Ancien ministre de Jacques Chirac et de Nicolas Sarkozy, Dominique Bussereau accueille Guillaume Gonin dans sa bibliothèque…ou plutôt dans son musée Tintin ! Mille sabords !
Photos Patrice NORMAND
A quelques mois près, nous aurions pu discuter face à la mer, dans son bureau de président du département de la Charente-Maritime. Quelques années auparavant, il m’y avait reçu. Le ciel était gris et bas, mais le cadre était inspirant. D’un côté, un océan Atlantique agité nous menaçait ; de l’autre, des figurines de Tintin savamment disposées nous guettaient depuis des étagères. « Passionné ? », lui avais-je alors demandé. « Mieux que cela, j’ai été pendant des années président des Tintinophiles de l’Assemblée nationale », m’avait-il répondu, malicieux. Affaires courantes obligent, nous étions vite passés à autre chose – mais je conservais précieusement cette information dans un coin de mon esprit.
Un café tiède à la main, je raconte ainsi la genèse de l’entretien du jour à Patrice, mon complice photographe, tandis que nous gravissons les marches de l’immeuble parisien de notre hôte. Quelques jours auparavant, jeune retraité de la politique – il quittait le pouvoir en juin dernier –, Dominique Bussereau avait accepté ma proposition d’une « Bibliothèque des politiques » consacrée à sa passion pour Tintin. J’en fus doublement heureux. D’abord, sa liberté de ton, sa finesse et son humour font de l’ancien ministre de Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy un homme au commerce des plus agréables ; il nous réserve d’ailleurs un accueil chaleureux, s’excusant presque que son musée Tintin ne soit pas plus garni, l’essentiel se trouvant en Charente-Maritime. Heureux ensuite, parce que, depuis la création de cette chronique, j’entretenais l’espoir de telles bibliothèques hors-série, autour d’un auteur ou d’un personnage. Or, quoi de mieux pour commencer que le célèbre reporter d’Hergé, dont les aventures éveillent toujours l’imagination de générations entières ? Cette première incursion thématique en appellera peut-être d’autres ; les passions de mes invités en décideront.
Celle de Dominique Bussereau pour Tintin est, elle, flagrante. Alors que nous nous installons dans un salon lumineux, les bruits étouffés du boulevard Raspail en fond sonore, il s’excuse presque de ne pas disposer de plus d’albums et de pièces de Tintin, l’essentiel de sa collection se trouvant en Charente-Maritime. La créature d’Hergé est pourtant omniprésente ; sa demeure charentaise doit être un véritable musée.
Reste que la discussion s’engage là où nous l’avions laissée, à La Rochelle, avant la pandémie. Quel plaisir que celui d’approfondir un tel sujet en compagnie d’un tel interlocuteur. Qui n’a jamais pensé, au détour d’une conversation trop brève : « j’aurais aimé avoir le temps d’évoquer ceci ou cela » – tout en se doutant qu’une telle opportunité ne se présenterait jamais ? C’est ma chance, sur Ernest, que de les rendre possible.
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Dominique Bussereau, vous avez été ministre, président de l’association des départements de France, président de la Charente-Maritime, député ou encore président des jeunes giscardiens, mais le titre qui m’intéresse ce matin est celui de président des Tintinophiles de l’Assemblée nationale. Est-ce la bonne dénomination ?
Dominique Bussereau : Je crois, oui. Plus précisément, président des Tintinophiles du Parlement. Un jour, dans le bureau de tabac et de presse de l’Assemblée – cela existait encore ! –, un jeune assistant parlementaire portait un badge Tintin. Cela m’amusa, et nous avons ainsi entamé la discussion. Et puis, en parlant, nous avons eu l’idée de créer une amicale. Nous avons donc préparé un courrier destiné à tous les députés, et cela a été un succès car, sur les 577 élus, nous avons obtenu plus de cent réponses – soit presque le premier groupe d’amitié de l’Assemblée nationale !
Comment ce succès s’est-il traduit en actes ?
Dominique Bussereau : Nous avons organisé une visite du château de Cheverny, grâce à mon collègue député élu de cette circonscription. Puis, nous avons organisé un premier colloque à l’Assemblée nationale autour du thème : « Tintin est-il de gauche ou de droite ? » J’ai demandé à quelques collègues dotés d’un sens de l’humour d’intervenir : André Santini pour les centristes, le diplomate Didier Quentin pour les gaullistes, Yann Galut pour les socialistes, ou encore Jean-Marie Bockel. Et puis c’est monté en puissance ! La BBC nous a demandé de venir avec un chien dénommé Tintin. Les chiens étant interdits à l’Assemblée nationale, j’ai obtenu de Laurent Fabius, président de l’Assemblée à l’époque, une dérogation spéciale. Le texte qu’il avait préparé pour le colloque, que j’avais lu en ouverture, était très drôle. La salle était archi-bondée, avec la présence de l’Ambassadeur de France en Belgique et de l’Ambassadeur de Belgique en France, ainsi que Fanny Hergé et son mari, sans oublier les télévisions du monde entier, dont CNN. J’avais rarement vu autant de journalistes au Palais Bourbon ! Tout cela était très largement improvisé, et on s’est beaucoup marré.
Quelle suite avez-vous donné à cette émulsion ?
Dominique Bussereau : Quand je suis devenu ministre, je n’avais plus le temps de m’en occuper. Mais, en 2010, de retour à l’Assemblée nationale après avoir occupé plusieurs fonctions au Gouvernement, j’ai repris mon poste et nous avons organisé un nouveau colloque : « La guerre va-t-elle éclater entre la Bordurie et la Syldavie ? » J’eus l’idée de faire un partenariat avec la chaîne parlementaire (LCP), qui a organisé des faux-directs, des journalistes annonçaient l’imminence de la guerre devant les bâtiments du palais de Chaillot, dont le style années 1930 évoquait la Bordurie. Parmi les participants, il y avait Hubert Védrine, l’Ambassadeur d’Allemagne en France qui expliquait que Nicolas Sarkozy et Angela Merkel étaient très attachés à éviter le conflit armé – ce que la presse allemande n’a pas trouvé très drôle –, un ancien chef d’Etat-major des armées qui décrivait les forces en présence à l’aide de cartes. Le clou du spectacle a été l’arrivée du secrétaire général du Quai d’Orsay, que j’ai interpellé : « Êtes-vous en possession de nouveaux éléments ? » Il s’est pris au jeu, montant sur scène … Ce fut un moment très drôle, mais beaucoup moins médiatisé. Et, depuis que j’ai quitté l’Assemblée nationale, je constate, hélas, que personne n’a repris le flambeau.
“Chacun de nous a son Tintin”
Une résolution de l’Assemblée nationale a-t-elle décrété si Tintin était de gauche ou de droite ?
Dominique Bussereau : (Rires) Ce qui était drôle est que chacun vivait son Tintin. Certains nous expliquaient qu’il était de gauche parce que c’était un redresseur de torts, généreux, le défenseur du petit Tchang, de la veuve et l’orphelin. D’autres que c’était un gaulliste, capable de résister aux obstacles, de revenir sur le devant de la scène. D’autres, enfin, qu’il était centriste, parce que lisse et consensuel … Nous en avons fait un livre, avec des textes d’Alain Duhamel ou Hélène Carrère d’Encausse. Bref, cette expérience m’a follement amusé, me permettant notamment de faire un tas de déplacements en France et de parler de Tintin, soit autant de moments agréables.
Cette passion provient-elle de l’enfance ?
Dominique Bussereau : Figurez-vous que ma mère était bibliothécaire. Quand je revenais du collège et du lycée, je révisais mes cours dans la bibliothèque. Une fois terminé, j’allais chercher des bandes dessinées et des bouquins. C’est comme ça que j’ai dévoré tout un tas de trucs …
Et, à cette époque, Tintin était celui qui faisait voyager ceux qui ne voyageaient pas. Mes parents étaient cheminots, on voyageait en France, un petit peu en Europe grâce au train. Mais nous n’avions pas les moyens d’aller plus loin. Tintin m’a fait découvrir l’Amérique, l’Inde, la Chine, l’Amérique du Sud. Bref, Tintin faisait rêver !
Quels sont les Tintin que vous affectionnez le plus ?
Dominique Bussereau : J’aime plutôt les aventures de Tintin avec de l’humour et un scénario plus étoffé. Par exemple, j’apprécie moins l’histoire de la pie voleuse dans « les Bijoux de la Castafiore » : c’est amusant, mais je trouve qu’il ne se passe rien.
Quel serait votre préféré ?
Dominique Bussereau : « L’affaire Tournesol » ! Il y a une histoire d’espionnage, l’intrigue se déroule dans des lieux réels, comme à la gare Cornavin de Genève, sur les bords du Lac Léman, il y a des personnages haut en couleur, on retrouve la Bordurerie imaginaire aussi … Et puis, c’est vraiment une histoire politico-diplomatique. Enfant, lors d’un séjour dans le Jura suisse, je me souviens avoir visité la gare Cornavin : j’avais l’impression d’y être déjà allé ! Il en va ainsi, on visite parfois des lieux découverts par Tintin.
“Tintin faisait voyager ceux qui ne voyageaient pas”
Tintin fut-il évocateur d’une vocation, par exemple une curiosité vers le monde ?
Dominique Bussereau : Ça, c’est clair ! Étudiant, à la sortie de Sciences Po, j’ai longtemps hésité entre le journalisme, faire l’ENA ou entrer en politique, qui était ma passion depuis ma petite adolescence. Ce que je cherchais était un métier où l’on puisse s’intéresser à tout, ne pas s’enfermer dans un corset toute sa vie. Et je trouvais que ces trois métiers-là le permettait. Haut-fonctionnaire, j’aurais aimé entrer dans le corps préfectoral ou diplomatique. Journaliste, je me serais certainement orienté vers le journalisme politique ou économique.
Et puis, j’ai finalement eu la chance de mener une carrière publique comme homme politique, et donc d’occuper à peu près toutes les responsabilités. Or, c’est ce que j’appréciais dans Tintin, ce côté touche à tout, ce côté découverte et générosité, et un peu d’Histoire. On y retrouve la création d’Israël, les incidents entre le Japon et la Chine … Par exemple, chaque fois que je me suis rendu en Chine, j’ai repensé aux images de « Tintin au Tibet », les trains. Tintin, c’était vraiment l’ouverture sur le monde.
Adulte, des figures réelles ont-ils pris le relais de Tintin à vos yeux, comme Joseph Kessel par exemple ?
Dominique Bussereau : Plutôt que Kessel, j’ai été marqué par Henri de Monfreid, l’explorateur un peu bandit, qui avait arpenté l’Éthiopie. Mais, très vite, j’ai été fasciné par les politiques. J’ai grandi pendant la guerre d’Algérie, que je suivais à la radio. Je lisais des dizaines et des dizaines de livres sur la Seconde guerre mondiale, qui est une période qui me passionne. Par exemple, le personnage du général Leclerc suscitait en moi une profonde admiration.
Vous n’avez donc jamais trouvé votre Tintin incarné ?
Dominique Bussereau : Non, non … (Un temps de réflexion) Quand mes parents ont acheté la première télévision, dans les années 1960, je découvrais les grands présentateurs de l’unique chaîne, comme pendant les Jeux Olympiques de Tokyo de 1964. Nous avions là des personnages étonnants, conne Léon Zitrone, François Gerbaud ou Georges de Caunes.
Ces grands reporters télévisuels m’intéressaient beaucoup, ainsi que certains de mes professeurs à Sciences Po qui étaient aussi journalistes à leurs heures perdues, comme Alfred Grosser.
Que représente, pour vous, le personnage de Tintin ?
Dominique Bussereau : Je n’ai jamais été scout, car pas très sportif, mais Tintin est à la fois le boy-scout, le justicier, le voyageur … Et puis j’adorais tous les seconds rôles, du Capitaine Haddock aux frères Dupond et Dupont, en passant par Nestor et Tournesol. D’ailleurs, une anecdote très drôle : en visitant le château de Cheverny, un appel téléphonique de la boucherie locale m’avait alors rappelé les appels de la Boucherie Sanzot … Les connaisseurs apprécieront ! (Rires)
Tintin et son univers vous ont-ils permis de tisser des liens inattendus dans le monde politique, en France ou ailleurs ?
Dominique Bussereau : J’ai découvert un grand nombre de Tintinophiles au sein de la classe politique française. Aussi, certains de mes collègues au Gouvernement connaissaient mon attachement à Tintin et m’en parlaient, comme Xavier Darcos et Valérie Pécresse. A l’étranger, assez peu finalement, sauf en Allemagne peut-être. C’est quand même un monde très européen ! D’ailleurs, le saviez-vous ? Il n’y a que deux représentations de la France dans Tintin. Car on se doute qu’il travaille à Bruxelles et on sait que Moulinsart est en Belgique, grâce aux trains et aux uniformes belges. Mais en France, on le voit dans le port de La Rochelle, à la recherche d’un bateau parti en Amérique du Sud, et Saint-Nazaire, où il embarque. Ce sont les deux exceptions françaises ! D’ailleurs, à Saint-Nazaire, ils ont fait un très joli musée, où les élèves d’un lycée technique ont reproduit le sous-marin dans Rackham le rouge …
Après le succès des deux premiers, quel serait le thème d’un troisième colloque consacré à Tintin ?
Dominique Bussereau : Si on veut se fâcher définitivement avec les Chinois, on peut faire Tintin au Tibet. Mais c’est politiquement incorrect. On pourrait aussi aborder l’Histoire du colonialisme à Travers les aventures du Tintin, mais aussi la révolution de 1917, la guerre chino-japonaise, ou encore les premiers affrontements entre Israéliens et Palestiniens.
« Tintin, chroniqueur du siècle » ?
Dominique Bussereau : Oui, c’est cela. Le siècle de tous les dangers, à travers Tintin. On pourrait y faire intervenir des historiens, des spécialistes de cette période. Mais il faudrait trouver le lieu pour le faire ! L’Assemblée nationale n’a pas la tête à cela. L’association « les Tintinophiles du Palais de Justice » ont organisé des débats avec des magistrats, ce sont de véritables férus de Tintin, qui vont jusqu’à compter les marches de Moulinsart pour relever les erreurs d’Hergé !
Avec eux, nous avions le projet de faire le procès de Rastapopoulos. Je vais essayer de les relancer, avec de vrais avocats et magistrats, des témoins. Le problème, c’est que personne ne voulait jouer Rastapopoulos ! (Rires) On peut s’amuser autour de Tintin à l’infini, parce qu’on trouve des thèmes accessibles.
Plus que Blake et Mortimer, par exemple ?
Dominique Bussereau : Oui, c’est plus facile je trouve. Mais je suis également passionné par Blake et Mortimer, comme Hubert Védrine d’ailleurs, dont le livre écrit avec son fils sur Olrik est génial ! J’en ai beaucoup discuté avec lui. Sur Tintin, il existe une littérature énorme, avec des livres de psychanalyse très poussés ; certains sont très drôles, d’autres sans intérêt aucun. Nous avions réalisé une exposition consacrée à Tintin et aux bateaux au Musée de la Marine, puisqu’Hergé était venu faire des croquis dans ce musée. Au vernissage, nous avions fait l’apéritif avec du Loch Lomond, qui était le whisky de Tintin ! Enfin, plutôt du Capitaine Haddock. Même Milou en boit lors d’une course poursuite.
Après Hubert Védrine et son Olrik, à quand la biographie interdite de Rastapopoulos par Dominique Bussereau ?
Dominique Bussereau : Écoutez, maintenant que j’ai arrêté la politique depuis deux mois, plein d’amis me poussent à écrire ! J’y réfléchis, mais il y a tellement de livres et articles sur Tintin, y compris bien écrits. C’est terrifiant ! Grand amateur de biographie, j’écrirais plutôt une biographie, quitte à trouver le personnage sur lequel je serais enclin à faire des recherches … Mais, sur Tintin, je dois avoir entre 30 et 50 bouquins : tant de choses ont déjà été écrites.
Tintin a-t-il constitué un point d’entrée pour vous dans le monde de la bande dessinée en général, ou est-ce resté tout à fait à part dans votre esprit ?
Dominique Bussereau : Je suis un adepte des BD à l’ancienne, dans le style « Ligne Claire » : Tintin, Blake et Mortimer, Astérix, Lucky Luke … Je suis resté très classique dans mes goûts. J’ai dû relire 200 fois l’opération Espadon de Blake et Mortimer. Comme dans Tintin, ou Balzac, on retrouve toujours des détails qui nous ont échappé. Une scène, un sourire, un détail, la BD s’y prête particulièrement.
Que pensez-vous des nouveaux Blake et Mortimer, repris par des auteurs contemporains ?
Dominique Bussereau : Ceux qui versent dans l’ésotérisme m’ennuient un peu. Les histoires d’Horus et de Science-Fiction, bof … Je préfère une bonne histoire policière qui se passe en Ecosse ! (Rires)
J’aimerais parler d’écriture. Vous avez effectué vos premiers pas en politique dans le cabinet de Michel Poniatowski sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, que vous avez ensuite accompagné lors de sa campagne de 1981. A cette époque, leur écriviez parfois des discours ?
Dominique Bussereau : Cela m’est arrivé, oui, entre 1976 et 1979. Mais je n’ai jamais aimé ça. Et moi-même, quand j’étais ministre, je détestais qu’on m’en écrive. Je préférais qu’on me prépare des plans détaillés. Je n’écris jamais mes discours à l’avance : je m’imprègne, je prends quelques notes, mais je ne lis pas, sauf situation exceptionnelle ou circonstance pénible. Dans ce cas-là, il vaut mieux écrire pour éviter de se laisser emporter par l’émotion et respecter le protocole républicain. Mais c’est peut-être pour cela que j’ai du mal à me mettre à écrire, alors que j’adore lire, j’ai toujours trois ou quatre livres ouverts en même temps. J’ai un peu peur de me lancer dans l’écriture, du temps que ça va me prendre. Et, donc, du résultat ! Et puis, écrire un énième livre politique … J’hésite un peu à me lancer.
D’où l’intérêt d’un livre inattendu sur Tintin …
Dominique Bussereau : Oui, ou un roman policier qui s’inspirerait du monde politique. Mais je n’y suis pas encore arrivé.
“J’ai été très marqué par Giscard… Mitterrand est un personnage fascinant”
Quelles sont vos grandes références, littéraires et politiques ?
Dominique Bussereau : Hors de France, Churchill, évidemment. De Gaulle, même si je suis plus gaullien que gaulliste. Et puis, j’ai tout de même été très influencé, très marqué par Giscard. C’est par lui que je me suis engagé en politique, j’ai été son collaborateur, je suis aujourd’hui vice-président de sa Fondation. Jacques Chirac, je l’ai détesté lorsqu’il a fait battre Giscard en 1981, mais une fois l’hostilité et l’esprit de vengeance apaisés, j’ai découvert une personnalité extrêmement attachante.
J’avais beaucoup de respect pour François Mitterrand, aussi, non pas d’un point de vue politique, mais du point de vue de son attachement au terroir, à la Charente, aux paysages. Il faisait venir par avion des fromages charentais … Sans être mitterrandien, c’est un personnage fascinant, j’aimais ses multiples vies.
Les livres ont-ils joué un rôle dans votre relation à ces hommes politiques ? Un livre offert, des lectures partagées ?
Dominique Bussereau : (Un temps de réflexion) Non … Si vous voulez, il ne pouvait y avoir de familiarité avec Giscard. Jusqu’à l’année passée, date de la dernière assemblée générale de sa fondation, nous parlions beaucoup d’Europe et de politique, peu du reste.
Pourriez-vous nous décrire la relation qui vous liait à lui ?
Dominique Bussereau : J’ai été président des jeunes giscardiens, son collaborateur pendant la campagne présidentielle de 1981. Lui président de l’UDF, je me suis toujours trouvé dans sa ligne politique : libéral, européen, de centre-droit. C’est son engagement européen qui m’a le plus convaincu. Je reste d’ailleurs très passionné par les questions européennes. Ensemble, nous avons donc énormément abordé ces sujets. Mais ces dernières années, lorsque j’allais lui rendre visite, rue de Bénouville, nous n’évoquions jamais nos lectures ou les livres. Avec mes amis plus proches, comme Jean-Pierre Raffarin, oui. Notamment les biographies et les livres historiques.
Avez-vous une période historique de prédilection ?
Dominique Bussereau : Le XXème et le XIXème siècle. Si vous voulez, je m’arrête à peu près à la Révolution. La Renaissance ou le Moyen-Âge ne m’enchantent guère.
Et les romans ?
Dominique Bussereau : Je n’en lis pas énormément, ce qui est certainement une grande faiblesse. J’essaie, je me rends régulièrement chez Gallimard – mais je repars toujours avec une biographie sous le bras ! Tout comme les livres politiques, j’en lis désormais très peu. J’en ai pourtant des centaines et des centaines ici, souvent dédicacés …
Je pense à un livre qui mêle politique et Histoire : « La diplomatie n’est pas un diner de gala », de Claude Martin. L’avez-vous lu ?
Dominique Bussereau : Absolument ! Je l’aime beaucoup, voilà un livre qui m’a passionné. Et qui est un vrai livre de souvenirs parce qu’on y apprend des choses. Ce n’est pas le type qui raconte sa vie et son œuvre pour le plaisir de se mettre en avant. Il relate des moments essentiels de l’Histoire, et notamment de la Chine. Ce livre fait partie de ceux que je souhaiterais relire.
La Chine : une autre découverte grâce à Tintin …
Dominique Bussereau : Tout à fait ! Je m’y suis rendu en 1976 avec Jean-Pierre Raffarin, dont nous avons tiré un bouquin : « La vie en jaune », pas le titre le plus heureux selon les critères actuels … Cette chine de 1976 n’était pas très éloignée de celle de Tintin. Les trains à vapeur, les rues chinoises, les vélos.
On ne voyait passer une voiture ou un camion que toutes les heures. Nous avions mis 24 heures pour traverser la Chine en train à vapeur, de Arbing à Pekin. Ensuite, je n’y suis plus retourné pendant deux décennies. En revenant, je me suis dit que j’avais loupé quelques étapes.
Évoquiez-vous l’Asie avec Jacques Chirac ?
Dominique Bussereau : Il avait une très grande pudeur. Et comme il s’était donné cette image d’histrion amateur de fanfare militaire et de saucisse roborative, il camouflait complètement son rapport à la culture, à l’art. Mais ce rapport était réel, comme Giscard avec la littérature. Chirac vous parlait de politique, il vous demandait des nouvelles parce qu’il s’intéressait vraiment aux familles et aux personnes, il évoquait les gens que nous devions aider, les malades notamment. Et puis, il faut le reconnaître, il adorait les histoires grivoises. A la fin de sa vie, le seul moyen de le détendre, de le faire rire, c’était de raconter une couillonnade.
Vous connaissiez donc les penchants littéraires d’un Chirac, d’un Giscard ou d’un Mitterrand, mais ce n’était pas quelque chose qui pouvait nourrir une relation.
Dominique Bussereau : Non, en effet. Peut-être ma passion en la matière n’était-elle pas assez forte !
En politique, vous n’avez jamais reçu ou offert des livres ?
Dominique Bussereau : Non, ce n’est pas trop le genre, hormis les cadeaux officiels. Vous savez, le monde politique est un milieu assez égoïste. Généreux dans le langage, plus égoïste dans les comportements. Entre vrais amis politiques, on peut se prêter ou s’offrir des livres. Mais ce n’était pas dans l’habitude des grands fauves politiques de se prêter au jeu.
Quel serait le cadre idéal pour écrire et conjurer votre peur de la page blanche ?
Dominique Bussereau : Je suis capable d’écrire partout, en voyageant, dans les taxis. J’ai toujours écrit et pris des notes, quel que soit le lieu. Bien sûr, ma maison en Charente-Maritime, près de l’océan Atlantique, est un lieu de calme et de repos propice à la réflexion. Mais je peux aussi écrire dans une atmosphère fiévreuse ou dans un avion avec un voisin qui regarde un film à côté. L’envie de coucher sur papier vient spontanément, indifféremment du lieu. Avec un stylo ! Et non sur une tablette.
Grand amateur de biographie, sur qui voudriez-vous écrire ?
Dominique Bussereau : J’ai pensé écrire sur Bismarck. C’est un personnage qui me fascine, d’autant que j’admire l’Allemagne et parle l’allemand. Ce serait le genre de biographie que je pourrais écrire, en termes de temporalité, au tournant du siècle passé, avec des grandes conséquences historiques.
Après, bien sûr, des éditeurs m’ont proposé de publier des souvenirs. J’aurais quelques anecdotes marrantes, pour le dire franchement !
Mais je ne voudrais pas en faire un bouquin à ma gloire, ce qui n’intéresse personne, mais plutôt un livre drôle et moqueur …
A la manière de Jean-Louis Debré ?
Dominique Bussereau : Oui, voilà ! Gentiment moqueur. J’ai une foultitude d’anecdotes amusantes sur Giscard, Chirac et Sarkozy, au cœur du Conseil des ministres, en voyage officiel, lors des congrès. Parfois, je ne citerai pas les noms afin de ne pas m’en faire des ennemis définitifs ! Mais, en même temps, en regardant les rayons politiques, je me dis : à quoi bon ? C’est navrant, tout de même.
A vous écouter, j’ai l’impression que l’écriture a quelque chose d’utilitaire chez vous, que vous la distinguez assez nettement de la lecture qui est beaucoup plus associé à du plaisir pur.
Dominique Bussereau : Oui. A ceci près que je lis énormément la presse : je la dévore tous les jours, et j’y prends des informations politiques. Cela représente 5 ou 6 journaux par jour, plus les hebdomadaires nationaux et locaux. Sans oublier la presse étrangère. Et ce, toute ma vie ! Par exemple, il est 12h, et je suis furieux de n’avoir pas encore lu les Échos ! Je suis un vrai maniaque. Et les livres, c’est tout le reste du temps : en voyage, avant de dormir. Je le répète, j’ai toujours plusieurs livres entamés, disséminés.
Êtes-vous attaché au livre comme objet ?
Dominique Bussereau : Pas vraiment. Parce qu’un livre, ça se retrouve. A la limite, peut-être un exemplaire de « Démocratie française » qui m’avait été donné par Giscard, et quelques autres ayant une petite valeur sentimentale …
Mes vieux albums de Tintin, couverts en plastique par ma mère, entrent également dans cette catégorie. Certes, le plastique est affreux, mais il me rappelle ma mère disparue il y a 15 ans ; je ne peux donc me résoudre à les enlever.
Un conseil de lecture, pour terminer ?
Dominique Bussereau : La biographie « De Gaulle, une certaine idée de la France » par Julian Jackson (Frédéric Potier vous en parlait ici). Il est magnifique et différent. Et puis, comme le français Kersaudy avec Churchill, le fait qu’un Britannique écrive sur le Général de Gaulle lui donne tout son sel.
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Quelques hors-pistes pour ce premier numéro spécial, mais nous ne fûmes jamais trop éloignés de notre sujet. Car, outre mes penchants naturels pour les discours et l’écriture, je persiste à croire que ne pas interroger Dominique Bussereau à propos de « ses » grands hommes, entre autres, aurait relevé de la faute. D’autant que nous retombions souvent sur Tintin, à tout le moins ses thèmes. Et puis, le pari de cette chronique a toujours été de dessiner un portrait à travers la lecture, les auteurs et l’écriture ; et pour Tintin, comme pour le reste, les digressions font partie de l’aventure. Les hors-pistes ne mènent-elles pas, elles aussi, en bas de la montagne ?
En nous raccompagnant, Dominique Bussereau nous confie son bonheur à voir sa passion transmise à ses petits-enfants, déjà captivés par les dessins animés – et dont quelques notes du générique suffisent à replonger un grand nombre d’entre nous en enfance. Moi-même fils d’un Tintinophile qui explique volontiers que sa vocation scientifique est due à « Objectif : Lune », je ne peux renier l’aspect héréditaire de Tintin. Pour autant, je ne crois pas que ma propension à jouer le reporter, comme dans cette chronique, me vienne de Tintin. A vérifier, tout de même.