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Beigbeder : “Vive la mort” !

BEIG2 Ph JF Paga Grasset

Beigbeder méritait-il une interview sur Ernest ? C'est la question qui taraudait la rédaction. Au fond, Frédéric Beigbeder n'a pas besoin d'Ernest pour exister médiatiquement et littérairement. Au fond, en le mettant en avant, nous entrions peut-être dans la logique germanopratine que nous ne voulons pas rejoindre. Pourtant, lors du lancement d'Ernest, un mantra animait les discussions : l'important c'est le plaisir que le livre procure. Sur nos marque-pages cette antienne : "Ce qui est sacré, ce n'est pas le livre mais le plaisir qu'il donne aux gens."

Force est de constater qu' "Une vie sans fin", le onzième roman de Frédéric Beigbeder, rempli cette fonction de donner à son lecteur un plaisir certain.  Le jour où sa fille lui demande s'il va mourir, il répond que non. Et il promet. Du coup, il part en quête de l'immortalité. Le livre est le récit de la quête de cet animateur de télé qui se prénomme Frédéric et qui va tester toutes les possibilités offertes par le transhumanisme. Entre drôlerie, effarement et émerveillement devant ce que l'auteur raconte, le lecteur est aussi plongé dans des réflexions plus larges sur le monde qui est en train de se construire sous nos yeux.

Les mauvais coucheurs diront que Beigbeder n'a fait que de s'emparer du sujet en vogue (le transhumanisme) pour y mettre du "moi je" et signer un mauvais livre. Ne les croyez pas. "Une vie sans fin" est un livre intelligent, drôle et émouvant. Un livre plaisant à lire. Comme avec ces précédents livres, Beigbeder, homme de son temps, est curieux de tout. A la fois brillant et frivole. Humant l'air du temps pour en faire un roman enlevé. Rencontre.

Dans votre dernier livre, « une vie sans fin » vous êtes quasiment un gonzo journaliste qui mène une enquête sur l’immortalité possible et le transhumanisme. Assez loin du roman en somme. Pourquoi ce choix ?

Frédéric Beigbeder : Je n’ai jamais écrit de roman au sens strict du terme. « 99 francs » est un reportage pamphlétaire sur les coulisses de la publicité, « Windows on the world » est très documenté sur les attentats du 11 septembre. « Oona et Salinger » est une exofiction. Au fond, j’ai très peu d’imagination et je dois reconnaître que je ne suis pas un romancier au sens créateur de fiction. En revanche, ce qui m’intéresse c’est de faire tomber la barrière entre réalité et fiction. C’est ce que j’essaye de faire depuis le début. Là, je suis parti d’un matériau de base qui est six entretiens avec des grands médecins / chercheurs à travers le monde. Après ces interviews, je me suis aperçu qu’écrire un essai de vulgarisation scientifique ne m’intéressait pas. Moi ce que j’aime c’est quand même raconter une histoire. Un personnage de fiction pure ne fonctionnait pas. Aussi, je me suis mis en scène moi-même, avec mon angoisse de disparition, avec mes contradictions d’hédoniste trouillard, de père de famille fêtard, et ma fascination pour l’immortalité matinée d’une frayeur sur le prix à payer pour y parvenir. Ainsi, le personnage qui porte mon nom pouvait passer d’une grande naïveté enthousiaste à l’exploration profonde de ce qu’est la condition humaine.

Il est effaré par ce qu’il apprend, non ? Y avait-il cette volonté de nous dire : "attention" ?

Oui. J’avais cette envie. D’ailleurs, c’est une construction assez classique du roman fantastique. C’est le cas dans Frankenstein. Au départ, nous sommes excités par ce savant qui redonne vie à des cadavres, mais quand la créature se met à étrangler tout le monde, c’est plus compliqué et on perd l’enthousiasme. La SF a toujours voulu apprendre des choses à son lecteur tout en dénonçant un certain agencement du monde. Au départ, j’étais objectif et je ne m’attendais pas à quelque chose d’aussi choquant. Quand je rencontre André Choulika, c’est quelqu’un d’assez sympa et il parvient à sauver des vies d’enfants atteints de leucémie. C’est un bienfaiteur. Toutefois son discours scientiste est un discours effrayant.

C’est un livre de science-fiction ?

Je dis science-non fiction car tout est vrai. Tout est réel et vérifiable. Je n’invente rien.

Ernest Mag Vie Sans Fin BeigbederC’est la première fois que vous n’inventez rien ou que vous romancez le moins possible ?