait réservés à une élite des auteurs, mais ce n’est pas le cas. “Partout ailleurs, aux Etats-Unis, en Angleterre, en Allemagne, l’agent littéraire est la norme. En France, les éditeurs jouent sur le côté « relation affective » entre un auteur et un éditeur, mais leurs intérêts sont divergents”, explique-t-elle. “C’est une pratique qui devrait se démocratiser”. Depuis qu’elle est représentée par un agent littéraire, ses revenus ont quadruplé, assure-t-elle.
Prendre un agent littéraire : une solution ?
Il ne faut pas oublier d’ailleurs la responsabilité des maisons d’édition dans l’accompagnement d’un auteur et de ses livres. Depuis plusieurs années, on assiste à une surproduction de livres. En 1995, 42 000 titres étaient parus, en 2014, 98 000 ! Une inflation considérable. Le nombre de premiers romans, en particulier, a été multiplié par cinq. Certains éditeurs lancent donc un grand nombre de livre sans les accompagner, certains paraissent dans l’indifférence générale. Un auteur nous confie ainsi en off que dans sa première maison d’édition, il n’avait “pas trouvé la place qu’il voulait”. “On est très nombreux dans les maisons d’édition. Soit on vous met en avant, soit vous êtes en retrait. En retrait, ça veut dire que le livre sort à un moment de l’année où l’attention est moindre, on est moins accompagné en promotion, le tirage est moindre…” Il décide alors de changer de maison d’édition, avec succès : son dernier livre s’est très bien vendu. D’autres auraient pu jeter l’éponge, remettre en cause leur confiance dans ce métier ou dans leur talent. “Il faut être tenace, le talent ne suffit pas”, assure cet auteur. Définitivement, un bon auteur est un auteur qui se bat.
Le mouvement des « auteurs en colère » :
Le mouvement, initié par le Conseil permanent des écrivains, veut alerter sur la situation précaire des auteur.es, qui n’ont aucun statut contrairement, par exemple, aux intermittents du spectacle. Ils dénoncent aussi la hausse de la CSG et le prélèvement fiscal à la source qui risque d’amputer des revenus déjà très faibles. « Certains auteurs vont devoir tout simplement arrêter de faire ce métier » alerte Samantha Bailly, présidente de la Charte des auteurs illustrateurs jeunesse et vice présidente du Conseil permanent des écrivains. Le dessinateur et auteur de BD Joan Sfar, très mobilisé lui aussi, s’est fait cinglant sur France Inter: « L’histoire se rappellera qu’on a une ministre éditrice qui a massacré les écrivains ». Une pétition contre ces réformes a déjà reçu 30 000 signatures, soutenue par des grands noms de la littérature comme Annie Ernaux ou Patrick Grainville. Au mois de septembre 2018, d’autres auteurs ont lancé la Ligue des auteurs professionnels qui a pour but – tout comme un grand nombre d’autres organisations telles que la SGDL (Société Des Gens De Lettres) – de faire du lobbying précis et médiatisé pour que les droits des auteurs soit reconnus.
La rémunération en chiffres :
En France, les auteurs sont rémunérés en droits d’auteurs. Parfois, ils bénéficient d’une avance sur les ventes du livre, c’est à dire un « à-valoir », qui se décomptera des droits d’auteur. Une étude réalisée par la Scam montre qu’un quart des auteurs ne perçoivent aucun à-valoir pour leur livre, 34% perçoivent un a-valoir inférieur à 1500 euros et 36,7% entre 1500 et 3000 euros. Seuls 14,4% touchent entre 3000 et 5000 euros et 14,9%, davantage. A l’autre bout de l’échelle, Michel Houellebecq aurait obtenu jusqu’à 1,3 millions d’euros. Viennent ensuite le produit des ventes. Le contrat-type prévoit que l’auteur touche 8 % de droits jusqu’à 10 000 exemplaires vendus, 10 % entre 10 001 et 20 000, 12 % au-delà. Cela représente donc, pour un livre vendu 20 euros, entre 1,60 et 2,40 euros par exemplaire pour l’auteur. Certains auteurs stars ont pu obtenir jusqu’à 18%, comme Jean d’Ormesson ou Françoise Sagan.
[…] reconnaissance du statut d'auteur et pour une meilleure protection et rémunération (lire notre enquête ici). Ce qui frappe chez Carole c'est à la fois sa joie de vivre et sa fragilité. Comme Tel-Aviv, […]