Le député LR du Lot, Aurélien Pradié, a été sous le feu des projecteurs ces dernières semaines avec le débat sur les retraites. Le temps d'un moment suspendu, il a reçu Guillaume Gonin dans la magistrale bibliothèque de l'Assemblée nationale. De la BD, Jack London et François Cheng sont au menu. Avec aussi Jean d'Ormesson et Jacques Chirac. Rencontre.
Photos Cyril Jouison
Les mots sont à demi-chuchotés. Si la retranscription n’en sera guère facilitée, ils se prêtent à l’atmosphère feutrée des lieux, entre tapis fleuris et boiseries vernies, nimbée du halo vert des lampes de notaire. Un décorum qui en viendrait presque à nous faire oublier l’essentiel – les livres. En reliure cuir et or, certains sont rangés dans des tiroirs aux étiquettes défraîchies ; d’autres reposent dans des consoles vitrées ou garnissent les rayonnages montant jusqu’aux rambardes périphériques, couleur acajou, auxquels on accède par échelle ou d’introuvables escaliers.
Veillés par d’augustes bustes républicains, sous les coupoles peintes, ils sont le trésor de ce temple de lecture – scène rêvée pour notre chronique, dont le député LR du Lot, Aurélien Pradié, est aujourd’hui l’acteur principal.
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Comment les livres vous sont-ils venus ?
Aurélien Pradié : De l’enfance. Très tôt, j’ai été habitué à l’objet du livre. Je viens d’une famille où il y en avait toujours, sans que mes parents ne soient de grands lecteurs pour autant. Les livres étaient posés sur les tables basses, pas toujours bien rangés dans les bibliothèques. Mon premier rapport était donc le toucher, expliquant peut-être mon incompatibilité avec les tablettes… Je ne lis que sur papier. Ensuite, ce rapport s’est étoffé durant mes études, à la fac, même si je n’y ai pas passé un temps extraordinaire ... Durant cette période, j’ai lu des livres qui m’étaient imposés, ce que je n’ai pas aimé faire – vraiment pas ! Souvent, plus tard, j’ai relu des livres auxquels je n’avais pas été réceptif au lycée. D’ailleurs, cela m’arrive assez souvent de ne pas avoir de réaction immédiate à la lecture d’un livre, mais qu’un sentiment plus profond renaisse plus tard, positif ou négatif. Reste que les fiches de lecture étaient pour moi quelque chose d’épouvantable… Comment résumer un livre, son ambiance, son monde, ses sensations ? C’est trop froid, trop technique, enlevant une part si essentielle, celle de la subjectivité. Je déteste l’idée de standardiser la lecture.
Et dans votre parcours politique ?
Aurélien Pradié : Les livres sont aussi devenus un outil de structuration de ma pensée politique, de compréhension historique, une forme d’intelligence et de perception. Pour autant, je n’aime pas les livres politiques. Certains sont peut-être passionnants et bien écrits… Mais je n’aime pas ça ! Si un jour je cède moi-même à la tentation d‘un livre politique, j’espère me souvenir qu’il devra être le moins politique possible. D’abord humain. Politique ensuite, nécessairement.
Même les mémoires ?
Aurélien Pradié : C’est différent. Ma préférence va aux mémoires qui n’étaient pas forcément écrits dans une optique de publication. Par exemple, chez Georges Pompidou, ses « Notes, carnets et portraits », dont la vocation initiale n’était pas d’être lus. On y retrouve le soin des mots à travers une écriture continue, au fil des années. Président de la République, on découvre qu’il écrit une lettre manuscrite d’une dizaine de pages à son ministre de l’Aménagement du territoire pour évoquer l’entretien des bords de route, refusant l’abattage massif des platanes qui structuraient nos voies nationales. L’écriture était un effort, on s’y plongeait, comme en enfilant un costume ; on n’écrivait pas sur un coin de table, comme les textos aujourd’hui, en se brossant les dents. Ce que je n’aime pas, ce sont des livres politiques qui ne racontent rien, qui sont de purs exercices de style et de petite vanité. En vous le disant aussi clairement, j’espère me vacciner moi-même.
Et aujourd’hui ?
Aurélien Pradié : Mon rapport au livre a évolué. J’ai du mal avec les romans, mais je le sais. J’en ai d’ailleurs amené très peu pour notre rencontre… J’ai du mal à me plonger dans un imaginaire absolument total. Les livres vers lesquels je me tourne spontanément sont ancrés dans le réel. Par exemple, je n’arrive pas à lire de romans policiers, je n’en capte pas l’intérêt. Science-fiction, c’est encore pire… J’ai besoin de trouver dans le livre quelque chose qui me construit. Parce que je n’ai pas encore atteint une parfaite maturité, peut-être n’ai-je pas encore compris que le simple plaisir de lire pouvait me construire ! Mais je me vois évoluer à travers les livres. Par exemple, j’ai découvert les BD récemment. Je n’y étais pas hypersensible, j’avais toujours eu l’impression de les survoler, de passer à côté de quelque chose.
Vous qui n’étiez pas réceptif aux lectures imposées, comment choisissez-vous vos livres ?
Aurélien Pradié : Souvent, ce sont des conseils, des rencontres, un intérêt pour un domaine. Parfois, c’est le simple hasard. J’ai commencé à lire Erik Orsenna lorsque je me suis intéressé à la question de l’eau, par exemple, alors que je le connaissais peu. A d’autres moments, je vais lire par mimétisme, dans le sens où je me tourne vers des livres qui ont nourri des femmes et des hommes que j’admire. Souvent, ce sont des rencontres très marquantes. Avant d’être une passion personnelle, j’ai dévoré des livres sur les Arts premiers pour mieux comprendre Jacques Chirac, pour qui c’était une passion profonde. Puis les Arts premiers sont devenus mon affaire intime, oubliant le mimétisme qui m’y avait conduit. Comme une transmission.
Qu’est-ce qui vous liait à Jacques Chirac ?
Aurélien Pradié : Au départ ? Rien. Je ne viens pas d’une famille politisée. Mais mon grand-père était Corrézien, donc on parlait de Chirac à la maison de manière assez irrationnelle. C’était « le grand Jacques ». J’ai été bercé par ça. Quand j’étais gamin, Chirac, c’était Batman, quelque chose d’un peu mythique, d’assez dépolitisé. C’est propre à ma génération, je crois, celle qui n’a pas connu les années 1970 ou 1980… Président, je l’ai suivi de loin, en grandissant moi-même politiquement. Je me suis d’autant plus intéressé au personnage que les gens me disaient qu’il n’y avait rien à trouver politiquement chez lui ! Et puis, quand on s’intéresse à Chirac, on s’intéresse à Pompidou… L’image de Jacques Chirac qui pleure aux obsèques de Pompidou est très forte, on comprend toute la puissance d’un lien quasi-filial. Et, en lisant Pompidou au fil des années, j’ai compris qu’il y avait, là, une vraie pensée structurée dont Jacques Chirac était l’héritier.
… Et les Arts premiers, donc.
Aurélien Pradié : Oui, je me demandais comment un type qu’on disait amateur de fanfare militaire et de bière pouvait regarder avec fascination des statuettes océaniennes auxquelles je ne comprenais rien. Pudique, Chirac avait une culture du secret et de l’intime, qui ont disparu de notre vie politique, et qui expliquent une part du respect des Français à son égard. J’ai donc commencé à lire sur les Arts premiers, encore et encore. Au départ, je n’y comprenais absolument rien ! Ce sont des livres extrêmement techniques. Et puis, après une première lecture approximative, à force de fréquenter le musée du Quai Branly, d’éduquer mon regard, en les relisant, j’ai appris à les considérer comme des manuels. Mais ces livres m’ont aussi permis de comprendre pourquoi Jacques Chirac s’était opposé à la guerre en Irak, en partie parce qu’il considérait qu’on ne bombardait pas le berceau de l’humanité, la Mésopotamie.
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