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Javier Cercas : “La littérature, comme le sexe, est un plaisir et une connaissance”

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Javier Cercas est l'un des plus grands écrivains contemporains. Mémoire, identité, zones d'ombre et de lumière sont au cœur de son œuvre. Une œuvre majeure. Rencontre avec un auteur fin et drôle qui croit au pouvoir de la littérature, comme au pouvoir du sexe.

Photos : Patrice NORMAND

Les soldats de Salamine le premier roman de Javier Cercas, paru en 2002 fait partie de ces romans qui marquent une vie. Capture D’écran 2022 06 17 à 15.27.15 Les Soldats de Salamine, donc, Cercas fait partie du paysage littéraire. Il est de ceux dont on guette les nouveaux livres. Indépendance qui vient de paraître chez Actes Sud est le deuxième tome d'une trilogie catalane entamée avec Terra Alta. On y retrouve son personnage Melchor Marin, flic ambigu, féru des Misérables. Cette fois-ci Melchor enquête sur une affaire de tentative d’extorsion de fonds basée sur l’existence présumée d’une sextape. L’enquête doit être menée avec célérité et discrétion car la victime est la maire de la ville.

L’inspecteur plonge alors dans l’univers de la haute bour­geoi­sie catalane et de ses rejetons élevés au-dessus des lois. Protégées par un clan qui leur assure une impunité de classe, ces âmes si bien nées connaissent peu de limites et la vie des sans-grades leur est parfaitement indifférente. Sous un vernis de raffinement, ces privilégiés n’ont rien à envier aux prostituées et aux junkies peuplant les bas-fonds qui ont vu naître l’enquêteur. Tous les thèmes de Cercas y sont : l'ambiguité, l'éthique, la recherche d'un absolu. Nous l'avons rencontré pour parler avec lui de la littérature, de son pouvoir, de son inutilité ou de son utilité. C'était passionnant.

Dans Indépendance votre personnage Melchor dit avoir été sauvé par la littérature. Est-ce vraiment possible ?

Javier Cercas : Melchor dit cela parce qu’il sent que la littérature lui a sauvé la vie. Dans son cas, c’est évident. Le fait de lire Les Misérables lorsqu’il était en prison a changé sa vie. Ce moment du livre est une façon pour moi d’affirmer que je m’inscris totalement en faux contre l’une des grandes superstitions de notre temps : cette idée farfelue selon laquelle la littérature est inutile ! Cette superstition vient d’un malentendu. Car ce sont des grands écrivains – dont certains comme Wilde ou Flaubert sont mes héros – ont dit à la fin du 19e siècle que la littérature n’était pas utile. Le problème, c'est qu'en disant cela ils provoquaient et se rebellaient contre le pragmatisme ridicule et affreux de la bourgeoisie de leur temps.

Quelle est l’utilité de la littérature alors ?

Javier Cercas 11Javier Cercas : C’est un plaisir, comme le sexe. En même temps, c’est aussi une forme de connaissance, là encore comme le sexe. Aussi quand quelqu’un me dit qu’il n’aime pas la littérature, je lui présente mes condoléances. Comme à quelqu’un qui n’aime pas le sexe d’ailleurs.

Y a-t-il des choses plus utiles que le plaisir et la connaissance ? Je ne le crois pas. La littérature est une forme de connaissance des autres et de soi-même. Mon personnage, Melchor Marin se découvre lui-même en grande partie grâce aux Misérables.

« Tous les personnages sont des égos expérimentaux des écrivains », dit Kundera. Êtes-vous d’accord avec cela et quelle est la part de vous dans Melchor ?