Ancien ministre de Jacques Chirac et de Nicolas Sarkozy, Dominique Bussereau accueille Guillaume Gonin dans sa bibliothèque...ou plutôt dans son musée Tintin ! Mille sabords !
Photos Patrice NORMAND
A quelques mois près, nous aurions pu discuter face à la mer, dans son bureau de président du département de la Charente-Maritime. Quelques années auparavant, il m’y avait reçu. Le ciel était gris et bas, mais le cadre était inspirant. D’un côté, un océan Atlantique agité nous menaçait ; de l’autre, des figurines de Tintin savamment disposées nous guettaient depuis des étagères. « Passionné ? », lui avais-je alors demandé. « Mieux que cela, j’ai été pendant des années président des Tintinophiles de l’Assemblée nationale », m’avait-il répondu, malicieux. Affaires courantes obligent, nous étions vite passés à autre chose – mais je conservais précieusement cette information dans un coin de mon esprit.
Un café tiède à la main, je raconte ainsi la genèse de l’entretien du jour à Patrice, mon complice photographe, tandis que nous gravissons les marches de l’immeuble parisien de notre hôte. Quelques jours auparavant, jeune retraité de la politique – il quittait le pouvoir en juin dernier –, Dominique Bussereau avait accepté ma proposition d’une « Bibliothèque des politiques » consacrée à sa passion pour Tintin. J’en fus doublement heureux. D’abord, sa liberté de ton, sa finesse et son humour font de l’ancien ministre de Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy un homme au commerce des plus agréables ; il nous réserve d’ailleurs un accueil chaleureux, s’excusant presque que son musée Tintin ne soit pas plus garni, l’essentiel se trouvant en Charente-Maritime. Heureux ensuite, parce que, depuis la création de cette chronique, j’entretenais l’espoir de telles bibliothèques hors-série, autour d’un auteur ou d’un personnage. Or, quoi de mieux pour commencer que le célèbre reporter d’Hergé, dont les aventures éveillent toujours l’imagination de générations entières ? Cette première incursion thématique en appellera peut-être d’autres ; les passions de mes invités en décideront.
Celle de Dominique Bussereau pour Tintin est, elle, flagrante. Alors que nous nous installons dans un salon lumineux, les bruits étouffés du boulevard Raspail en fond sonore, il s’excuse presque de ne pas disposer de plus d’albums et de pièces de Tintin, l’essentiel de sa collection se trouvant en Charente-Maritime. La créature d’Hergé est pourtant omniprésente ; sa demeure charentaise doit être un véritable musée.
Reste que la discussion s’engage là où nous l’avions laissée, à La Rochelle, avant la pandémie. Quel plaisir que celui d’approfondir un tel sujet en compagnie d’un tel interlocuteur. Qui n’a jamais pensé, au détour d’une conversation trop brève : « j’aurais aimé avoir le temps d’évoquer ceci ou cela » – tout en se doutant qu’une telle opportunité ne se présenterait jamais ? C’est ma chance, sur Ernest, que de les rendre possible.
* * *
Dominique Bussereau, vous avez été ministre, président de l’association des départements de France, président de la Charente-Maritime, député ou encore président des jeunes giscardiens, mais le titre qui m’intéresse ce matin est celui de président des Tintinophiles de l’Assemblée nationale. Est-ce la bonne dénomination ?
Dominique Bussereau : Je crois, oui. Plus précisément, président des Tintinophiles du Parlement. Un jour, dans le bureau de tabac et de presse de l’Assemblée – cela existait encore ! –, un jeune assistant parlementaire portait un badge Tintin. Cela m’amusa, et nous avons ainsi entamé la discussion. Et puis, en parlant, nous avons eu l’idée de créer une amicale. Nous avons donc préparé un courrier destiné à tous les députés, et cela a été un succès car, sur les 577 élus, nous avons obtenu plus de cent réponses – soit presque le premier groupe d’amitié de l’Assemblée nationale !
Comment ce succès s’est-il traduit en actes ?
Dominique Bussereau : Nous avons organisé une visite du château de Cheverny, grâce à mon collègue député élu de cette circonscription. Puis, nous avons organisé un premier colloque à l’Assemblée nationale autour du thème : « Tintin est-il de gauche ou de droite ? » J’ai demandé à quelques collègues dotés d’un sens de l’humour d’intervenir : André Santini pour les centristes, le diplomate Didier Quentin pour les gaullistes, Yann Galut pour les socialistes, ou encore Jean-Marie Bockel. Et puis c’est monté en puissance ! La BBC nous a demandé de venir avec un chien dénommé Tintin. Les chiens étant interdits à l’Assemblée nationale, j’ai obtenu de Laurent Fabius, président de l’Assemblée à l’époque, une dérogation spéciale. Le texte qu’il avait préparé pour le colloque, que j’avais lu en ouverture, était très drôle. La salle était archi-bondée, avec la présence de l’Ambassadeur de France en Belgique et de l’Ambassadeur de Belgique en France, ainsi que Fanny Hergé et son mari, sans oublier les télévisions du monde entier, dont CNN. J’avais rarement vu autant de journalistes au Palais Bourbon ! Tout cela était très largement improvisé, et on s’est beaucoup marré.
Quelle suite avez-vous donné à cette émulsion ?
Dominique Bussereau : Quand je suis devenu ministre, je n’avais plus le temps de m’en occuper. Mais, en 2010, de retour à l’Assemblée nationale après avoir occupé plusieurs fonctions au Gouvernement, j’ai repris mon poste et nous avons organisé un nouveau colloque : « La guerre va-t-elle éclater entre la Bordurie et la Syldavie ? » J’eus l’idée de faire un partenariat avec la chaîne parlementaire (LCP), qui a organisé des faux-directs, des journalistes annonçaient l’imminence de la guerre devant les bâtiments du palais de Chaillot, dont le style années 1930 évoquait la Bordurie. Parmi les participants, il y avait Hubert Védrine, l’Ambassadeur d’Allemagne en France qui expliquait que Nicolas Sarkozy et Angela Merkel étaient très attachés à éviter le conflit armé – ce que la presse allemande n’a pas trouvé très drôle –, un ancien chef d’Etat-major des armées qui décrivait les forces en présence à l’aide de cartes. Le clou du spectacle a été l’arrivée du secrétaire général du Quai d’Orsay, que j’ai interpellé : « Êtes-vous en possession de nouveaux éléments ? » Il s’est pris au jeu, montant sur scène … Ce fut un moment très drôle, mais beaucoup moins médiatisé. Et, depuis que j’ai quitté l’Assemblée nationale, je constate, hélas, que personne n’a repris le flambeau.
"Chacun de nous a son Tintin"
Une résolution de l’Assemblée nationale a-t-elle décrété si Tintin était de gauche ou de droite ?
Dominique Bussereau : (Rires) Ce qui était drôle est que chacun vivait son Tintin. Certains nous expliquaient qu’il était de gauche parce que c’était un redresseur de torts, généreux, le défenseur du petit Tchang, de la veuve et l’orphelin. D’autres que c’était un gaulliste, capable de résister aux obstacles, de revenir sur le devant de la scène. D’autres, enfin, qu’il était centriste, parce que lisse et consensuel … Nous en avons fait un livre, avec des textes d’Alain Duhamel ou Hélène Carrère d’Encausse. Bref, cette expérience m’a follement amusé, me permettant notamment de faire un tas de déplacements en France et de parler de Tintin, soit autant de moments agréables.
Cette passion provient-elle de l’enfance ?
Dominique Bussereau : Figurez-vous que ma mère était bibliothécaire. Quand je revenais du collège et du lycée, je révisais mes cours dans la bibliothèque. Une fois terminé, j’allais chercher des bandes dessinées et des bouquins. C’est comme ça que j’ai dévoré tout un tas de trucs …
Et, à cette époque, Tintin était celui qui faisait voyager ceux qui ne voyageaient pas. Mes parents étaient cheminots, on voyageait en France, un petit peu en Europe grâce au train. Mais nous n’avions pas les moyens d’aller plus loin. Tintin m’a fait découvrir l’Amérique, l’Inde, la Chine, l’Amérique du Sud. Bref, Tintin faisait rêver !
Quels sont les Tintin que vous affectionnez le plus ?
Dominique Bussereau : J’aime plutôt les aventures de Tintin avec de l’humour et un scénario plus étoffé. Par exemple, j’apprécie moins l’histoire de la pie voleuse dans « les Bijoux de la Castafiore » : c’est amusant, mais je trouve qu’il ne se passe rien.
Quel serait votre préféré ?
Dominique Bussereau : « L’affaire Tournesol » ! Il y a une histoire d’espionnage, l’intrigue se déroule dans des lieux réels, comme à la gare Cornavin de Genève, sur les bords du Lac Léman, il y a des personnages haut en couleur, on retrouve la Bordurerie imaginaire aussi … Et puis, c’est vraiment une histoire politico-diplomatique. Enfant, lors d’un séjour dans le Jura suisse, je me souviens avoir visité la gare Cornavin : j’avais l’impression d’y être déjà allé ! Il en va ainsi, on visite parfois des lieux découverts par Tintin.
"Tintin faisait voyager ceux qui ne voyageaient pas"
Tintin fut-il évocateur d’une vocation, par exemple une curiosité vers le monde ?
Dominique Bussereau : Ça, c’est clair ! Étudiant, à la sortie de Sciences Po, j’ai longtemps hésité entre le journalisme, faire l’ENA ou entrer en politique, qui était ma passion depuis ma petite adolescence. Ce que je cherchais était un métier où l’on puisse s’intéresser à tout, ne pas s’enfermer dans un corset toute sa vie. Et je trouvais que ces trois métiers-là le permettait. Haut-fonctionnaire, j’aurais aimé entrer dans le corps préfectoral ou diplomatique. Journaliste, je me serais certainement orienté vers le journalisme politique ou économique.
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