Et Bim ! Un petit scoop de rentrée pour Ernest et pour vous chers lecteurs et chères lectrices : la première interview de Ken Follett autour de son nouveau roman “Le crépuscule et l’aube” qui paraît le 17 septembre chez Robert Laffont. Une plongée passionnante dans un monde en plein chaos. Celui des années 990. Comme toujours chez Follett le sens romanesque est là. Époustouflant. Nous l’avons interrogé là-dessus, mais aussi sur le pouvoir de la fiction et sur plein d’autres choses. Régalez-vous, c’est une exclu. C’est seulement sur Ernest.
“Je ne suis pas plus intelligent que mes lecteurs”, confie Ken Follett, en cette fin du mois d’août, lors d’une discussion passionnante, à bâtons rompus, sur Zoom (Covid oblige) autour de son prochain roman “Le crépuscule et l’aube” à paraître le 17 septembre prochain chez Robert Laffont. Discuter avec Ken Follett, auteur du mythique “Les piliers de la terre”, est un ravissement. Non seulement pour la qualité d’écoute du personnage, mais aussi pour son humour, sa causticité et son franc-parler. Celui qui a vendu des millions d’exemplaires des “piliers de la terre” et 23 millions de sa trilogie “Siècle” dédiée au 20ème siècle pourrait prendre les choses de haut. Il n’en est rien. Follett est demeuré un homme simple qui aime l’humour, les livres, et les “bonnes histoires“. De bonne histoire, d’ailleurs, il en a écrit une “Le Crépuscule et l’aube” qui se passe à la fin du “Dark âge” le pré Moyen-Age dans la période anglo-saxonne. Elle précède de quelques années la période des “Piliers de la terre” et de la saga Kingsbridge qui s’étend, elle de 1123 à 1620. C’est une histoire comme Follett les aime, avec des rebondissements, des tensions entre les personnages et de l’histoire avec un grand H. Dans notre discussion Zoom, il fut évidemment question de cela, mais aussi de Trump, du féminisme, de l’État de droit et de littérature.
Pourquoi avoir choisi ce titre “Le crépuscule et l’aube” ?
Ken Follett : Le titre anglais “The Evening and the morning” est un passage de la genèse “Ainsi, il y eut un soir, et il y eut un matin : ce fut le premier jour”. Je trouve que le titre, en Français est encore plus poétique et dit bien ce que j’ai raconté. Ainsi, la raison est simple : je trouvais que cela disait bien ce que le livre raconte à savoir la fin du “Dark Age” et ce que nous appelons la période anglo-saxonne. Ce moment où l’Angleterre doit faire face à des attaques de Gallois à l’Ouest et de Vikings à l’Est. La culture anglo-saxonne est en train de se terminer, le chaos est présent. Ce sont dans ces moments de bascule que les tensions se nouent et sont passionnantes pour le romancier et a fortiori pour chacun et chacune d’entre nous. Entre le crépuscule et l’aube, tout est possible, finalement.
Vous le disiez cette période est une période très troublée où la loi du Talion est présente et où les bouleversements sont nombreux. Pourquoi avoir choisi de la raconter ?
Ken Follett : Parce qu’elle est passionnante historiquement et également d’un point de vu littéraire. Elle regorge de points de tensions, de frictions, d’affrontements. Pour un romancier, et donc pour un lecteur, c’est idéal. A cette fin du haut-moyen âge, l’Etat de droit n’existe pas. Quelques hommes au pouvoir exercent la justice au gré de leur caprice et cela crée le chaos et les tensions. C’est à cet endroit que mes trois personnages Edgar, Ragna et Aldred vont s’insérer et se croiser. La base d’un roman, c’est le conflit et les tensions. Sans elles, le lecteur s’ennuie vite. Ici, nous sommes servis. Ce qui me plaît aussi dans cette période, ce sont les résonances effrayantes avec notre monde.
Les résonances avec notre monde ?

Crédit Olivier Favre
Ken Follett : Oui, parfaitement. J’ai 70 ans et depuis que je suis en âge de comprendre le monde, il a toujours été question de la progression de l’État de droit, de cette idée selon laquelle bon an mal an plus nous avancions, plus l’humanité allait adhérer au principe de justice et de régulation par le droit accepté par tous. Et puis, petit à petit, les choses ont changé. D’abord avec George W Bush, mais aussi et surtout depuis que Donald Trump a été élu aux États-Unis. Cela est vrai également en Pologne. C’est très inquiétant. Pour la première fois dans toute ma vie, j’ai l’impression que le droit et la justice régressent à cause de l’action des hommes qui n’y croient plus et font passer leurs passions avant. Cela entre donc forcément en résonance avec notre histoire du “Crépuscule et de l’aube” où la passion règne, où le droit n’existe pas et où le chaos l’emporte. Je ne m’étais pas rendu compte de telles résonances quand j’ai commencé à travailler sur cette histoire.
Comme pour chacun de vos romans, vous avez réalisé de très nombreuses recherches historiques. Comment avez-vous fait pour cette période lointaine où les sources ne sont pas très nombreuses ?
Ken Follett : C’était en effet plus difficile car il existe peu d’écrits. De plus leurs constructions étaient pour la plupart en bois et ont disparu depuis longtemps. Toutefois, je suis allé à Stow, un village reconstitué tel qu’il était à l’époque ; j’ai passé beaucoup de temps au musée des navires Vikings d’Oslo où il y a des informations sur la période. Par ailleurs, au Trinity College de Dublin il y a un livre qui s’appelle « The Book of Kells » qui est l’un des témoignages de la situation de l’époque. Enfin, j’ai aussi pu bénéficier des « strip cartoons » de l’époque.
Des « strip cartoons » de l’époque ?
Ken Follett : Oui, les tapisseries de l’époque sont comme des strip cartoons. Je suis allé à Bayeux pour voir la tapisserie de l’invasion normande de l’Angleterre. Elle regorge de détails sur les coutumes et la façon dont les hommes de l’époque vivaient. C’est fantastique. Cela d’autant plus qu’il en existe une copie dans le Musée Reading de Londres. Voilà, en gros, comment je me suis documenté.
Parlez-nous de Ragna, l’héroïne de votre roman. Elle est passionnante et étonnamment très actuelle …
Ken Follett : Oui elle l’est car c’est une rebelle. Si vous voulez écrire un bon roman, il vous faut de bons personnages et les rebelles le sont toujours car ils créent des tensions. Ragna est une femme remarquable, elle aime chasser, elle aime être libre et affirmer ce qu’elle désire. Elle est inspirée de Emma de Normandie qui s’est mariée avec deux rois d’Angleterre, qui a tout fait pour conquérir du pouvoir et rester celle qu’elle voulait être : c’est-à-dire : l’un des centres du pouvoir. Elle est aussi issue des femmes croisées lorsque j’étais étudiant dans les années 60/70 et que les féministes étaient les filles qui nous plaisaient le plus. Parce qu’elles étaient rebelles, parce qu’elles aimaient la politique et qu’elles savaient ce qu’elles voulaient. Comme Ragna, elles brisaient les règles et voulaient en créer d’autres, plus justes, en accord avec cette idée que je chéris du principe de justice.
Vous parliez tout à l’heure de résonance de cette période avec la nôtre, d’autres choses vous ont-elle frappé ?
Ken Follett : Peut-être le rapport que l’on entretient avec la science et la vérité. A cette période du Dark Age, on faisait beaucoup appel à l’Église pour régler les problèmes de la mort. Les prêtres étaient réputés pour posséder des remèdes. Évidemment, on s’est vite aperçus que les morts étaient toujours présentes. L’Église n’a jamais été bonne en médecine (rires). En se rendant compte de cela, on a étudié et cela a conduit à l’avènement de l’une des plus belles des choses dans l’histoire humaine : la philosophie des Lumières qui a libéré les hommes. Cela résonne avec ce que nous vivons. Les croyances ne font pas bon ménages avec la science. Ce qui est surprenant c’est qu’aujourd’hui, une croyance est présentée comme l’équivalent de la science et de faits établis. Un peu comme lors du Dark Age où notre connaissance n’était pourtant pas ce qu’elle est aujourd’hui.
Comment définiriez-vous le rôle d’un romancier ?
Ken Follett : Je ne suis pas plus intelligent que mes lecteurs. Ainsi, je ne crois absolument pas que mon rôle soit de donner des leçons. Le rôle du romancier est de raconter des histoires et de permettre aux lecteurs de se mettre dans l’esprit de quelqu’un d’autre qui vit une réalité différente, dans une époque différente. Lire des romans, c’est comprendre les autres. Lire des romans donne aux lecteurs des pouvoirs magiques et essentiels : celui de comprendre l’Autre dans sa complexité. Le rôle du romancier est de faire en sorte que tout cela s’agence de la meilleure des façons.
Quel lecteur êtes-vous ? Quels sont les auteurs que vous aimez ?
Ken Follett : J’écris les livres que j’aime lire. Un bon roman c’est un roman où il y a une intrigue. C’est un roman où il y a des rebondissements, des conflits qui trouvent une issue à la fin et où finalement, le lecteur ne s’ennuie pas. Sinon, comment lutter avec les mots contre le monde de l’image ? Le miracle du roman c’est quand le lecteur pleure, a peur et est submergé des émotions que vivent les personnages.
C’est cela aussi que j’aime lire. Mais je ne lis pas tellement de littérature contemporaine. Je lis beaucoup les romanciers de l’époque victorienne. Dickens est l’un de mes auteurs préférés. J’aime aussi Balzac, Hugo et Zola pour leur talent à décrire une épique et un monde. Le leur. De chez vous, j’aime beaucoup le Comte de Monte-Cristo d’Alexandre Dumas qui est pour moi un sommet du roman d’aventures initiatiques. J’aime notamment la lettre que Dantès envoie à Morell avec le fameux “attendre et espérer.
Bret Easton Ellis dans un essai récent a déclaré que la forme romanesque était une forme dépassée. Qu’en pensez-vous ?
Ken Follett : J’ai envie de demander confraternellement ce qu’il en sait, lui, de la forme romanesque ? L’homme aime trop les histoires pour ne plus en lire si elles sont bien construites.
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