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Olivier Guez : “Il faut se méfier des hommes”

Ernest Magazine Olivier Guez

Atypique. Olivier Guez est de ces journalistes-écrivains touche à tout. De ceux qui sont capables d’autant se passionner pour l’URSS, le foot et le judaïsme avec la même curiosité, la même avidité et surtout une volonté de faire savoir, et de faire découvrir. En cette rentrée littéraire, Olivier Guez sort un romanenquête autour de la traque du médecin nazi d’Auschwitz, Joseph Mengele. Le livre est passionnant. Ernest l’a sélectionné dans ses inDIXpensables de la rentrée. Et lui a décerné son Prix Médicis. Il a en fait eu le Renaudot 2017. Rencontre avec un auteur complexe, aux multiples facettes qui nous révèle un scoop et où il est question de journalisme, de l’enfance, de foot et aussi de son livre.

Avant même d’être un écrivain n’étais-tu pas déjà un journaliste atypique qui écrivait autant sur l’économie, que le cinéma ou le sport ?

Olivier Guez : Je pense que je peux percevoir ce côté déroutant en ce sens que je n’ai pas eu un parcours classique ni en tant que journaliste ni en tant qu’écrivain et je n’ai pas fait ce que j’étais sensé faire avec mes études. Quand tu fais successivement Sciences-po en Relations internationales, un master de relations internationales au School of Economic puis qu’après tu vas au Collège d’Europe à Bruges soit tu passes les concours pour le Quai d’Orsay, la Commission européenne ou pour d’autres organisations internationales. En fait très rapidement j’ai participé à une mission de l’OCDE en Bosnie et j’ai compris qu’être fonctionnaire international ce n’était pas du tout fait pour moi et mon court passage au Quai d’Orsay a été catastrophique pour tout le monde !

Et en devenant journaliste tu t’es senti mal à l’aise aussi dans ce milieu plutôt tapageur ?

Je n’aime pas trop les gens qui ont des avis sur tout. Or les journalistes, parce que le métier qu’on a connu a changé, doivent passer obligatoirement aujourd’hui par la case télé pour être reconnus où ils sont obligés de parler de tout, d’avoir un avis sur tout ou de faire le show …J’ai essayé ça une fois mais pour moi ce n’est vraiment pas possible ! J’adore les journaux. D’ailleurs je ne sais pas très bien si je suis à présent journaliste ou un écrivain qui écrit dans les journaux mais il est vrai que ce métier n’est plus du tout le même avec le culte de l’immédiateté…Par ce qu’on entend par journalisme aujourd’hui je me sens totalement décalé. Ce n’est pas mon truc.

“Le culte de l’immédiateté a tué le journalisme que nous connaissions”

Tes origines, ton enfance expliqueraient-ils ta réserve ?

Je préfère parler de distance plutôt que de réserve. J’ai été élevé à Strasbourg pas mes grands-parents maternels car mes parents médecins étaient monopolisés par leur travail. Aux yeux de mes grand- parents paternels la discrétion était une valeur cardinale. Les grandes envolées dans les débats au sein des conférences de rédaction des journaux me paraissaient puériles. En écrivant je n’ai pas besoin d’élever la voix et je me sens libre. Et je peux prendre mon temps. Et puis je suis à la confluence de différents mondes, de différentes disciplines  : Histoire, Recherche, Enquêtes journalistiques, Littérature…Une sorte d’insider-outsider.

Et ta fascination pour l’Allemagne ?

Pour le monde germanique plus précisément. Le monde germanique c’est l’Europe : il va du Danemark à l’Italie, de l’Alsace-Lorraine à l’Ukraine, c’est ça qui me fascine. J’ai grandi dans les années 1980 à Strasbourg et mes grands-parents habitaient en face du Conseil de l’Europe, j’ai vu surgir de terre le Parlement européen, la Cour de justice européenne, j’empruntais le pont de l’Europe sur le Rhin… Puis le Mur de Berlin qui tombe à la fin de la décennie…J’étais aussi déjà passionné de foot et enfant je connaissais toute la géographie des clubs européens en regardant plutôt vers l’Est que vers le Sud.

Pour toi le passage du journalisme à la fiction a été naturel ?

J’y pensais toujours. Mon roman « Koskas » j’y pensais depuis dix ans, Koskas m’accompagnait comme une sorte d’alter ego.

Le dédoublement ?

Ernest Mag Guez KoskasKoskas m’a peut-être vaguement ressemblé à une époque mais ce n’est plus du tout le cas. Cet espèce d’anti-héros je l’emmenais avec moi et même pendant mes reportages pour la Tribune j’avais envie d’écrire une fiction sur ce qui aurait pu m’arriver. Dans « Koskas » la géographie est assez précise, ce sont des endroits où je suis allé…Dans tout ce que je bricole, à part le football éloge de l’esquive, il y a un certain lien. Je suis obsédé par l’Histoire, la méta-Histoire. Je suis obsédé par le fait que la longueur de la vie humaine c’est à peine une virgule dans un livre d’Histoire. Je n’arrive toujours pas à comprendre comment entre 1914 et 1945 les européens ont pu se mutiler, s’infliger 85 millions de morts et comment un continent, des sociétés, des hommes se remettent d’une folie pareille. Tout ce que j’ai bricolé depuis vingt ans tourne autour de cela. J’ai vu mes grands-parents se dépatouiller car comment vivre avec cela quand on a été désigné, marqué, chassé en tant que juif… « L’impossible retour » ces sont les victimes, le retour au pays des meurtriers et comment réapprendre à vivre ensemble ; « Koskas » c’est un jeune homme égaré qui cherche des fantômes disparus et je ne parle pas que des Juifs, je parle d’un état d’esprit, du cosmopolitisme…Et à présent « La disparition de Josef Mengele » c’est le versant noir, le meurtrier…

Tu estimes personnellement avoir un devoir de mémoire ?

J’ai grandi à côté de l’Allemagne dans un milieu juif. Strasbourg est sans doute la dernière ville au monde où l’on peut avoir une vraie vie traditionnelle juive au milieu de la cité mais je n’ai pas l’esprit communautaire, j’aime les fenêtres ouvertes, cette fluidité que je retrouve d’ailleurs dans le football ! Mais je ne suis pas du tout obsédé par l’Holocauste. C’est la nature humaine qui me fascine. Quand je travaille sur Mengele, je m’intéresse d’abord à un homme qui a fait le Mal et je veux savoir comment vivre ensuite n’ayant pas été jugé et condamné. Ce que je ressens aussi depuis tout petit c’est que le Mal existe parfois même en nous, qu’il peut très facilement ressortir en certaines circonstances, que l’Homme est une créature malléable et qu’il faut se méfier …

Des sujets graves, un univers bien noir …

Non il y a le football, la musique brésilienne, le disco, la musique électronique…Tout cela j’adore …Sais-tu que j’ai été DJ ?

Le foot ?   Ernest Mag Esquive Guez

J’adore le sport c’est une sorte de pause métaphysique, cela me détend. Je suis un mauvais supporter, à part une certaine affection pour l’équipe de Strasbourg. En fait j’aime le foot pour… le foot, pour le sport. Mais le foot c’est aussi un viatique, un moyen de comprendre immédiatement la mondialisation, de relier les gens. Le foot ça raconte tout : la culture nationale, le patriotisme, la psychologie d’un peuple, les écarts de salaire etc.

Revenons à ton dernier livre sur Mengele… C’est un roman vrai ?

Oui j’ai fiché tout ce que j’ai appris sur lui pour essayer de bâtir une œuvre littéraire. Un roman n’est pas obligatoirement un livre de fiction. A partir du moment où je mettais son nom, j’avais une responsabilité d’être au plus près de ce qu’il était, de la vérité.

“Mengele est un pur produit de ce qu’a été le nazisme”

Sa mort de maladie, à petit feu, solitaire, traqué et paniqué, n’est-elle pas pire que s’il avait été condamné à mort au tribunal de Nuremberg par exemple ?

Oui il aurait été sans doute exécuté mais il reste que Mengele c’est un petit poisson à côté des grands chefs nazis. Il est petit, mesquin, n’aime personne et ne donne rien, jamais, à personne, on ne peut pas avoir d’empathie à son égard et je lui passe en quelque sorte la corde au cou en le décrivant. Il demande vers la fin l’attention de son fils non parce qu’il l’aime mais parce qu’il se sent seul. Peut-être a-t-il aimé sa première femme mais même là ce n’est pas du tout touchant.

Ernest Mag Disparition Josef Mengele GuezUn monstre ordinaire Mengele ?

Pour moi ce n’est pas un monstre. Il ne va pas à Auschwitz parce qu’il est sadique ou un serial-killer mais parce que son directeur de laboratoire scientifique, le CNRS allemand de l’époque nazie, lui dit : «Vas là-bas c’est le plus grand labo du monde , tu vas avoir la chance extraordinaire de progresser sur la connaissance de la gémellité et tu vas pouvoir travailler sur des humains au lieu de travailler sur des rats » . Or dans les valeurs nazies ce ne sont pas des humains ce sont des rats. C’est aberrant mais c’est comme cela. Mengele est un pur produit de ce qu’a été le nazisme. Il est entré dans la SS par ambition et, comme médecin, il estimait qu’il fallait, comme on le lui avait dit, soigner le peuple. Car le nazisme c’est un autre système de valeurs. A partir du moment où on classe les gens, ce qu’ils appelaient les races, selon une hiérarchie et que certaines doivent donc disparaître tu entres dans un autre monde. Je travaille sur l’URSS en ce moment et des millions de gens selon le régime soviétique « devaient » mourir …

Ton prochain livre sera sur l’Union soviétique ?

Oui mais sur le football ! Je vais raconter le Stalinisme et l’URSS par le football.

Tu termines ton livre actuel par cette mise en garde : « Il faut se méfier des hommes »…Cela fait peur pour l’avenir ! l’Histoire pourrait- elle encore enfanter un nouveau Mengele quelque part ?

Oui j’en suis persuadé. Je n’ai aucune illusion sur l’Histoire mais cela ne m’empêche pas de vivre même si ce livre a été éprouvant.

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