Est-il possible d’allier réflexion sur l’usure d’un couple, dystopie géopolitique et humour féroce ? A priori non. Sauf quand on s’appelle Jonathan Safran Foer. Dans son dernier roman “Me Voici”, Safran Foer réussit un véritable tout de force littéraire. D’abord dans la description à la fois ironique et chirurgicale de la déliquescence d’un couple : celui que forment Julia et Jacob. Alors que leur fils Sam, en pleine préparation de sa Bar Mitsva, est soupçonné d’avoir fait de l’humour antisémite, Julia découvre le téléphone caché de Jacob grâce auquel il envoie des SMS cochons “Je continuerai à te faire jouir quand tu me supplieras d’arrêter”, “ça te plaît quand j’écarte tes lèvres serrées avec ma langue ?” à une collègue de travail. Des évènements qui font basculer la construction du couple de Julia et Jacob. Des évènements qui viennent leur montrer à des degrés divers qu’ils sont dans le faux. ” Tant de journées dans leur vie de couple. Tant d’expériences. Comment avaient-ils fait pour passer ces seize dernières années à désapprendre à se connaître ? Comment tant de présence avait-elle pu aboutir à une disparition ?”, lit-on ainsi sous la plume virtuose de Safran Foer. Une autre phrase résume cette déliquescence : “Leur conversation ne cessait de s’étendre, mais ils ne savaient plus très bien de quoi ils parlaient“.
Superbe et drôle roman monde
Nous y sommes. “Me voici” est un roman sur nos constructions mentales, sur les histoires que nous nous racontons à nous même. Avec deux évènements anodins, le château de cartes de la vie parfaite s’effondre. “Me voici”, c’est aussi un livre très drôle. Sur la recherche de l’identité, sur le judaïsme, sur le sexe et le désir. Il y a du Roth de “Portnoy et son complexe” dans ce roman de Safran Foer. Là dessus, l’auteur ajoute une dimension dystopique et géopolitique : un tremblement de terre menace Israël et c’est toute la géopolitique de la région qui s’en trouve bouleversée. Tout comme les juifs de la diaspora.
Au fond, ce livre immense de Safran Foer interroge le lecteur : qu’a fait sur vous le passage du temps ? A-t-il détruit vos utopies individuelles : amour, désir, loyauté face à l’adolescent que vous étiez ? Le temps qui passe vous fait-il renier les héritages familliaux et votre putative appartenance à une histoire globale ? Tout cela est dans “Me voici”. C’est un livre monde. Un livre puissant, un livre qui fait rire, sourire, pleurer. C’est simplement de la très grande littérature. Ambitieuse et joyeuse. Superbe.
Retrouvez ici tous les livres du vendredi.
[…] des auteurs américains contemporains les plus intéressants (nous vous parlions de lui ici et là. ) : Jonathan Safran […]